Pour le troisième volet de sa Saga sur Aliénor d’Aquitaine, Amaury Venault emmène ses lecteurs suivre la deuxième croisade, prêchée par Bernard de Clairvaux et menée par le roi de France, Louis VII. Ce dernier désire expier le massacre de Vitry où 1500 chrétiens sont morts brûlés vifs dans une église pendant qu’il menait une campagne contre le comte de Flandre. Le souverain entend porter secours aux États chrétiens d’Orient établis lors de la première expédition et menacés par les Turcs. Avec le soutien du pape Eugène III, le roi prend la croix en même temps que de nombreux barons à Vézelay en mars 1146. Très amoureux de sa reine, la duchesse d’Aquitaine, Louis s’avère obsédé par le péché de chair et la peur de l’enfer. Il vit en pénitent et n’honore plus sa femme, ce qui les empêche d’avoir un héritier, sans lequel l’Aquitaine ne sera pas terre des Francs. 100 000 hommes sont ainsi entraînés vers Jérusalem afin de prier sur le tombeau du Christ. Les affaires du royaume sont confiées à l’abbé Suger, artisan du mariage de Louis et d’Aliénor, et au sénéchal de France, Raoul de Vermandois, cousin et beau-frère du roi. Entourée de sa cour fastueuse, la reine entend participer à l’aventure. Les nombreux chariots portant ses effets personnels (fourrures, soieries, bijoux, onguents) sont à l’image du caractère de cette femme d’une grande beauté. Elle décide, elle exige, elle ensorcèle. Elle excelle aussi dans les activités masculines : la chasse, les chevauchées, le tir à l’arc. Aliénor monte sa haquenée blanche comme un homme et arbore un haubert fait à sa mesure comme si elle allait guerroyer. Elle caracole au milieu de l’ost telle une Amazone. A l’expédition d’Orient se joint l’empereur d’Allemagne Conrad III de Hohenstaufen mais aussi de nombreux puissants comme Thierry d’Alsace, comte de Flandres, Henri, futur comte de Champagne, Robert de Dreux, frère mais rival de Louis VII, Alphonse Ier de Toulouse, Guillaume II de Nevers, Guillaume III de Warenne, Hugues VII de Lusignan, et de nombreux autres nobles et évêques. Comment de telles armées pouvaient-elles traverser de si vastes territoires sans avoir recours au pillage ? Louis VII s’est formellement engagé à payer vivres et fourrage tout en respectant les habitants des contrées traversées. Le voyage risque d’être long. On se déplace à la vitesse de 15 km par jour ! Le basileus Manuel assurera à la croisade le succès escompté. L’arrivée de preux en Terre sainte permettra de secourir les États latins, notamment la principauté d’Antioche dirigée par Raymond de Poitiers, l’oncle d’Aliénor. Partie de Metz en juin 1147, la lente procession est retardée par la lourdeur des chariots et la route choisie traversant la Bulgarie et la Hongrie où le ravitaillement a été difficile. Elle met cinq mois pour atteindre Constantinople en octobre.
Le lecteur est séduit par toutes les villes orientales décrites par l’auteur. L’ancienne Byzance impressionne avec ses dômes des églises scintillant à la lumière dorée du soleil, ses rues gravissant les collines entourées de trois rangs de murailles hérissées de tours. Assis sur son fameux trône aux lions rugissants et aux oiseaux chantant, Manuel Comnène accueille les Francs avec la pompe légendaire des orientaux alors qu’il a destitué le patriarche de Constantinople l’accusant d’hérésie bogomile (peu connue aujourd’hui, venant de Bulgarie). Il rêve de rebâtir l’empire chrétien d’avant le schisme de 1054. Mais les Byzantins s’avèrent retors. Ils se sont alliés aux Turcs du Sultan Massoud qui réussissent à piéger l’armée allemande sur le plateau anatolien. Les soldats de l’empereur Conrad ont connu une totale déroute. Sur le chemin de Nicée, les Grecs vendent les denrées à prix d’or aux Francs. La route de Pergame devient aussi un enfer : des montagnes pentues, des forêts inextricables habitées par des hordes de loups. Certains sont prêts à vendre leur âme pour se ravitailler. L’arrivée à Éphèse qui abrite le tombeau de saint Jean redonne du courage aux croisés. Quand ils atteignent Laodicée, les Grecs ont évacués la ville pour affamer les occidentaux. Mais c’est le désastre dans les défilés du mont Cadmos qui restera dans les mémoires de tous : plus de 7 000 morts parmi les Francs pris au piège par les Turcs et des mercenaires grecs.
De nouveau, Amaury Venault nous plonge dans une belle description d’Antioche, un paradis de verdure luxuriante avec ses jardins suspendus, des vergers et des jardins regorgeant de légumes exotiques comme les tomates et les artichauts. Le couple royal et leur suite sont accueillis par Raymond de Poitiers, l’oncle d’Aliénor dans un palais dont l’ambiance festive rappelle à la reine son Aquitaine natale. C’est là que la duchesse réalise sa mésentente avec son époux. Elle fait valoir leur consanguinité au quatrième et cinquième degré et se persuade de faire annuler son mariage. Fou de rage, Louis VII séquestre sa femme et l’emmène avec lui sur le chemin de Jérusalem. Arrivé sur les lieux du martyre du Christ, le roi de France décide de détourner la croisade de sa mission première, délivrer Edesse et conquérir Alep. Il subit alors une déplorable défaite lors du siège de Damas en juillet 1148.
Malgré l’intervention du pape Eugène III lors de leur passage à Rome, rien ne réussit à réconcilier les époux. Louis imagine déjà partir pour une nouvelle croisade tandis qu’Aliénor est séduite par le jeune comte d’Anjou de 18 ans, Henri Plantagenet qui vient de recevoir en héritage la Normandie.
Sous la plume d’Amaury Vénault, suivre Aliénor en Orient est un vrai plaisir. L’élégance du style et la qualité des descriptions invitent à un beau voyage dans l’histoire et dans l’espace.