En 1955, André Siegfried écrivait :  « l’âge des communications rapides, voilà peut-être la caractéristique la plus distinctive de notre siècle ». Un système de transport ne peut se comprendre que par ses interactions avec les autres modes et son intégration dans les paysages, les imaginaires et les pratiques. Il s’agit donc pour les auteurs de cet ouvrage de synthétiser les connaissances existantes et de donner un aperçu de plusieurs tendances actuelles de la recherche. Ce livre rassemble des contributeurs très divers qu’ils soient historiens, urbanistes ou politistes. Chaque chapitre contient une rapide bibliographie.

Quelle histoire des transports ?

L’ouvrage entend déconstruire les mythes autour des transports. Tout d’abord, il s’agit plutôt d’un tuilage que d’une succession dans les modes de transport. L’ouvrage invite à remettre en cause certaines oppositions trop tranchées, comme villes-campagnes. Il s’inscrit en opposition aux fausses évidences des changements technologiques. La première partie est chronologique tandis que la deuxième fournit des éclairages sur des problématiques actuelles. Loin d’une vision purement technique cet ouvrage veut aborder les transports comme des écosystèmes qui incluent leurs paysages et surtout leurs acteurs avec une dimension politique et sociale qui s’intéresse aussi aux représentations et aux pratiques des sociétés.

1820-1930 : éclosions des réseaux

Pour la IIIe République, il s’agit de rattraper un certain retard industriel sur l’Allemagne et l’Angleterre mais aussi de stimuler les échanges. Jusqu’à la fin du XIXe siècle, le transport des marchandises prime sur celui des voyageurs. Les auteurs évoquent la révolution des canaux. On assiste aussi à la naissance des transports urbains de masse. Un mode de transport n’est rien sans son écosystème d’infrastructures, d’acteurs et d’imaginaires, ainsi que de territoires.

Années 1920-années 1960 : mise en ordre et normalisation

C’est un moment de massification des transports et de leurs usages dans tous les territoires. Avec la motorisation massive des transports, le temps prend le pas sur l’espace et redéfinit la notion même de proximité qui est repensée en terme de temps plutôt que de distance. L’influence américaine est visible dans le transport de marchandises : le conteneur conquiert et transforme les rapports au monde. Après un temps marqué par la démultiplication des niveaux de sol, ce fut celui de la piétonisation.

Années 1960 à aujourd’hui : éclatement et massification des déplacements

C’est une époque marquée par des impératifs de coexistence des différents types de déplacements. La mobilité est aussi souvent assimilée aux Trente Glorieuses. Aujourd’hui, 21 pays disposent d’un TGV. Il se pose aussi la question des nuisances. Les auteurs remettent en cause le tableau de l’automobile-reine jusqu’aux années 1970. On voit ensuite se développer des pratiques comme la limitation de vitesse dans les centre villes. Les moyens de mobilité se sont multipliés comme le montre l’exemple récent des trottinettes.

Questionnements thématiques sur l’histoire des mobilités

Cette deuxième partie est constituée par de courts chapitres thématiques originaux extraits directement des travaux de chercheurs. La logique d’ensemble choisie pour cette deuxième partie est d’aller de l’abstrait vers le concret en neuf chapitres.

Le carburant immatériel des mobilités

La mobilité n’a pas attendu l’ère industrielle pour se poser comme signe de distinction. La France fait porter à ses réseaux de transport l’une des valeurs centrales de sa mythologie politique issue de 1789 : l’égalité. Il faut se souvenir de l’idée selon laquelle les départements ont été découpés en 1791 de façon égalitaire en se fondant sur l’accessibilité à cheval de leur préfecture.

L’écosystème des mobilités, son métabolisme et ses ressources

Une Tesla qui roule aux États-Unis aujourd’hui tire son énergie du charbon pour environ 20 %, loin de l’image de propreté immaculée qu’elle véhicule. Les crises tiennent un rôle important dans cette histoire de la consommation de ressources par l’écosystème des mobilités. Par ailleurs, il serait faux de décrire l’écosystème des mobilités comme capable de mobiliser toujours plus de ressources sans se heurter à des limites.

La mise en politique des mobilités – Perspectives historiques et enjeux contemporains

La mobilité est devenue un objet politique. Ce constat n’est pas nouveau. On assiste à la politisation progressive des transports à partir des années 60. En 2020, les transports et la mobilité étaient responsables de 31 % des émissions de gaz à effet de serre en France. La généralisation des véhicules électriques ou le développement du télétravail restent encore à évaluer. La mobilité reste une prérogative publique structurant fortement l’activité politique.

Crashes, naufrages, accidents : de la recherche de solutions techniques à l’analyse de problèmes publics

La technique seule n’a jamais suffi à régler des problèmes en réalité complexes et difficiles à mettre en algorithmes ou en équations.

Infrastructures : urbanisme, réseaux et temporalités

Dès l’époque du baron Haussmann, la réorganisation de la ville vise à mieux réguler la circulation de l’air, de l’eau ou des biens. Aujourd’hui, la coordination entre transport et urbanisme sous-tend une série de programmes urbains comme  » Action Coeur de ville ». Le tournant du siècle est une période où en raison du vieillissement des infrastructures construites durant les Trente Glorieuses, on s’intéresse au cycle de vie des infrastructures pour constater qu’elles vieillissent,… sont recyclées … ou atomisées ».

Les mobilités urbaines et rurales : complémentarités, divergences, ignorances XIX-XXIe siècle

La majorité des recherches a choisi de traiter l’espace urbain et l’espace rural comme des entités à part. A contrario d’un cliché, l’espace rural a toujours été en mouvement. Des chercheurs ont montré que les trajets en car scolaire constituent un haut-lieu de sociabilité, d’intégration et de tensions. En 2021, 6 millions d’habitants vivent à plus de trente minutes d’un service d’urgence et 75 % d’entre eux vivent en milieu rural.

Patrimoine(s)

Ce chapitre brosse un panorama des initiatives de valorisation des patrimoines de la mobilité pour en montrer la diversité et les perspectives. La mobilité est souvent vue comme fille d’innovations technologiques et chaque pays de tradition industrielle possède ses musées dédiés aux techniques. Michelin a ouvert son musée en 2009 et il connait un beau succès. Dans les grandes entreprises, l’activité patrimoniale est directement liée à la communication.

Mobilités touristiques

Au XIXe siècle, c’est autour des compagnies de chemin de fer que se construit une première forme de mobilité touristique. En France, le premier « train de plaisir » destiné à la visite des plages quitte la gare Saint Lazare en 1847 en direction de la côte normande. Au début du XXe siècle, les formes de mobilité se diversifient : bicyclette et automobile permettent de pénétrer plus avant dans le territoire. Dans la seconde moitié du XXme les compagnies aériennes et de croisière proposent une mobilité touristique de masse. Au niveau aérien, on passe de 2,5 millions de passagers en 1937 à 57,8 millions en 1954.

La mobilité des « autres », de la ségrégation au métissage

Dans le monde global du XIXe siècle dont la machine à vapeur est le moteur, la construction des chemins de fer constitue sans doute l’exemple le plus documenté de l’histoire des infrastructures coloniales. Des chercheurs invitent à dépasser ce discours de domination ou de résistance en s’intéressant à la manière dont l’automobile a été concrètement adoptée en contexte colonial. Les lignes ne bougeraient- elles pas jusqu’à faire des Occidentaux les autres des autres ? En effet, les entreprises occidentales de livraison de repas à domicile fondées sur les applications mobiles ne s’inspirent-elles pas du système indien des dabawallas ? 

En conclusion, Matthieu Flonneau propose une réflexion sur la mobilité. Il insiste sur le fait que les auteurs de ce manuel ont rendu accessibles les acquis de recherches diversifiées. Il permet donc, comme annoncé, de faire à la fois un point sur la chronologie des transports tout en rendant accessibles les travaux des chercheurs actuels.