Isabelle Choko, Judith Elkán-Hervé, Ginette Kolinka et Esther Senot, quatre femmes bouleversantes et très touchantes, se rencontrent, discutent et échangent sur leur vie avant, pendant et après leur déportation à Auschwitz-Birkenau. Elles nous plongent dans leur intimité et nous permettent de saisir la déshumanisation qu’elles ont subie, les traumatismes mais aussi cet élan de vie qui les a guidées jusqu’à aujourd’hui.

Réunir, pour la première fois, quatre des toutes dernières survivantes

Rencontres et entretiens

Cinéaste, photographe et vidéaste, David Teboul a réuni ces quatre femmes lors de deux déjeuners (Isabelle Choko, décédée en 21 juillet 2023, n’a, malheureusement, participé qu’au premier). Il a réalisé un documentaire (qui a été diffusé sur France 5 en juin 2024) et écrit ce livre dans lequel nous trouvons, en plus des entretiens individuels qu’il a pu avoir avec chacune d’entre elles, un index photographique ainsi que diverses notices biographiques.

Témoigner 80 ans après

David Teboul cherche à répondre à ces questions : « Que reste-t-il, quatre-vingts ans après avoir survécu à l’enfer d’Auschwitz ? Cette parole qu’on a mis tant de temps à prendre, peut-elle dire plus encore entre des femmes qui ont partagé la même horreur ? Qu’ont-elles à se dire que nous n’aurions jamais entendu ? » (p.11).

Quatre femmes, quatre destins

Des enfances et des déportations différentes

Elles ne sont pas issues du même milieu social et n’ont pas eu la même enfance. En effet, deux d’entre elles ont été déportées de France et les deux autres depuis les ghettos d’Europe de l’Est.

Mala Zimetbaum

Elles ne retiennent pas non plus les mêmes choses d’Auschwitz-Birkenau et s’appuient les unes sur les autres pour se souvenir du quotidien et de l’obscénité des camps de concentration. Ainsi, Esther Senot évoque le rôle fondamental de Mala Zimetbaum dans sa survie à Birkenau. Celle-ci lui avait, en effet, trouvé un kommando à l’abri du froid. Par ailleurs, Ginette Kolinka se souvient avoir été présente le jour où les SS ont voulu exécuter Mala Zimetbaum pour s’être évadée. Cette dernière préféra alors se suicider en se taillant les veines devant la potence et gifler un des SS, signes ultimes d’un esprit de résistance.

Rentrer et se reconstruire

Après la libération des camps, chacune retrouve son identité, son humanité et sa liberté. Mais, encore une fois, dans des conditions très différentes. Pour Isabelle Choko et Judith Elkán-Hervé, le monde qu’elles avaient connu avant-guerre, en Europe de l’Est, avait totalement disparu, au même titre que la présence juive ashkénaze de Lodz (en Pologne) ou d’Oradea (en Transylvanie). De plus, elles n’ont pas toutes retrouver des proches. Ainsi, si Judith Elkán-Hervé survit à la déportation avec sa mère, si Isabelle Choko est prise en charge par un oncle, si Ginette Kolinka retrouve sa mère et ses sœurs et se reconstruit progressivement à leurs contacts, ce n’est pas le cas d’Esther Senot qui, elle, se retrouve seule.

Des témoignages puissants et sans filtre sur le camp de Birkenau

Ces quatre femmes nous livrent des témoignages poignants. De plus, les récits de leur enfance sont, parfois, ponctués de photographies personnelles. Lorsqu’elles évoquent les camps (et plus particulièrement celui de Birkenau), leurs propos sont froids, sans filtre ni émotions, factuels, parfois crus. Par ailleurs, leur retour de déportation est aussi particulièrement intéressant. En effet, chacune tente, du mieux qu’elle le peut, de retrouver une vie « normale », de s’affranchir du traumatisme comme de la souffrance afin d’envisager l’avenir et de se reconstruire dans l’ombre des absents.

De plus, beaucoup d’entre elles ont souhaité parler à leur retour des camps. Toutefois, comme l’explique Annette Wieviorka (dans son livre L’ère du témoin, paru en 1998), à l’issue de la Seconde Guerre mondiale, le témoignage de ceux qui avaient survécu à la Shoah n’était alors que peu, voire pas, écouté. Si bien que c’est le procès Eichmann (1961) qui a libéré la parole du témoin et lui a reconnu une identité sociale de survivant.

Un ouvrage à mettre entre toutes les mains

Dans la perspective du Concours national de la Résistance et de la Déportation 2025/2026, cet ouvrage peut s’avérer très utile aux futurs candidats. En effet, le thème est : « La fin de la Shoah et de l’univers concentrationnaire nazi. Survivre, témoigner, juger. (1944-1948) ». Recontextualiser les témoignages de ces quatre femmes et les mettre en perspective avec les sources historiques permettraient aux élèves de s’emparer de la thématique. Par ailleurs, cet ouvrage peut, réellement, être utile à tous car il est nécessaire de se souvenir et d’amener, en ces temps troublés, la jeune génération à prendre conscience de son passé.

En résumé, la force de vie qui se dégage des témoignages de ces quatre femmes est juste extraordinaire, incroyable. Chacune d’elles a fait preuve d’une réelle résilience pour se reconstruire, petit à petit. C’est un livre qui m’a profondément touchée et que je recommande donc fortement.

Pour en savoir plus :

Présentation de l’éditeur : lien.

Isabelle Choko : lien.

Judith Elkán-Hervé : lien.

Ginette Kolinka : lien.

Esther Senot : lien.

Réécouter le podcast de France Culture intitulé 80 ans après la libération du camp d’Auschwitz, une mémoire à défendre avec Laurent Joly et David Teboul : lien.