Un républicain modéré engagé dans la guerre d’ Espagne.
Amado Granell Mesado est né en 1898 près de Valence dans une famille de commerçants aisés. Au début des années 1920,il s’engage dans l’armée espagnole lors de la guerre du Rif ,ce qui lui permit d’acquérir une expérience militaire très précieuse dans la suite de ses engagements. Démobilisé, il travaille dans la région de Valence dans un magasin de motos. C’est à la fois un syndicaliste et un républicain modéré, membre de la gauche républicaine du futur Président de la République Manuel Azana. Granell est le symbole de ce que Gambetta appelait dans les années 1870 les « couches nouvelles », soutiens d’une République modérée ( la seconde République espagnole est proclamée en 1931)dans un pays marqué par de profondes inégalités et des mouvements sociaux ( la grève des mineurs des Asturies date de 1934) . En février 1936, la victoire du Front populaire ( Azana accède à la Présidence de la République )cristallise les tensions. Le coup d’Etat du général Franco le 18 juillet 1936 marque le début de la guerre civile. L’autorité du gouvernement républicain est ainsi contestée ( pas de manière équivalente bien entendu) à la fois par les franquistes soutenus par l’Allemagne nazie et l’ Italie fasciste, et par les milices anarchistes, puissantes dans la région de Valence. Face au coup d’ Etat franquiste, le gouvernement décide de dissoudre l’armée régulière, d’armer partis et syndicats et de créer des Bataillons de Volontaires dans lesquels Granell s’engage en septembre 1936. Il participe aux combats majeurs de la guerre civile espagnole ( défense de Madrid, bataille de l’ Ebre en 1938, offensive d’ Estremadure en 1939). Ses compétences militaires lui permettent de commander une division blindée et de réussir une percée remarquable . Mais l’échec de l’offensive d’ Estremadure en 1939 marque la défaite des troupes républicaines et Granell s’embarque pour Oran qui compte une important communauté espagnole.
L’aventure de la France Libre
En Algérie, les communistes et les anarchistes sont souvent internés dans des camps du sud- algérien comme celui de Djelfa où les conditions de vie sont épouvantables. En 1939 , de nombreux Espagnols s’engagent dans la Légion étrangère, participent à la bataille de Narvik et rejoignent de Gaulle à Londres. En France, de nombreux Républicains, après avoir été internés dans les camps du sud de la France, participent à la Résistance et huit mille d’entre eux sont déportés à Mauthausen où six mille perdirent la vie. Granell ne parvient pas à s’engager . Il est interné quelque temps puis parvient à se fondre dans la société oranaise. Le débarquement américain en Afrique du Nord ( l’ opération Torch) le 8 novembre 1942 modifie radicalement la situation. La France Libre crée les Corps francs d’Afrique dans lesquels s’engagent ceux qui ne voulaient pas combattre sous les ordres d’officiers vichystes. Granell les rejoint en décembre 1942.Il participe aux côtés des troupes britanniques et américaines aux très durs combats contre l’ Afrika Korps ( à l’époque les troupes américaines sont encore peu expérimentées) qui se déroulent dans la région montagneuse située à la frontière algéro-tunisienne. Après la libération de Tunis en avril 1943, le général Leclerc constitue le 24 août 1943 ,la 2ème Division blindée, la 2ème DB, intégrée dans l’armée américaine ( les Noirs sont presque totalement exclus des unités combattantes de l’armée américaine et ceux qui avaient combattu avec Leclerc doivent rejoindre l’armée De Lattre) mais dirigée par Leclerc. La 2ème DB compte environ 16000hommes ( rappelons que fournir des soldats capables de participer à la guerre a été l’une des préoccupations constante de la France Libre) ; elle est elle même divisée en plusieurs régiments et bataillons parmi lesquels le Bataillon de marche du Tchad , lui même divisé en compagnies. C’est dans la 9ème Compagnie du 3ème bataillon ( la fameuse Nueve qui devient l’unité espagnole de la 2ème DB) que vont être incorporés de nombreux combattants espagnols. Le régiment compte quelques figures marquantes comme Joseph Putz ,un ancien combattant des Brigades internationales qui meurt aucombat à l’automne 1944, et Raymond Dronne , germaniste, administrateur au Cameroun, rallié à la France Libre et dont Granell devient l’adjoint. Les combattants sont surtout des anarchistes et arborent ,à côté du drapeau français le drapeau de la République espagnole .mauve ,jaune , rouge. En 1944 , la 2ème DB rejoint l’ Angleterre (les combattants espagnols donnent à leurs chars le nom de batailles de la guerre civile comme Teruel ou Ebre) et débarque en France le 4 août 1944 ( « un dia de fiesta , amigo ») Elle participe aux durs combats de la bataille de Normandie. La Nueve participe à la libération d’ Alençon et libère le village d’Ecouché.
La Libération de Paris
Le 19 août 1944 débutent les grèves et l’insurrection ( environ 4000 Résistants d’ Ile de France sont des Espagnols ,majoritairement communistes) qui devaient conduire à la Libération de Paris . Le CNR s’installe à l’ Hôtel de Ville. Après avoir hésité, le général Eisenhower autorise Leclerc et la 2ème DB à marcher sur Paris le 22août. Il s’agit d’empêcher un écrasement de la Résistance par les troupes allemandes. La 2ème DB fonce sur Paris, mais, on l’a oublié, de durs combats se déroulent le 24 août dans la banlieue sud de Paris à Fresnes, Antony et à La Croix –de –Berny. Finalement, Leclerc ordonne à Dronne de marcher sur Paris avec la Nueve. La compagnie se divise en deux colonnes et le 24 août 1944, dans la soirée Granell est le premier officier de l’armée française à parvenir à l’ Hôtel de Ville où il est acclamé. La Résistance est enfin assurée du soutien massif de troupes régulières. Une foule nombreuse se rassemble sur la place. Le lendemain, les soldats de la 2ème DB participent aux combats pour la libération de Paris qui s’achèvent par la capitulation de Von Choltitz. Lors du défilé du 26 août sur les Champs-Elysées , la jeep de Granell ouvre le cortège dont les véhicules de la Nueve assurent la protection. Un certain nombre de combattants espagnols envisagent de s’emparer de l’ambassade d’ Espagne ,mais Granell les en dissuade au nom du respect de la légalité.
Par la suite, les combattants espagnols participent aux durs combats de la Libération en Lorraine et dans les Vosges. Des 145 hommes de la Nueve , il n’en reste plus que 16. Fatigué, âgé de 45 ans, Granell est réformé en novembre 1944. Il est décoré de la Légion d’ Honneur mais Cyril Garcia regrette qu’aucun combattant espagnol n’ait été fait Compagnon de la Libération.
Après- guerre
Après la guerre, Granell dirige une agence de presse, travaille peut- être pour les services secrets français et anglais , polémique énergiquement avec ceux qui nient le rôle des Espagnols dans la Libération de Paris, et surtout joue un rôle dans l’opposition politique au franquisme. Cyril Garcia aborde ici une page peu connue de l’histoire politique de l’ Espagne. Après l’échec meurtrier d’une tentative de renversement du régime par la lutte armée, l’opposition modérée c’est à dire certains socialistes et les monarchistes tentent de s’unir. L’héritier du trône d’ Espagne Juan de Bourbon ( le père du roi Juan –Carlos) se montre favorable à une monarchie constitutionnelle . De son côté Granell est proche de l’ ancien Premier ministre espagnol Francisco Largo Caballero qui ne serait pas hostile à la monarchie .Mais les divisions de l’opposition, l’attitude ambigüe de Juan de Bourbon qui rencontre Franco, et surtout la réintégration de l’ Espagne sur la scène internationale ( dans un contexte de guerre froide les Anglo-Américains sont moins favorables à une solution alternative au franquisme) ruinent ces projets. Tout en étant attaché à la France ( Granell fait partie , comme l’écrivain Jorge Semprun , des afrancesados, des Espagnols attachés à la France) ,Granell conserve la nationalité espagnole .Il rentre en Espagne en 1963 et meurt dans un accident de voiture en 1972.Le « Cosaque » ainsi que l’avaient surnommé ses compagnons de la 2ème DB ne verra pas la démocratisation de l’ Espagne et l’aboutissement de son combat pour la liberté.[-