En 2015, les attentats ont en plus de la société en général percuté l’école publique en particulier. C’est à ce moment précis que s’intéresse l’auteur, non pour livrer un récit des attaques, mais pour montrer les impacts et réactions de l’école. Emmanuel Saint-Fuscien est directeur d’étude à l’EHESS et spécialiste de la Première Guerre mondiale. Il travaille aussi sur les relations qu’entretiennent l’école et la guerre. Il livre ici, comme il le dit lui-même, une « tentative d’histoire du temps présent ». L’ouvrage comprend un certain nombre d’annexes comme le questionnaire adressé aux enseignants ou celui distribué dans des classes. Les sources sont également précisément décrites tant elles constituent un point central de cet ouvrage.

L’année 2015, un tournant

L’auteur note d’abord qu’à partir des incidents de la minute de silence en hommage aux victimes de Charlie Hebdo et jusqu’aux attentats du 13 novembre, «  l’école s’est vue accusée de n’avoir pas su préserver la société française de l’extrémisme islamiste, de la violence meurtrière de jeunes Français radicalisés et pourtant éduqués dans ses classes et de n’avoir pas su faire respecter le rite de deuil et d’hommage envers les victimes des attentats par des élèves désormais incontrôlables ».

Méthodologie pour une histoire du temps présent

Emmanuel Saint-Fuscien explique sa façon de faire qui implique de porter attention aux discours médiatiques, à la chronologie, aux traces normatives produites par l’Éducation nationale sans oublier le témoignage d’enseignants ou d’administrateurs. Ce faisceau d’approches n’empêche pas certains biais clairement identifiés par l’auteur. Les attentats frappèrent la société et, à ce titre, il est impossible par exemple d’appréhender la «  diversité des interactions au sein des dizaines de milliers d’établissements français ».

L’école coupable, une institution accablée

Les incidents à l’école liés au non respect de la minute de silence sont mentionnés par la presse dès le 9 janvier. Alors que le chiffre aurait pu paraître dérisoire eu égard au nombre d’élèves, il provoque pourtant un séisme. Ce non-respect est lu comme un révélateur d’une faille. L’école devient la responsable. Une commission d’enquête sénatoriale est mise en place pour examiner le fonctionnement de l’école. Il en ressort l’image d’une école « en faillite, effondrée sur elle-même, dans laquelle règne le complotisme, l’antisémitisme lié à la culture musulmane, la perte des savoirs élémentaires ». De façon mécanique, le refus de respecter la minute de silence est vu comme un fait de radicalisation. En janvier 2015, la situation est la suivante : « l’école déjà seule accusée d’avoir perdu des territoires de la République, la voilà seule coupable d’avoir perdu la bataille contre le radicalisme musulman ».

L’épreuve commune du deuil : l’école fait front

Ce deuxième chapitre porte sur les réactions aux attentats de novembre 2015. La presse rend compte différemment de ceux-ci car, cette fois, les mondes scolaires sont personnellement endeuillés. « L’analogie guerrière n’est plus ici la débâcle de 1940, mais davantage le sacrifice de 1914 ». Ceux qui avaient dénoncé l’effondrement de l’école en janvier sont cette fois silencieux. En plus, à ce moment-là, des appels au meurtre de professeurs sont diffusés. Il y a donc une menace interne et externe qui toutes deux peuvent viser l’école. « Pour la première fois dans l’histoire de l’éducation française, un rapprochement entre une menace intérieure sociale, culturelle et religieuse d’une part et une menace extérieure de l’autre pouvait être pensé ». Pourtant, la guerre à l’école n’a pas eu lieu, ce qui implique de voir comment ont réagi les différents acteurs.

L’école en guerre ? La mobilisation administrative

L’auteur convoque des parallèles historiques pour aider à penser les évènements. En octobre 1914, les enseignants avaient été autorisés à suspendre les programmes scolaires. En 2015, le Ministère lança un appel à une grande mobilisation pour l’école. Les témoignages sont au cœur de ce chapitre, que ce soit celui de Najat Vallaud-Belkacem ou ceux d’enseignants sur le terrain. Seule la prise en charge de la sécurité fait l’unanimité dans les témoignages des enseignants. Mais, pour bien saisir ce qui se joua, il faut se tourner vers ce qui se passa alors en classe.

Les émotions en partage

« L’expérience en milieu scolaire est avant tout une mise en commun ». Lorsque surviennent les attentats de novembre, élèves et professeurs ont déjà en commun une expérience commune. L’auteur indique bien qu’il est impossible de décrire tout ce qui s’est passé dans les établissements. On peut établir une typologie en fonction, par exemple, d’un critère de distance des lieux des attentats. En tout cas, l’école est un espace de résonance. L’auteur tenait à restituer la place des émotions des professeurs et des élèves sur la période entre janvier et novembre. Il se demande finalement comment expliquer que l’école ait tenu ?

Représenter l’évènement

Emmanuel Saint-Fuscien parle d’un pacte qui s’est réinventé entre enseignants et élèves face aux évènements. Il y a un indéniable besoin partagé d’actualité en classe. Les enseignants durent improviser, créer eux-mêmes leurs séquences. La question du débat se pose aussi d’autant que deux jours avant les attentats de janvier, les nouveaux programmes d’enseignement moral et civique avaient été présentés. L’auteur détaille un exemple dans une classe de CP. D’autres exemples montrent que l’éducation n’est pas une science mais un « art peut-être devant s’adapter ici brutalement aux évènements extérieurs ». En dépit des divisions médiatisées, les acteurs de l’école «  ont réaffirmé ensemble par des centaines de milliers de micro-négociations, l’existence d’une communauté scolaire ».

En conclusion, Emmanuel Saint-Fuscien souligne donc le retournement d’image qu’a subi l’école en 2015, vue comme au début de l’année comme malade et responsable et finalement adoubée à la fin de l’année comme le ciment de la nation. On soulignera particulièrement cette attention à tout ce qui ne se voit pas forcément médiatiquement et qui pourtant existe. L’école a continué à rendre possible un vivre ensemble mais l’auteur n’en exprime pas moins, in fine, des inquiétudes sur la solidité de cette institution.