L’ouvrage Brigadistes ! édité aux Editions du Caiman est paru en 2016 à l’occasion du 80ème anniversaire de la fondation des Brigades Internationales. Il est à cette occasion préfacé par Claire Rol Tanguy, la secrétaire générale de l’ACER. Vingt auteurs de romans, de bandes dessinées, de chanteurs ont publié des histoires, des nouvelles principalement mais aussi deux bande-dessinées et des récits historiques. Tous racontent le parcours de jeunes du monde entier engagés dans la guerre d’Espagne, leurs motivations différentes pour s’engager, l’espoir et la fraternité mais aussi la violence des combats à laquelle ils se sont confrontés contre les franquistes et le fascisme mais également les dissensions au sein de leurs troupes. Certaines nouvelles évoquent aussi l’après, l’exil des vaincus, l’engagement sur d’autres fronts et la mémoire transmise par ces combattants.
Dans tout l’ouvrage est dressé le portrait d’hommes et de femmes, jeunes, de tous pays et bravant les différences religieuses et raciales au nom d’idéaux de progrès et de fraternité. C’est ce qui frappe à la première lecture.
En effet, les brigadistes décrits dans ces nouvelles sont anglais, cubains, polonais, italiens, américains, français, algériens, allemands. Toutes ces nationalités sont représentées, ils sont majoritairement issus de milieux populaires et sont membres du parti communiste ou de syndicats anarchistes. Beaucoup sont aussi des paysans sans terre, des journaliers habitués à vivre dans la pauvreté et le labeur (Florencio le Cubain, El comunero). La conscience de classe ouvrière traverse l’engagement de tous ces militants. Car beaucoup quittent leurs pays pour la première fois, enrôlés par le parti communiste qui organise des conférences (Un pari pour Madrid) et forme des commissaires (la seconde cheminée).
Dans ces récits, les différences de classe mais surtout de religion ou de couleur de peau sont transcendées par la lutte commune. Ce phénomène est décrit dans plusieurs nouvelles. Dans Viva la quince brigada, le héros noir américain raconte sa surprise à ne pas être discriminé, à partager tout avec les soldats. La nouvelle Nosotros met en scène deux brigadistes, l’un algérien Rabbab Oussid Oum et l’autre juif polonais Jacques Penczyna, qui mènent un dialogue enivré sur les projets d’émancipation à mener après la guerre. Avant que la réalité de la guerre ne les rattrape.
Cette communauté, ce sentiment de fraternité est particulièrement bien exprimé dans la nouvelle « le premier soir à Barcelone » qui évoque la joie, l’accueil, la solidarité, la fête. Cette journée n’en sera que plus marquante au miroir de la violence des combats subie ensuite par les brigadistes.
Les différentes nouvelles évoquent tous les combats, leurs violences, les ruses à mener mais aussi les dissensions internes aux Brigades internationales qui ont autant pesé sur le moral des combattants car dans l’ouvrage on évoque autant le parcours d’anarchistes que de brigadistes communistes.
Certains textes donnent lieu à des nouvelles dignes de films d’espionnage avec un fort suspense. Elles sont d’ailleurs toujours liées à la maitrise de la mer. A cet égard, trois sont particulièrement remarquables, La seconde cheminée évoque les ruses de marins français partis de la Rochelle pour faire passer leur bateau chargé d’armes à Santander alors qu’ils sont attendus par un bateau franquiste. Dans un léger parfum d’anarchie, Gilles Del Pappas raconte l’histoire vraie et hallucinante de Marius Jacob qui essaie de détourner un bateau plein d’armes réservé aux troupes fascistes. Je n’en dirai pas trop pour ne pas spoiler mais c’est plutôt réussi et drôle. Enfin, dans Valldemosa Franck Giroud montre comment Anglais et Républicains font une tentative d’assassinat du « Comte Rossi » pour récupérer les Baléares et que celles-ci ne tombent pas dans l’escarcelle des Italiens.
Mais au-delà de cet aspect « ruse », la très grande majorité des nouvelles évoque la cruauté des combats, la violence des fronts de Jarama, de l’Ebre, de la bataille de Barcelone. Elles mettent en avant le sentiment d’impuissance de troupes mal armées, mal habillées face à la puissance de feu des armées fascistes. On y parle des exploits de Mundek à Barcelone, ce footballeur juif polonais vivant en Belgique, de la cruauté des troupes franquistes dans les villages andalous, des représailles et des assassinats des adversaires, de la brutalité et des combats dans la boue. Les lettres découvertes par Joe Stummer parlent aussi de cette violence et de la nécessité de se rattacher à l’amour pour survivre et croire à l’espoir. La BD Pari pour Madrid évoque quant à elle l’absurdité de la guerre en raison d’une mauvaise compréhension des brigadistes entre eux. Certains récits sont particulièrement poignants.
Enfin, beaucoup de nouvelles mettent en avant la violence des dissensions entre les brigadistes eux-mêmes, entre communistes et anarchistes et montre les luttes de pouvoir pour que le Parti Communiste gère tout et prenne le dessus. Des personnages de commissaire y sont critiqués, le personnage d’André Marty apparaît comme cruel et manipulateur (« El comunero », « Mort à Madrid, enterré à Barcelone »). En revanche, le personnage de Durutti, la question de son assassinat est relatée dans la nouvelle de Pierre d’Ovidio tandis que des rumeurs qui courent sur sa brutalité sont démenties dans la nouvelle de Patrick Bard « Le courage de la vérité ». Enfin, ces dissensions sont mises en avant dans la nouvelle de Serge Utgé Royo Lambeaux de guerre qui montrent que même dans l’exil, le Parti Communiste contrôle qui va pouvoir prendre le bateau et ainsi s’exiler en Amérique latine.
Ces nouvelles font apparaître enfin toute la problématique de l’après-guerre et la mémoire de combattants vaincus et exilés. Dans Viva la quince brigada, une phrase résume une grande partie du projet mémoriel du livre « Car j’ai la faiblesse de croire que les victoires d’aujourd’hui ont été forgées dans les combats d’hier, même lorsqu’ils ont été perdus. Et, que moins que jamais, nous ne devons oublier ceux qui les ont menés »
On peut y lire la dureté de l’exil à court terme dans les camps de réfugiés comme à long terme. L’épisode de la Retirada et de la traversée de la frontière est racontée par Patrick Fort dans Els ombres del coll dels Belistres. L’intrigue tourne autour d’une photo de femmes qui viennent de passer la frontière et du récit très fort de celui qui les a accompagnées. Le chanteur Cali rend quant à lui un hommage émouvant à sa grand-mère dans La courageuse. On peut y lire une lettre écrite par sa grand-mère à son grand-père alors qu’elle est internée dans un camp de femmes avec un nourrisson à alimenter. On y lit l’amour, celui qui fait tenir et supporter des conditions pénibles de rétention, de dénuement, de faim, de froid. Dans l’histoire de Florencio, la fin est particulièrement difficile : face à ses conditions et à la défaite, le jeune cubain choisit le suicide. Ce qui touche dans l’histoire de ce jeune communiste cubain c’est que cet homme était particulièrement enthousiaste et exubérant au début. De défaites en humiliations, il a préféré l’acte ultime du désespoir. Une nouvelle enfin évoque le désespoir des femmes républicaines vaincues et restées en Espagne. Michel Embareck raconte avec beaucoup de verve comment un député et homme d’affaires local découvre que son père est l’enfant volé d’une Républicaine et comment ce système de vol et d’adoption de bébé a été mis en place par Franco et l’Eglise après 1939.
Dans la majorité des nouvelles, la problématique de la mémoire est mise en avant. C’est bien là l’objet d’un livre commémorant un 80ème anniversaire dans lequel on voit la question du silence qui ronge les familles ou les anciens combattants (Le courage de la vérité, Els ombres del coll dels Belistres) et la difficulté à évoquer la guerre et son traumatisme (le personnage de Mort à Madrid la fin d’El comunero). Ici, la mémoire se transmet par les enfants, les petits enfants (Cali, Daeninckx), là par des férus d’archives à Salamanque, ici par des lettres d’amour trouvées chez un brocanteur, là enfin par l’art et le témoignage, par l’exposition de photos de Manuel Moros ou les vibrations de Joe Strummer.
Et puis au cœur de ces nouvelles bat le pouls du combat et des valeurs transmises : que reste-t-il aujourd’hui des combats menés par les brigadistes ? La bande dessinée Ay Carmela montre une grand-mère soucieuse de protéger son fils de l’embrigadement de Daesh tandis que la nouvelle Le dernier chargeur évoque le parcours de Pierre Jallatte, ancien brigadiste qui a créé dans les Cévennes une usine de chaussures de sécurité pour faire vivre l’économie de sa région et pour protéger les travailleurs. En mai 68, il a obligé ses ouvriers à faire grève par solidarité car eux avaient déjà obtenu toutes les revendications Son dernier combat fut de protéger les emplois de ses employés face aux délocalisations.
De nombreuses nouvelles de cet ouvrage ont des vertus pédagogiques et sont accessibles. Elles peuvent être utilisées en collège, en lycée ou au lycée professionnel pour des parcours lettres-histoire même si la guerre d’Espagne a disparu des programmes scolaires. La BD Ay Carmela peut aussi être étudiée dans une dimension d’EMC ou en lien avec les professeurs d’art plastique. D’autres nouvelles peuvent aussi compléter des travaux menés avec les collègues de langue espagnole ou anglaise. Les professeurs de langue doivent travailler la notion de héros. Ici, beaucoup de nouvelles se prêtent à cette réflexion. La nouvelle de Patrick Bard Le courage de la vérité peut ainsi être mise en lien avec le très bel ouvrage de Javier Cercas Soldados de Salamina dont certains extraits sont étudiés par les collègues d’espagnol. Il peut y avoir tout un travail sur la mémoire de la guerre civile espagnole et les récentes décisions du gouvernement espagnol par rapport à la mémoire franquiste. On peut enfin envisager des liens avec les professeurs d’anglais. On retrouve en effet dans la nouvelle « le train 77 » des références à une chanson de Joe Strummer par exemple Spanish bombings. Cela peut aussi faire un lien avec le film Land and Freedom de Ken Loach. Enfin la nouvelle Viva la quince brigada évoque le statut des noirs américains, le personnage de Paul Hobeson…
J’ai trouvé les deux compte-rendus de Céline Baccari sur les ouvrages Brigadistes et C’est l’anarchie très intéressants, riches et ils m’ont donné envie de lire ces livres.
Je me permets de lui signaler un ouvrage plus ancien conçu un peu sur ce modèle (mais peut-être est-ce celui qu’elle évoque brièvement) : Last exit to 68. 22 nouvelles sur mai. (Editions La Brèche) qui date de 1988 avec Frédéric Fajardie, Gérard Delteil, Thierry Jonquet, Didier Daeneinckx, Jean-François Vilar…
Bonne journée (en attendant les polars et nouvelles sur le moment que nous vivons)…
Jean-Philippe Martin
Bonjour Monsieur Fort
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Bonne journée à vous.
Excellent article à nouveau ! Désolé mais ne croyez pas que ce soit de l’acharnement de ma part…Pourriez-vous ajouter mon prénom ? Patrick FORT sonne mieux que Fort…Merci !!!