C’est un ouvrage imposant que propose le collectif « Didactique pour enseigner ». L’épaisseur de l’ensemble s’explique notamment par le fait qu’il rassemble une trentaine de chercheurs et qu’il est le fruit de nombreuses années de recherches menées souvent en séminaires. L’ambition proclamée est d’analyser des exemples de pratiques et, grâce à des concepts, d’en saisir les ressorts. Elle est aussi de parler aussi bien aux spécialistes qu’aux néophytes. La matière première de l’ouvrage est donc la description de pratiques et comme celles-ci sont très détaillées cela explique l’ampleur du livre qui en fait aussi sa richesse. Les auteurs invitent d’ailleurs le lecteur à faire « l’outil à sa main ». Rien n’interdit en effet d’entrer d’abord par un cas qui vous parle davantage. L’ouvrage comporte en outre un index, une bibliographie et un glossaire. Pour celles et ceux qui souhaitent aborder les thèmes traités par le collectif de façon plus rapide, il faut signaler qu’est paru depuis un ouvrage de ce même collectif chez Retz intitulé « Enseigner ça s’apprend » dont on pourra lire ici un compte-rendu. Ce dernier ouvrage signale d’ailleurs qu’on peut se référer au présent livre pour une approche détaillée de certaines séances.
Une construction emboitée
Pour bien mesurer la richesse d’un tel ouvrage, il faut en donner quelques caractéristiques. Il est donc le fruit des travaux d’une trentaine de professeurs, formateurs, docteurs et doctorants ou d’enseignants chercheurs. A ce titre notamment il se veut l’expression d’une pensée collective car, au-delà du rassemblement de contributions, il a été relu par l’ensemble du groupe. Une partie introductive présente des outils conceptuels de la didactique puis le livre est organisé en quatre parties. Chaque partie est constituée de plusieurs contributions ce qui permet un grand éventail de matières et de niveaux de classe. On trouve dans chaque contribution l’exposition d’un cas concret qui est ensuite entièrement décomposé en langage accessible, avant de faire l’objet d’une reprise en terme didactique. Dans chaque contribution on trouve également un ou des encarts « résumons » qui permettent de faire des points d’étape. Pour approfondir la réflexion on trouve très souvent ce que le collectif appelle des contrefactuels, qui sont autant de variations sur la situation, pour en proposer des améliorations. Enfin, une conclusion rassemble les éléments saillants. Il faut signaler la volonté d’être accessible avec la description fine de la séance, mais il faut aussi préciser que la relecture didactique du cas observé nécessite de bonnes bases que l’on peut néanmoins trouver dans les chapitres introductifs de l’ouvrage. On note également que chaque grande partie se termine par un texte de tressage qui fait en quelque sorte le résumé des différents cas examinés. Le premier chapitre définit donc certaines des notions-modèles qui seront utilisées durant tout l’ouvrage et la logique de l’ouvrage est ensuite incarnée à travers un exemple.
Histoire d’équilibration, des équilibres difficiles ?
Cette première partie rassemble sept chapitres dans des domaines très différents : « Ponctuer un texte en CP », « Comprendre une image en histoire en CM » ou « Les lancers en section sportive ». Ce qui fait le lien entre tous ces cas c’est qu’il s’agit d’une manière d’enseigner fondée sur des questions-réponses qui débouchent sur la réalisation d’une tâche par les élèves. On mesure à travers les exemples que les élèves ont souvent du mal à comprendre quel est le problème que le professeur souhaite leur faire travailler. En terme didactique, c’est la question du contrat-milieu. Cela signifie que l’élève grâce à ce que le collectif nomme un « déjà-là », doit être capable de reconnaitre un problème. Les auteurs sont très critiques sur la forme question-réponse-tâche. « L’important n’est pas que l’élève trouve, c’est que l’élève essaie ». Il est donc indispensable que les élèves comprennent ce qu’il faut faire et pour cela il est fondamental d’accompagner la tâche d’un exemple. C’est ce qui est proposé avec un travail sur une analyse d’image sur l’Ancien-Régime pour aider les élèves à identifier l’allégorie historique portée par elle. Le fait de construire un tableau qui juxtapose l’image et à côté sa signification allégorique peut favoriser l’approche et peut surtout ensuite être prolongé par les élèves.
Histoire d’équilibration, des équilibres suffisants ?
Les six contributions de cette partie ont pour caractéristique notamment de laisser une place très faible à la forme question-réponse-tâche. Elles sont variées puisqu’elles prennent appui sur des matières et des niveaux différents comme en témoignent ces titres : « Comprendre une fable de La Fontaine » ou « Enquêter sur la différence entre deux nombres ». On peut signaler une contribution intitulée « Travail coopératif professeurs/chercheurs » qui permet de voir que les uns apprennent des autres. Le verbatim détaillé des échanges entre professeurs et chercheurs rend compte d’un savoir en construction. On constate aussi une place plus grande laissée à l’idée d’enquête ou de problème, mais il faut bien mesurer que pour pouvoir s’en emparer, l’élève doit posséder un certain nombre d’éléments. On peut relever également le fait qu’il est important que les élèves se trouvent concrètement confrontés à une ignorance, comme lorsqu’il s’agit de comprendre un élève anglais par visio-conférence. On mesure aussi l’importance du facteur temps car pour qu’il y ait « enquête », il faut un minimum de temps. Il faut également être attentif au fait que les élèves puissent lier entre elles les différentes activités qu’ils mènent.
Solidarité éthique, solidarité épistémique. Toutes et tous, chacune et chacun
La première contribution s’intéresse à l’égalité fille-garçon et se demande si elle s’apprend à l’école primaire. On peut noter aussi la deuxième contribution qui se focalise sur le jeu du visage et montre en quoi il est un instrument pour enseigner. Les autres interventions développent également les différentes facettes de cette question avec un cas concret d’une enseignante qui alterne bienveillance et exigence pour ramener une élève dans une logique de travail. L’article sur la pâte brisée est également très intéressant avec un point de départ qui peut sembler simple : comment rendre accessible à tous une recette issue d’un livre de CAP cuisine ? Les six contributions de cette partie permettent d’explorer d’autres dimensions comme l’attention portée et délivrée par le professeur. C’est une dimension qui n’est pas « déliée des pratiques de savoir ». On mesure aussi combien un phénomène comme l’entraide ne se décrète pas mais doit, en quelque sorte, s’éprouver pour être validée et utilisée par les élèves. On est donc au-delà du simple slogan ou étendard comme le mot bienveillance. « C’est dans la matérialité affective et corporelle que l’entraide prendra forme ». Les professeurs doivent produire des signes. Il y a engagement des élèves s’il y a engagement des professeurs. L’enseignant doit observer ce qui se passe dans sa classe, ce qui ne signifie pas tout contrôler.
Jeu d’apprentissage et jeu épistémique. L’école et la culture
Parmi les matières et niveaux supports de cette partie, on dispose d’une intervention sur les avalanches, une autre sur « Que retient le professeur des modèles proposés par les élèves en danse ? ». Les contributions de ce chapitre s’articulent autour de l’idée pratique savante/pratique didactique. Le professeur doit parfaitement connaitre ce qu’il enseigne car c’est à partir de cela qu’il peut construire des situations intéressantes et motivantes pour les élèves. « Il faut pouvoir devenir un maitre ignorant, mais ignorant dans un certain sens ». Par cette formule les auteurs disent également que le savoir savant de l’enseignant ne suffit pas.
Équilibration didactique, forme scolaire et représentation de la culture
Dans ce dernier chapitre, les membres du collectif Didactique pour enseigner tentent une synthèse des différents apports. Par équilibration didactique on entend une « relation suffisamment adéquate entre contrat et milieu ». L’élève possède des connaissances qui lui permettent d’aborder la situation et le professeur utilise en bonne proportion ce qu’il dit et ce qu’il tait pour la réalisation du problème. Les auteurs invitent également à intégrer la question des affects dans la relation pédagogique : ils parlent d’éthique dans le sens d’une attention à autrui. Le collectif est très critique sur le triptyque question-réponse-tâche car il ne tient pas compte d’une certaine durée de travail nécessaire. Les auteurs insistent ensuite sur l’idée d’enquête qui pour eux permet d’envisager autrement le débat entre enseignement par découverte et enseignement direct. « Quiconque transmet un élément de la culture sait qu’il ne doit pas toujours tout dire ».
Il s’agit donc d’un ouvrage ambitieux et qui aide à penser le quotidien de la classe. Le collectif a le souci d’offrir un matériau le plus accessible possible même s’il faut dire qu’il est parfois nécessaire de faire de l’ouvrage une lecture minutieuse pour bien le saisir. On apprécie aussi la description détaillée des séances car on peut ainsi mieux se rendre compte de ce qui se passe avant d’en avoir une approche didactique. Le collectif insiste d’ailleurs sur la formation initiale et continue qui doit être investie et qui fera d’ailleurs l’objet d’un prochain livre.
© Jean-Pierre Costille pour les Clionautes