Le présent ouvrage (publié fin 2016 par l’Institut Universitaire Varenne avec le soutien de la Fondation Varenne soit un an après la soutenance de Walter Badier) est la version in extenso (à l’exception de huit annexes) d’une thèse de doctorat d’histoire contemporaine dirigée par Jean Garrigues et soutenue le 12 décembre 2015, à l’université d’Orléans sous le titre Alexandre Ribot et la République modérée : formation et ascension d’un homme politique libéral (1858-1895), 2015, 711 p.

Walter Badier : Un enseignant-chercheur spécialiste d’Alexandre Ribot (1842-1923)

Né en 1979, Walter Badier est un historien français spécialiste de l’histoire politique du XIXe siècle (vie parlementaire et métier de politique) et de l’histoire des idées ainsi que des familles politiques au XIXe siècle (culture politique libérale et centrisme). Certifié depuis 2003, il est professeur d’histoire-géographie à l’ESPE Centre-Val de Loire (université d’Orléans, site d’Orléans et Blois) depuis 2010. Walter Badier est membre associé du Laboratoire POLEN (Pouvoirs, Lettres et Normes, EA 4710) dans le cadre du CEPOC (Centre d’Études Politiques Contemporaines) ainsi que membre du bureau et du conseil d’administration du Comité d’histoire parlementaire et politique (CHPP) depuis 2007. Docteur en histoire contemporaine en décembre 2015, Walter Badier a consacré sa thèse de doctorat d’histoire contemporaine à Alexandre Ribot, résultat de 9 ans de travail, à travers la formation et l’ascension politique d’Alexandre Ribot, il y analyse la trajectoire politique de ce dernier en l’inscrivant dans le contexte de l’ancrage du modèle républicain français, apportant ainsi une contribution à différents chantiers historiographiques en cours concernant le « monde de la Troisième République (Gisèle et Serge Berstein) tels que le fonctionnement du « parlementarisme absolu » (Carré de Malberg) et la professionnalisation du personnel politique de la Troisième République.

Le travail de Walter Badier se fonde entre autres sur l’abondant fonds privé d’Alexandre Ribot conservé aux Archives nationales soit 58 cartons (563 AP). Les chapitres sont chronologiques mais l’analyse est thématique. De facture classique, composé de trois parties et de huit chapitres, le livre déroule les principaux moments d’Alexandre Ribot entre 1858 et 1895. En outre, ce livre comporte un sommaire (p. XI), une préface du directeur de thèse et professeur d’université Jean Garrigues (pp. XIII-XVIII), des abréviations (p. 1), une introduction (pp. 3-48), une première partie (pp. 49-158), une deuxième partie (pp. 159-310), une troisième et dernière partie (pp. 311-448), une conclusion générale (pp. 449-470) ainsi que tous les attributs de l’ouvrage scientifique : sources (pp. 471-488), bibliographie (pp. 489-512), annexes (pp. 513-606), index général des noms de personnes (pp. 607-620), un résumé / mots-clés en français et en anglais (pp. 621-624) puis, enfin, une table des matières (pp. 625-632).

La formation d’un futur cadre de la Troisième République (1842-1876)

La première partie s’intitulant « La formation d’un futur cadre de la Troisième République (1842-1876) » (pp. 49-158), de 109 pages, comporte trois chapitres ayant respectivement 39, 32 et 33 pages : chapitre I (Les étapes d’un cursus honorum (1842-1867) : pp. 53-92), chapitre II (Un juriste libéral à la lisière du politique (1867-1870) : pp. 92-124), chapitre III (Un juriste libéral au service d’une République conservatrice en construction (1870-1876) : pp. 125-158).
Dans le chapitre I (pp. 53-92), Walter Badier décrit la période où Alexandre Ribot se constitue une solide formation ainsi qu’un réseau d’amitiés et de soutiens. Cette période, de 1842 à 1867, est marquée par des expériences, des rencontres clés et différentes épreuves. En l’occurrence, Alexandre Ribot suit des études juridiques (à la Faculté de droit de Paris, de 1860 à 1863) qui l’amènent dans un premier temps à embrasser la carrière d’avocat (1864-1866). À différentes étapes (1864-1866), il reçoit le soutien d’individus qui jouent, tour à tour, le rôle de « mentor » (Adolphe Thiers, Jules Dufaure, Prosper Duvergier de Hauranne), de conseiller, d’ami ou de confident, participant à la formation de sa culture politique et idéologique, à l’apprentissage de son métier, mais aussi à l’édification de son réseau professionnel et politique (capital social).
Dans le chapitre II (pp. 92-124) qui va de 1867 à 1870, ces apprentissages culturels s’effectuent tant au niveau local (sous la houlette d’un personnage clé, le courtier maritime Georges Foissey qui lui met le pied à l’étrier et lui fait connaître les personnes clés de son fief) que national, à travers diverses institutions parisiennes considérées comme des passages obligés et des espaces de socialisation concourant à son éducation politique et à sa reconnaissance : différents salons ou cercles, la Conférence des stages, la Conférence d’éloquence « Molé » (une fameuse « parlotte juridique »), la Société de législation comparée, la Société générale des prisons (1877) et le Musée social (1894). Enfin, il faut souligner la construction d’un entourage (familial et amical) qui le soutient dans les moments les plus difficiles.
Dans le chapitre III (pp. 125-158), fort de ses apprentissages et de ses rencontres, mais aussi de ses qualités propres, Alexandre Ribot apparaît comme un juriste libéral au service d’une République conservatrice en construction (1870-1876) ayant comme parti le Centre gauche (1871-1875), contribuant intellectuellement à la République modérée (1871-1875) et devenant conseiller d’État au ministère de la Justice (juin 1875-décembre 1876). Dotée d’une culture politique solide, de convictions affirmées et d’un ensemble de compétences, son éloquence, son talent de débatteur, son sérieux (précision des idées, connaissance des dossiers et des codes du Parlement font de lui un « technicien de la politique »), son érudition, ses habiletés, son pragmatisme empreint d’efficacité et son autorité sont quelques-unes des qualités qui lui sont reconnues, même par ses adversaires politiques, et qui lui permettent de sortir du lot.

Les fondations d’une ascension politique : Le métier d’homme politique (1876-1895)

La deuxième partie appelée « Les fondations d’une ascension politique : Le métier d’homme politique (1876-1895) » (pp. 159-310), de 171 pages, est composée de deux chapitres seulement comportant respectivement 85 et 61 pages : chapitre IV (Le métier d’élu de terrain : pp. 163-248) ; chapitre V (Le métier de parlementaire à Paris : pp. 249-310).
Dans le chapitre IV (pp. 163-248), la constitution d’un fief électoral et d’un ancrage territorial est également une étape incontournable dans l’apprentissage du métier d’élu de terrain. En l’occurrence, faute d’avoir édifié un tel fief un après sa première élection en 1878 et préférant donner la priorité à son ambition nationale, Alexandre Ribot perd trois élections législatives – entre 1885 et 1886 – avant de choisir le territoire de Saint-Omer, où les électeurs lui resteront fidèles, notamment parce qu’il y pratique une sorte de clientélisme (qu’il dénonçait par ailleurs), répondant à des sollicitations, à des demandes de service…, mais aussi faisant acte de présence ; bref il endosse le rôle de politicien local dans toutes ses dimensions.
Dans le chapitre V (pp. 249-310), Walter Badier décrit le métier parlementaire à Paris d’Alexandre Ribot. Ce dernier est un « homo parlementaris » au temps du « parlementarisme absolu » avec pour hypercentre du pouvoir l’hémicycle de la Chambre des députés et pour centre du pouvoir le Palais-Bourbon. C’est ainsi qu’Alexandre Ribot devient un homme influent et dévoué à son métier de député à l’extérieur du champ politique institutionnel grâce à ses réseaux et sociabilités politiques, économiques et savants sans oublier la vie privée du professionnel de la politique.

De l’opposant à la République opportuniste au président du Conseil de la République progressiste (1878-1895)

La troisième partie intitulée « De l’opposant à la République opportuniste au président du Conseil de la République progressiste (1878-1895) » (pp. 311-448), de 151 pages, comporte à nouveau trois chapitres ayant respectivement 43, 33 et 53 pages : chapitre VI (Un républicain libéral critique durant la République opportuniste : la figure de l’opposant indépendant (1879-1885 : pp. 317-360), chapitre VII (Le rapprochement avec les opportunistes : la figure du rassembleur (1885-1890) : pp. 361-394), chapitre VIII (L’accession aux responsabilités gouvernementales : la figure de l’homme d’État (1890-1895) : pp. 395-448).
Dans le chapitre VI (pp. 317-360), Walter Badier démontre que l’inscription dans une carrière nécessite d’être identifié idéologiquement dans l’espace politique. En l’espèce, même si l’auteur insiste à plusieurs reprises sur l’ambivalence du positionnement d’Alexandre Ribot à certains moments, on peut dire que trois mots résument sa sensibilité politique : le libéralisme (plus politique qu’économique, l’homme étant un « libre échangiste de principe, mais sans dogmatisme » – p. 65 – prônant sans remords le protectionnisme), le modérantisme (centre gauche, sans cesse à la recherche du compromis) et le républicanisme (inspiré par l’orléanisme, il ne devient un fervent républicain qu’en 1878). Bien entendu, cette trajectoire n’est pas linéaire : dans son parcours, Alexandre Ribot a connu également des échecs, notamment électoraux, et des désaccords politiques (parfois avec des proches).
Dans un deuxième temps, dans le chapitre VII (pp. 361-394), Walter Badier montre le rapprochement politique d’Alexandre Ribot vers les opportunistes au point de se forger une figure de rassembleur (1885-1890). Après les élections législatives de 1885, Alexandre Ribot, battu électoralement par deux fois, fait un début de rapprochement avec les républicains opportunistes. Puis, avec la République en crise (1885-1893) à cause du boulangisme, Alexandre Ribot cherche l’alliance avec les républicains opportunistes en refusant tout rapprochement avec les radicaux. Enfin, de 1889 à 1890, Alexandre Ribot devient ministre au Quai d’Orsay dans le gouvernement Freycinet abandonnant le statut d’opposant et en assumant l’exercice des responsabilités gouvernementales.
Dans un troisième temps, dans le chapitre VIII (pp. 395-448), Walter Badier montre l’accession d’Alexandre Ribot aux responsabilités gouvernementales, ce qui lui permet de prendre une figure d’homme d’État (1890-1895). Intégré dans la gestion des crises et des combinaisons ministérielles par un positionnement parlementaire habile, il devient ministre des Affaires étrangères dans cabinet formé par Freycinet le 17 mars 1890, premier poste d’une longue série que même sa gestion très « défensive » du scandale de Panama (1892-1893) ne parviendra pas à interrompre et qui se poursuivra bien après 1895. Durant la période étudiée par Walter Badier, Alexandre Ribot devient président du Conseil par trois fois : Alexandre Ribot 1 et 2 (6 décembre 1892-30 mars 1893) puis Alexandre Ribot 3 (26 janvier – 28 octobre 1895).

Alexandre Ribot et la République modérée : une future référence sur le « modérantisme » ?

Au final, dans sa conclusion générale (pp. 449-470), Walter Badier résume ainsi la trajectoire d’Alexandre Ribot en soulignant sa conformité avec celles des élites de l’époque. Bien écrit et bien structuré, l’ouvrage nous inspire essentiellement des commentaires mineurs sur la forme, à l’instar du jury de thèse (avec son président Yves Déloye, son directeur Jean Garrigues, les rapporteurs Jérôme Grévy et Jean-Marc Guislin sans oublier Pierre Allorant). Même si l’ouvrage reprend les grandes lignes d’une thèse d’histoire politique (travail académique), il vise de facto un public plus large que celui des historiens spécialistes de la question. Enfin, si tout au long de l’ouvrage, on identifie ici ou là des velléités d’ouverture vers d’autres disciplines, nous aurions aimé que Walter Badier mobilise, à propos de la notion de « rôle » qu’il aborde dans sa troisième partie, des travaux sociologiques qui auraient apporté des dimensions et des perspectives explicatives supplémentaires, comme sur la sociologie des comportements électoraux qui auraient mérité à être développé davantage.
En refermant cet ouvrage, plusieurs questions restent en suspens et donnent envie de prolonger ce moment à travers d’autres lectures sur Alexandre Ribot, au-delà de 1895 : comment Alexandre Ribot a-t-il abordé l’Affaire Dreyfus et, plus largement, le développement du nationalisme (au-delà des éléments apportés sur le boulangisme), comment s’est-il positionné par rapport aux événements qui allaient déboucher sur la Première Guerre mondiale, et enfin pourquoi, alors qu’il en possédait, semble-t-il, toutes les qualités et la légitimité nécessaires, n’a-t-il jamais postulé à la Présidence de la République ?
Pour conclure de manière provisoire, en ce moment de réflexion sur la politique, sur ses personnels et ses institutions, nous ne pouvons que recommander la lecture de cet ouvrage, notamment pour le recul socio-historique qu’il permet et les éclairages qu’il apporte.

© Les Clionautes (Jean-François Bérel pour La Cliothèque)