e semaine de la victoire attendue des forces de la coalition anglo-américaine en Irak, l’ouvrage des deux géostratèges Arnaud Blin et Gérard Chaliand a l’immense mérite de mettre les choses au point. La politique étrangère des Etats-Unis en matière militaire comme dans le domaine économique est à mettre sous le signe de l’impérialisme, d’un impérialisme qui tire ses origines même de l’histoire des Etats-Unis depuis leurs origines. Pour les deux auteurs, la tendance lourde de la politique étrangère des Etats-Unis pour les prochaines années sera l’unilatéralisme et l’interventionnisme. Ces deux faces de la politique étrangère n’avaient jamais été aussi liées que sous l’actuelle administration. Comment et surtout pourquoi les Etats-Unis en sont-ils arrivés là ? C’est, dans une large mesure la question à laquelle cet ouvrage cherche à répondre.
A partir de ce qui apparaît comme un véritable postulat, difficilement contestable, les deux auteurs dressent un bilan très dense et précis de la politique étrangère des Etats-Unis de la guerre froide à la période marquée par l’hyper puissance américaine. Le bilan est dense, cela signifie peut-être aussi qu’il aurait pu être développé d’avantage, notamment pour l’aspect fondamental des relations entre les Etats-Unis et l’Europe occidentale. Il est vrai que la crise des relations transatlantiques n’avait pas encore atteint son paroxysme avec l’union Franco-Allemande contre l’interventionnisme américain en Irak.Premier chapitre:

Aux origines de la république impériale

Entre isolationnisme et interventionnisme, la politique étrangère des Etats-Unis a toujours été sur la corde raide. L’Amérique puritaine des pionniers descendants du Mayflower souhaitait à la fois quitter la vieille Europe qui les avait persécutés tout en considérant que la Providence les avait chargés d’une mission divine, celle de recréer, à l’échelle d’un continent, la nouvelle Jérusalem. Du coup, des épisodes de l’histoire des Etats-Unis comme la guerre hispano-américaine, la crise de Cuba ou la guerre du Vietnam s’éclairent d’un jour particulier.

Dès l’origine, dès le conflit de 1898, les Etats-Unis affirment, pour justifier leur intervention, leur droit à la légitime défense. Cela vaut pour le Maine, coulé dans d’obscures circonstances dans le port de La Havane, comme dans le cas de l’attaque terroriste du 11 septembre 2001. Justification bibilique avec la loi du Talion donc.

En même temps, les Etats Unis ont affirmé la nécessité de défendre leur liberté, celle du commerce et son corollaire, celle de navigation, avec des interventions de forces projetées, la première du genre étant la démonstration de la canonnière du commodore Perry en rade de Tokyo en 1853.

Chapitre 2:

le grand dessein de Thomas Jefferson

Fondateur de la République démocratique américaine, auteur de la constitution des Etats-Unis, Thomas Jefferson a su tirer le meilleur de la culture européenne de la fin du XVIIIe pour la mettre en oeuvre à l’échelle d’un état continent.

A partir de Thomas Jefferson, les guides de la politique étrangère américaines, qu’ils aient occupé le bureau ovale comme Teddy Roosevelt et Wilson ou qu’ils aient été secrétaires d’Etat, comme Henri Kissinger et Georges Shultz la politique étrangère des Etats-Unis s’est inscrite dans un cadre précis délimité par le moralisme et en même temps le réalisme. Cela conduit à l’achat de la Louisiane, mais aussi à une intervention de force en Méditerranée contre les barbaresques, de lointains ancêtres de Muammar El Khadafi qui prétendait limiter la présence américaine dans le golfe de Smyrne.

Au passage on appréciera les similitudes entre cette interventionnisme étatsunien avec l’organisation de coups d’état contre les barbaresques et celui, réussi contre Mossadegh, le premier ministre Iranien qui gênait les intérêts pétroliers des occidentaux en 1953.

Chapitre 3:

Machiavel à Washington

Théodore Roosevelt est l’exemple même de l’aventurier, soldat, écrivain et homme d’Etat. Très populaire, accédant au pouvoir en 1901, c’est à partir de son mandat que les pouvoirs présidentiels vont sans cesse s’étendre, jusqu’aux « ratés » de Johnson pendant la guerre du Vietnam et aux « dérapages » de Nixon pendant la crise du Watergate. Le feuilleton Lewinsky-Clinton amenant à une réorientation de ce qui apparaissait comme un pouvoir de contrôle exorbitant du judiciaire sur l’exécutif.

Pour Teddy Roosevelt, la nécessité pour les Etats-Unis d’avoir une politique de puissance va de soi. Devenus au passage du siècle la première puissance économique du monde, les Etats-Unis estiment normal de conduire une politique étrangère qui serve leurs intérêts économiques. C’est son successeur, Willian Hooward Taft qui mène sur sa lancée, une diplomatie du dollar, utilisée à ce moment là en direction des petits pays d’Amérique centrale comme le Nicaragua. Cela n’empêchant pas l’administration américaine d’envoyer les Marines dans le cadre d’une politique associant le dollar et le big stick. (Le gros bâton).

Ce courant réaliste de la politique étrangère des Etats-Unis se retrouve aux lendemains de la seconde guerre mondiale et surtout pendant la guerre froide. L’ennemi est clairement identifié, et les moyens de rétorsion seront à la fois directs, ( politique reposant sur les différentes doctrines d’utilisation de l’arme nucléaire) et indirectes. ( Course aux armements avec les conséquences économiques désastreuses pour l’économie soviétique).

Le tandem Nixon Kissinger sera sans doute l’exemple le plus achevé de politique étrangère conduite selon les principes de Machiavel. Le réalisme associé à une politique de puissance sans que ne se posent de grands scrupules moraux. L’incident de parcours du Watergate qui conduit à la démission de Nixon n’a pas gêné son secrétaire d’Etat, redevenu très influent aujourd’hui dans les coulisses du parti républicain.

Cette politique réaliste que l’on trouve mise en application chez Théodore Roosevelt et dans le tandem Kissinger-Nixon est reprise par les deux équipes où l’on retrouve souvent les mêmes hommes d’influence, les administrations Reagan et Georges W. Bush. (Les meilleurs exemples se retrouvent avec Richard Perle et le groupe des faucons qui entourent l’actuel locataire de la maison blanche.)

Chapitre 4:

le catéchisme politique de Woodrow Wilson

Parmi les ressorts traditionnels de la politique étrangère des Etats Unis on retrouve l’argent, (dollar diplomacy), la suprématie technologique, (guerre contre l’Irak), et le droit. Si les réalistes ont largement usé des deux premiers ressorts, Wilson et ses héritiers politiques directs comme Franklin D. Roosevelt, Carter et peut-être Bill Clinton ont voulu mettre en avant le bien fondé juridique de l’interventionnisme américain.

Ce bien fondé juridique que l’on peut retrouver dans les 14 points de Wilson a pour mission d’affirmer, et peut-être d’imposer au monde, le credo américain dans la démocratie et dans la liberté de commerce. En reprenant à son compte les préceptes moraux en politique Wilson avait compris de façon intuitive que les confrontations à venir contre les totalitarismes se mèneraient sur le terrain de l’idéologie.

Depuis cette époque, les Etats-Unis ont « besoin d’ennemi », qu’il s’agisse du nazisme, du communisme ou de l’Islamisme. Le problème étant dans un second temps de trouver une justification à l’intervention. On voit ainsi se profiler dans cette logique les attaques contre la liberté de navigation menées par l’Allemagne impériale, Pearl Harbor ou la présence réelle ou supposée d’armes de destruction massive sur le sol irakien. Les Etats-Unis ont besoin impérativement d’une justification morale à leur interventionnisme, une justification que Wilson souhaitait fondée sur le droit, ce qui n’est pas le cas de l’administration de G.W. Bush.

Pourtant, le discours de cette administration dont le caractère belliqueux a été démontré avec la seconde guerre contre l’Irak est assez proche de la démarche de Wilson. La nature des régimes politiques détermine la nature des relations internationales, (Kant), ce qui signifie que des régimes sont moralement supérieurs à d’autres. Le corollaire des faucons précisant que, face à des régimes immoraux, les interventions de puissances sont moralement justifiées.

De fait, l’idéalisme wilsonien avec l’idée que la démocratie libérale doit s’étendre afin de s’épanouir dans un système de sécurité collective est assez proche de « l’idéologisme » de l’administration Bush considérant l’intervention de puissance comme le ferment d’où sera issue la prospérité et la sécurité. La tutelle bienveillante des Etats-Unis garantissant la sécurité collective.

Cette approche de Wilson se retrouve bien entendu chez certains de ses successeurs démocrates avec F.D. Roosevelt,, Kennedy et Carter. Pour Kennedy, le réalisme parfois dans sa version la plus dure est également présent dans sa politique étrangère. C’est également sous son court mandat que les fondations privées, comme actrices ou inspiratrices de la politique extérieure, se sont développées.

Se considérant comme l’héritier politique de Wilson, Jimmy Carter a voulu, en rupture avec le réalisme cynique des années Nixon, jouer la carte de la diplomatie des droits de l’homme. Les résultats, en apparence, n’ont pas été à la hauteur, puisque l’interventionnisme soviétique s’est développé pendant cette période. Mais à terme, c’est bien sur ces questions de lien entre morale et politique, que l’empire soviétique s’est effondré, pas seulement sur ses échecs économiques. Au passage, Reagan et son secrétaire d’Etats G. Shultz ont été les artisans de l’ouverture démocratique du Chili dans les années 80, alors que l’autre grand tandem républicain avait favorisé le coup d’état du général Pinochet. En fait, au delà des différences de personnalités, la politique de Reagan s’inscrit dans la continuité de celle de Carter, notamment dans le domaine des doctrines d’intervention militaires.

Chapitre 5:

les moyens de la politique

Ces moyens de la politique se sont déployés très récemment et très largement sur les écrans de télévision. Il s’agit bien entendu de la mise en pratique de la stratégie et de la projection militaire de la puissance. En effet, depuis les origines des Etats-Unis et surtout de leur affirmation en tant que grande puissance, l’instrument militaire n’est pas seulement un moyen de la politique étrangère mais aussi un moteur de cette politique.

De la stratégie de défense anti-missiles à l’application de la guerre préventive expérimentée contre l’Irak, l’instrument militaire a conditionné la politique étrangère. Dans un pays qui ne serait pas démocratique, on imagine aisément les conséquences de l’application de tels principes, même si les dictatures ont en fait soumis l’appareil militaire à leur vision du monde.

La culture militaire américaine s’est formée dans deux creusets, l’armée provisoire de la guerre d’indépendance, un provisoire qui a largement duré, et un instrument de projection de la puissance, la marine, constitué pour maintenir les voies de navigation en méditerranée libres. Le groupe de combat aéronaval est le descendant de cette doctrine de projection de la puissance sur tous les points du globe.

De fait, la politique militaire des Etats-Unis repose sur une double approche, la volonté de considérer le territoire des Etats-Unis comme un sanctuaire et en même temps, une stratégie de projection de puissance qui privilégie l’offensive de masse en utilisant tous les moyens disponibles.

Les guerres contre le Mexique, contre les Indiens, la guerre de sécession, mais aussi Tempête du désert et Liberté pour l’Irak, sans parler des grandes batailles de la seconde guerre mondiale, ont toujours privilégié l’offensive. La guerre du Vietnam a été un contre exemple, avec des effets dévastateurs, dont les penseurs militaires américains ont tiré des leçons pour l’avenir.

Cette idée selon laquelle a chaque problème posé sur le champ de bataille, il fallait trouver une réponse technologique a conduit, parce qu’il n’existait pas de champs de bataille justement, au traumatisme du 11 septembre. L’idée que les agences de renseignement pouvaient se fier exclusivement à des moyens sophistiqués d’écoute électronique et des satellites s’est effondrée en même temps que les tours du WTC. Il aura fallu pourtant deux interventions militaires contre deux Etats, celui des Talibans et le régime de Saddam Hussein, pour compenser cette erreur d’appréciation sur la nature des menaces à l’encontre des Etats-Unis.

Parfaitement documenté, riche de notes particulièrement précieuses pour ceux qui voudraient approfondir la question, cet ouvrage a le mérite de satisfaire plusieurs types de lecteurs; les spécialistes des relations internationales disposeront d’un ouvrage commode et dense qui met en perspective une question complexe, tandis que les autres pourront, parce que les exemples sont précis et éclairants, se faire une idée de la question à partir de cinq chapitres équilibrés et suffisants pour avoir une approche du sujet suffisamment éclairante de l’actualité immédiate.

L’accès aux sources pour un ouvrage de ce type est commode dans la mesure où il s’agit essentiellement des mémoires des acteurs des différentes périodes traitées dans l’ouvrage et de travaux de recherche publiés dans les différentes revues spécialisées comme foreign policy ou foreign affairs.

Les auteurs

Gérard CHALIAND est spécialiste de géostratégie, il a dernièrement publié l’arme du terrorisme et les stratégies du terrorisme. Enseignant dans plusieurs universités américaines, il s’est fait largement connaître en 1994 en publiant l’atlas stratégique.
Arnaud BLIN dirige un centre de recherches à Washington et a fait ses études aux Etats Unis, (Harward, Georgetown). Il a publié en 2002 Puissance et influence et en 2001 géopolitique de la paix démocratique.