Journaliste au Monde diplomatique, Akram Belkaïd est un essayiste spécialiste de l’Algérie. Il collabore au Quotidien d’Oran, à TV5 et Afrique Magazine.

Alors que cet ouvrage est paru en février 2019, une nouvelle édition a été nécessaire pour donner un juste aperçu de ce pays complexe qui est selon l’auteur, aujourd’hui empêché. En effet, « le Hirak », terme qui signifie un mouvement, né un vendredi 22 février 2019, pousse le président Bouteflika au pouvoir depuis 20 ans à démissionner. Cette révolution cherche un processus de démocratisation et de changements en profondeur. Akram Belkaïd nous dresse un tableau précis et actualisé d’un État à fortes potentialités. Pourquoi un pays dont le sous-sol est si riche en minerais comme l’uranium et le mieux doté en hydrocarbures de toute l’Afrique, ne peut-il pas décoller économiquement ? Il ne faut pas oublier les réserves en eau dans le nord et les nappes souterraines du Sahara. La richesse de ce pays vient aussi du ciel : « au Sahara, il pleut chaque année l’équivalent d’un baril de pétrole par mètre carré sous forme d’énergie solaire ». Bref, selon l’auteur, l’Algérie devrait  trouver un modèle triomphant dans le triptyque « l’eau, l’énergie et le capital humain ». Pourtant, elle est en queue de peloton, conséquence de la rente perverse des exportations d’hydrocarbures, qui atrophie une économie peu diversifiée. Les blocages politiques en sont responsables. En effet depuis l’indépendance en 1962, le même système de pouvoir perdure. Né de la guerre, le FLN ne consent qu’une démocratie formelle. Depuis un an, rien ne semble changer en profondeur et « le dialogue » promis ne convainc personne venant d’un régime qui excelle dans l’art de faire en sorte que seules les apparences changent.

Après ces propos liminaires, les 100 questions sont réparties en huit sections : l’Histoire (de l’Antiquité jusqu’à la guerre d’Algérie), le pays indépendant, la décennie noire aux années Bouteflika, la jeunesse, la société, l’économie et l’écologie, la culture, puis l’Algérie et son rapport au monde.

De l’Antiquité à la guerre d’Algérie

Sur le plan génétique, les Algériens sont dans leur grande majorité d’origine berbère et leurs liens avec la péninsule arabique ou le Moyen-Orient sont surtout religieux et linguistiques. Des enquêtes récentes démontrent que 65 à 75 % des Algériens sont d’origine berbère même si seulement 30 à 40% parlent la langue. L’identité arabe a été sacralisée car elle s’est associée au combat colonial. D’ailleurs l’histoire du Maghreb central comprend des rois berbères de renom comme Massinissa (203 – 148 av.JC), premier souverain à unifier la Numidie. Sa cavalerie a aidé Rome à vaincre les Carthaginois à la bataille de Zama. Le petit fils, Jugurtha (160 – 104 av.JC), d’abord allié de Rome, a su se rebeller contre le pouvoir central. La guerre de Jugurtha décrite par Salluste a duré 7 ans. Homme de science et de lettres, Juba II (-52 – 23 ap.JC), otage élevé à Rome par Octavie, a été marié à Cléopatre Sélenée et installé sur le trône de la Maurétanie dont la capitale fut Césarée de Maurétanie. On peut mentionner aussi la Kahina, reine berbère capable de combattre les troupes musulmanes.

L’épisode historique le plus traumatique pour les Algériens est bien sûr la conquête française. En juillet 1830, au terme d’une campagne militaire orchestrée par les troupes du comte de Bourmont, le Dey ottoman capitule. Mais l’annexion de l’ensemble du territoire voulue par les politiques, a été dirigée par le maréchal Bugeaud, artisan d’une conquête violente de 1840 à 1846 avec de rudes combats, des enfumages de populations civiles réfugiées dans des grottes, le déplacement forcé de tribus et des massacres qui provoquent même des protestations à Paris. Malgré la résistance de l’émir Abdelkader et quelques victoires, au traité du 12 novembre 1848, l’Algérie est proclamée comme partie intégrante de la France, une terre divisée en trois départements. En 1881, y est instauré le code de l’indigénat. Pour les historiens algériens, cette conquête est qualifiée de génocidaire dans le sens où elle était destinée à faire place nette pour ouvrir la voie à des colonies de peuplement européen.

Au début du XXe siècle, le pays est « tenu ». Une population européenne s’installe dans les campagnes comme dans les villes sur plusieurs générations. Dans les années 1930, à Paris nait un courant nationaliste  demandant des droits pour les Algériens, dominé par Messali Hadj (1898-1974). S’opposent les modérés avec Ferhat Abbas et des partisans indépendantistes qui brandissent un drapeau conçu par la femme de Messali Hadj. Dans ce creuset, nait le soulèvement armé du 1er novembre 1954, qui apparait très vite le seul moyen d’obtenir des droits pour les musulmans. La voie négociée comme celle de la Tunisie de Bourguiba semble impossible vu les blocages de la société coloniale. Les événements du 8 mai 1945 en sont certainement les responsables. Alors que la France fête la capitulation de l’Allemagne dans les villes algériennes, plusieurs manifestations se terminent en bagarres et font des morts et des blessés parmi les Européens. Les jours suivants, des représailles sont menées par l’armée et la police, des ratissages, bombardements, tortures, qui rappellent les campagnes de « pacification » de la conquête. On parle de 15 000 morts de source française. En Algérie, on avance le chiffre de 45 000 tués. Cette violence de la répression convainc les militants nationalistes que seule la lutte armée est possible. Le FLN revendique les actions du 1er novembre alors qu’elles sont le fait de factieux lassés des distensions des chefs. L’historiographie officielle continue de diffuser l’idée d’un soulèvement né d’un élan unanime. Les hommes au pouvoir se présentent encore comme « les héritiers de la génération de novembre ». Le Hirak, réaffirme le 1er novembre 2019 qui tombe un vendredi, son inspiration de la geste révolutionnaire de 1954. Les Algériens parlent de « révolution » pour la guerre d’indépendance car ils veulent instaurer un ordre nouveau contrairement à la Tunisie et le Maroc qui se tournent vers la monarchie. Le Hirak reprend le terme de révolution car les Algériens ne connaissent pas la liberté. Pour la majorité des historiens, la victoire du FLN est avant tout politique même si la lutte armée et les sacrifices exigés de la population ont constitué un levier efficace pour amener la France à négocier. A partir de 1959, les opérations militaires françaises, l’usage du napalm par l’aviation, la neutralisation des maquis, entraînent de grandes difficultés pour l’armée de libération nationale (ALN). L’activisme du Gouvernement provisoire de la République algérienne a su internationaliser sa cause et isoler la France, ce qui a fortement pesé sur les négociations. Or, depuis l’indépendance, les différents pouvoirs ont toujours insisté sur la victoire du peuple, premier héros, pourtant souvent abandonné par la direction d’un FLN installé à l’extérieur du pays. La version officielle imposée par le régime stipule une victoire militaire des Algériens sur la France. Pour la plupart de la population, les attentats du FLN étaient justifiés au nom de l’indépendance. La fin justifie les moyens. Or beaucoup n’ont pas perçu qu’une guerre civile se jouait en toile de fond, opposant le FLN au MNA de Messali Hadj. Les militants de ces deux formations rivales se sont affrontés, entrainant aussi des limogeages dans la population civile qui ne se trouvait pas dans le bon camp. Cependant le parti unique au pouvoir depuis 1962 persiste à diffuser le geste libératrice du FLN. Deux points agitent cependant les intellectuels. Le sort de la communauté juive qui s’est trouvée désolidarisée du reste de la population par l’obtention de la citoyenneté française dès le décret Crémieux en 1870, ce qui a provoqué leur basculement pour l’Algérie française. Les juifs algériens sont donc partis avec « les pieds noirs » en ne gardant pas de lien avec leur terre africaine. Les harkis (de harka « mouvement ») forment un groupe de 450 000 musulmans qui ont combattu du côté des Français, soit parce qu’ils étaient des fonctionnaires, ou des engagés dans l’armée. 25 000 ont pu gagner la métropole, départ peu encouragé par la France. Qualifiées de « racailles » par Ben Bella, 57 00 voire 100 000 personnes auraient été exécutées. Certains ont changé de nom, d’autres de pays. Aujourd’hui, les harkis sont encore montrés du doigt et le pardon n’est pas à l’ordre du jour.

L’Algérie indépendante

Si l’indépendance est proclamée le 5 juillet 1962, une guerre civile éclate entre des opposants du FLN soutenu par Ben Bella, Boumédiène et Ferhat Abbas ou Mohamed Khider. Après une lutte fratricide, Ben Bella devient le premier président de la nouvelle République algérienne. Comme le mouvement nationaliste est né en France sous la houlette du PCF et que le combat du FLN a été soutenu par la Chine, l’Urss ou la Yougoslavie, le GPRA s’oriente vers des réformes d’inspiration socialiste. Les maîtres mots sont nationalisation et collectivisation. Les projets prioritaires sont la redistribution des richesses, la gratuité de l’enseignement et de la médecine. Ce socialisme spécifique pèsera jusqu’aux années 70. En juin 1965, Houari Boumèdiène et ses proches dont Abdelaziz Boutéflika constituent « un conseil de la Révolution » et destituent le président Ben Bella. La population ne bouge pas sauf les partisans des réformes collectivistes qui sont arrêtés. L’opposition demeure interdite et le FLN reste le parti unique au nom de la cohésion nationale. Une dictature est donc instaurée sans rien changer à l’orientation socialiste du pays. La sécurité militaire et les services spéciaux deviennent la hantise des Algériens qui craignent la torture. Cependant, Boumédiène permet le développement du pays en ce qui concerne les logements, les universités, l’emploi et l’Éducation. A sa mort, fin 1978, une foule en liesse accompagne sa dépouille. Le colonel Chadli Benjedid lui succède soutenu par le FLN. Les anciens dirigeants sont écartés accusés de corruption. Un virage plus libéral s’amorce mais le gaspillage l’emporte en même temps que les passe-droits qui se généralisent dans les cercles du pouvoir. Le choc pétrolier de 1979 génère des profits mal utilisés et des détournements de fonds publics. Aucune ouverture politique n’est possible. A bien des égards, la présidence de Benjedid (1979-1992) prépare une glissade vers le drame des années 1990. C’est pourtant à la faveur  de cette ouverture plus libérale, qu’apparait l’islamisme en Algérie. Ce dernier a profité de concessions accordées par le pouvoir comme le passage du weekend au jeudi-vendredi (1976) à de certains pays musulmans, ou l’adoption d’un code de la famille rétrograde et liberticide pour les femmes (1984). Le régime a nourri celui qui devait être son pire ennemi. Apparu en 1989, le Front islamique du salut (FIS) est devenu un acteur politique de premier plan. Les émeutes d’octobre 1988 ont dénoncé la nature du système politique du parti unique. Au début du mouvement, le régime promet l’instauration du pluralisme, ce qui génère un immense espoir dans la population. Mais ce ne sera qu’une courte parenthèse.

De la décennie noire aux années Bouteflika

L’expression « décennie noire » désigne la période qui va de l’annulation des élections remportées par le FIS en janvier 1992 jusqu’au retour d’une relative paix civile au début des années 2000. Durant cette période, le pays a connu une vague de violence effroyable dont le bilan non officiel fait état de 40 000 à 200 000 morts. Le FIS est dissous et des rixes entre les groupes armés et l’État (police, armée) s’ajoutent aux attentats ciblés sur les intellectuels, les journalistes, les artistes. Cette « sale guerre » atteint son paroxysme de 1994 à 1998. Le pays replié sur lui-même bascule dans l’horreur. En avril 1999, l’élection du président Abdelaziz Bouteflika coïncide avec un retour progressif à une paix relative. Près de 20 ans après les faits, aucune personnalité du pouvoir ne peut être jugée car les lois d’amnistie des années 2000 entravent la recherche de la vérité comme au temps de la guerre d’indépendance. Par contre, la paix civile semble revenue car le président Bouteflika a bénéficié de l’écœurement de la population permettant sa victoire aux élections présidentielles d’avril 1999. S’y ajoutent des négociations de paix entre le pouvoir et les islamistes en armes. Le parlement a alors adopté une loi dite de la Concorde civile qui offrait une grâce amnistiante aux groupes souhaitant renoncer à la violence. En août 2005, un référendum débouche sur « une charte pour la paix et la réconciliation nationale ». Cependant, instauré en janvier 1992, l’état d’urgence n’a été levé qu’en février 2011 à la faveur des printemps arabes. Les autorités ont, selon l’expression usitée dans le pays, « mis le couvercle sur le passé » sans que les victimes aient pu entamer des poursuites judiciaires. Contrairement à une idée reçue, les Algériens ont bel et bien investi la rue en janvier 2011 pour protester contre la vie chère. Mais la répression du régime a été d’emblée féroce avec des brigades anti-émeutes. Le pouvoir « achète  » la paix sociale avec des promesses d’aides. Le souvenir de la décennie  noire et le chaos semé par les révoltes dans d’autres pays savamment relayé dans les médias, ont vite dissuadé une population déjà échaudée. Aucune figure charismatique ne s’est dégagée du mouvement même chez les islamistes. Ceci explique peut-être que le président soit réélu quatre fois alors que ses problèmes de santé sont connus. En 2014, c’est son premier ministre qui fait campagne pour lui avec son portrait. Sa prestation de serment est d’ailleurs sa dernière prise de parole en public. Pourquoi est-il resté si longtemps ? Certainement parce qu’il représentait un certain statu-quo parmi les figures réellement au pouvoir comme son frère, le chef d’état-major de l’armée, le FLN. Aucun successeur consensuel n’a été trouvé. L’immobilisme du pouvoir a poussé à la contestation et au lâchage de l’armée qui a jugé la situation intenable. La 5e candidature d’Abdelaziz Bouteflika a constitué l’humiliation de trop pour les Algériens que le pouvoir pensait résignés et effrayés. Inédit, le Hirak se dit pacifique dans un pays habitué à une longue tradition de violence. Sa longévité exige un changement de système et trouve un écho au niveau national. Le 12 décembre 2019, Abdelmadjid Tebboune, ancien Premier ministre est élu au premier tour avec 58,13 % des voix pour une participation officielle proche de 40 % d’électeurs. Depuis ce scrutin, des insatisfaits jugent cette élection illégitime car une vraie transition démocratique n’a pas été réalisée.

La jeunesse

42 millions d’Algériens peuplent le pays contre 10 millions à l’indépendance sur une superficie de 2,382 millions de kilomètres carrés. 85 % de la population se concentre sur l’étroite bande côtière entre les deux frontières marocaine et tunisienne, de 250 kilomètres de la côte jusqu’au Sahara. L’accroissement naturel reste élevé par rapport aux autres pays maghrébins. Les traditions se perpétuent et l’influence de la religion contribue à empêcher une politique de planning familial. Plus de la moitié de la population a moins de 35 ans. On parle d’un nouveau babyboom. En raison d’une économie fondée sur l’exportation des hydrocarbures, le chômage des jeunes est très élevé, pour toutes les catégories, diplômés ou non. Le secteur informel et la débrouille sont les solutions pour subvenir à ses besoins. Ceci explique le malaise endémique perceptible au quotidien et l’hostilité contre le pouvoir et ses institutions. Une boutade locale résume la situation : « l’Algérie est un pays de jeunes dirigé par des vieux ». Cependant la jeunesse reste peu politisée et ne sort pas d’une simple contestation. Rien d’étonnant à ce que les jeunes Algériens soient des candidats à la harga, le fait de « brûler » ses papiers et de partir clandestinement vers l’Europe. La presse a consacré bien des articles à ce sujet et les réponses sont toujours les mêmes : les jeunes veulent partir car ils ne voient aucun avenir dans leur pays. Le fait de perdre une partie des forces vives de la nation ne semble pas émouvoir les dirigeants. Ce serait même le contraire puisque les émigrés deviennent des soutiens financiers pour leur famille restée au pays. Il ne faut pas non plus exagérer le phénomène car une majorité sait bien que « le mal-vie » chez soi est préférable à l’existence pénible d’un clandestin en Europe. Beaucoup de jeunes passent par le mariage. Musulman et de tradition islamique, celui qui se marie accomplit alors la moitié de ce qu’il doit au créateur. Les idées conservatrices condamnent les relations sexuelles hors-mariage et les unions se font avec l’accord de la famille même si les mariages arrangés sont plus rares aujourd’hui. Selon la loi religieuse, une jeune femme doit recueillir l’approbation d’un tuteur masculin qui peut être son père, ou tout autre homme de la famille. Le problème est le coût engendré par la fête et les négociations entre les deux parties pour les dépenses engendrées par le mariage.

La société

Deux millions d’Algériens vivent à l’étranger dont la moitié en France (La moitié a obtenu la nationalité française, des binationaux). Le pays a été une terre d’émigration bien avant l’indépendance. Certaines familles sont parties en Orient. Dès 1970, puis 1990, le départ de diplômés s’est confirmé. Presque toutes les familles ont au moins un parent qui vit à l’étranger. L’arabe darija est la langue la plus parlée avec le berbère au quotidien. Il s’agit d’une langue orale très peu écrite, héritière de l’histoire du pays. Sur le plan officiel, la darja est une langue mal-aimée. Sa diffusion est interdite dans les grands médias nationaux où seul l’arabe littéraire est autorisé. Par contre, depuis 2016 et l’aboutissement d’un long combat, la langue berbère ou tamazight (comprenant le kabyle, le chaoui, le mozabite et le targui) est considérée comme une langue officielle. L’arabe garde la prééminence avec le statut de langue nationale et officielle de l’État. Le français reste très présent, sans statut particulier, surtout dans le monde des affaires et dans l’administration. L’ensemble du système éducatif est arabisé seulement en 2019. Pourtant la majorité des cours de l’enseignement supérieur se font en français alors que le secondaire est en arabe. Le français est vu comme la langue des privilégiés car elle ouvre des portes professionnelles… Héritier de la colonisation, le baccalauréat constitue un événement important mais son taux de réussite n’est que de 55 %, ce qui entraine une vive critique du système éducatif, le diplôme étant fondamental pour poursuivre des études supérieures. Il est un marqueur social important. Le statut de la femme algérienne est régi par le Code de la famille adopté en juin 1984. Il s’agit d’un texte restrictif où l’Algérienne est dominée par un wali. La polygamie est autorisée contrairement à la Tunisie voisine même si elle est limitée. En Algérie, une femme ne peut pas se marier avec un non musulman et elle ne reçoit qu’une demi-part de l’héritage. Aujourd’hui, le monde change et beaucoup de femmes refusent de se marier pour échapper au modèle patriarcal traditionnel. D’ailleurs si la dénomination officielle du pays est une « République laïque », l’islam est la religion d’État. D’un côté, ce n’est pas une République islamique mais certaines lois sont inspirées de la religion. Le code pénal sanctionne pour des péchés graves mais aucun châtiment corporel n’est prescrit comme dans d’autres pays musulmans. La liberté de la presse n’existe pas en Algérie. Le harcèlement juridique s’exerce en permanence et quiconque écrit ou dit des propos qui déplaisent, se retrouve inquiété pour diffamation. D’après le site d’Amnesty International, 300 membres du Hirak ont été arrêtés depuis février 2019.

Photo de Walid Talbi

Économie et écologie

Les hydrocarbures sont les ressources essentielles du pays qui est le 18e producteur mondial de pétrole et le 9e de gaz naturel (6e exportateur de la planète). Les réserves prouvées sont très importantes. Ainsi l’auteur présente cette économie de rentes comme un handicap majeur. La vente des hydrocarbures représente 60% des recettes du budget de l’État et fournissent 98% des recettes d’exportation. Ces facilités empêchent l’émergence de secteurs économiques compétitifs dans l’industrie et les services, sans que le pouvoir réalise la vulnérabilité de cette manne dépendante des cours mondiaux. Ainsi l’éolien et le solaire peinent à se développer alors que la consommation intérieure augmente du fait de la croissance démographique. La compagnie Sonatrach devrait procéder à son premier forage pour extraire du gaz de schiste dans le Sahara. L’Algérie posséderait ainsi deux siècles et demi de réserves gazières ce qui rassure le pouvoir. Beaucoup craignent la contamination par polluants des importantes nappes aquifères fossiles et l’utilisation du Sahara algérien comme champ d’expérimentation par des compagnies étrangères qui n’ont pas le droit d’extraire de tels hydrocarbures sur leur sol.

Dès l’Antiquité, le pays a été une terre agricole, le grenier à blé de Rome. Longtemps nationalisée, l’agriculture a connu depuis les années 2000 des réformes en faveur de l’initiative privée. Aujourd’hui, elle s’avère un des secteurs les plus dynamiques de l’économie en constituant un réel débouché pour une main-d’œuvre non qualifiée. La production comprend les céréales (blé dur et tendre), les produits maraîchers ou arboricoles sans oublier le vin et l’élevage. Seuls 60% des besoins nationaux sont satisfaits. Des importations conséquentes sont nécessaires (viande rouge, laitage, céréales). Les fluctuations des cours alourdissent les factures. L’Algérie est vulnérable en matière de sécurité alimentaire.

A la fin de cette partie, Akram Belkaïd insiste sur la corruption des hommes au pouvoir qui possèdent des avoirs considérables à l’étranger. Il montre qu’il est difficile de créer une entreprise dans ce pays du fait de la lenteur de l’administration, du caractère aléatoire de l’application des lois et des règlements et de « la petite corruption », le Tchippa, mot pour dire « bakchich ». Le système bancaire s’avère obsolète : difficile de payer par chèque ou en CB. Les banques collectent l’épargne et servent à payer les salaires des entreprises publiques et des administrations pléthoriques. Les banques publiques n’ont pas vocation à prêter de l’argent aux entreprises ou aux particuliers et les banques privées sont très frileuses. On trouve beaucoup de devises étrangères au marché noir car le dinar n’est pas convertible pour les particuliers. Les paiements à l’étranger sont hyper encadrés par une administration figée sur la fuite des capitaux. Selon des chiffres officieux, le marché parallèle brasserait un chiffre d’affaire de 5 milliards d’euros. Ainsi les « remises de la diaspora » sont largement valorisées et des flux complexes servent aussi au blanchiment d’argent. Pour mettre fin à cette situation, il faudrait que l’Algérie accorde la convertibilité totale du dinar mais le gouvernement a peur de la fuite des capitaux.

Au niveau environnement, le pays est très pollué que ce soit l’air (circulation, chauffage et dégagement des champs pétroliers et gaziers) ou les sols car certains pesticides interdits en Europe sont encore utilisés. S’ajoute le problème majeur des déchets ménagers essentiellement plastiques qui défigurent le paysage et génèrent une grande saleté.

Culture

Ce chapitre montre la grande richesse de la culture algérienne. Il n’est pas possible de citer tous les artistes francophones, arabophones ou berbérophones dans les domaines artistiques évoqués : la littérature, la musique notamment le genre chaâbi ou le néo-chaâbi, la chanson berbère avec le chanteur-compositeur si connu, Idir ou le cinéma. La cuisine et ses plats spécifiques venant d’un héritage berbère-numide propose des plats à base de céréales, de légumes et de viande d’agneau ou le couscous décliné en une cinquantaine de recettes.

L’Algérie et son rapport au monde

Les Algériens ont peu de rapport avec le monde arabe. Un Algérien qui a les moyens préfère partir voyager en Europe ou en Turquie ou à la rigueur à Dubaï plutôt que d’aller dans les pays du Golfe. Bien sûr, l’existence de frontières verrouillées explique les obstacles aux échanges ainsi que l’attente pour obtenir des visas qui peut prendre plusieurs mois.

Les Algériens s’identifient à la cause palestinienne. C’est d’ailleurs un des rares sujets où la population approuve la position de l’État. Alger est le lieu où fut symboliquement proclamée la naissance de l’État palestinien en novembre 1988. L’homme de la rue voit le combat de ce peuple comme héritier des luttes coloniales. On a vu dans les manifestations de 2019 apparaitre trois drapeaux : algérien, amazigh et palestinien. Par contre, les Algériens ne se considèrent pas comme des Africains. Il existe un certain mépris pour les noirs qu’on appelle les Africains et même une défiance pour les Algériens de peau foncée.

Avec la France, les relations se sont apaisées. Quatre visites d’État ont eu lieu. D’après l’auteur, l’Algérie ne demande officiellement aucune repentance. Le contentieux majeur est le soutien français au Maroc sur la question du Sahara. Cette rivalité régionale oppose le Maroc qui estime l’ouest du Sahara comme partie intégrante de leur pays et l’Algérie qui pense que le peuple sahraoui doit avoir le droit de disposer de lui-même. Au nom de la « non-ingérence » dans les affaires internes d’autres pays, l’Algérie affiche une neutralité apparente dans les conflits libyens et maliens. Ceci n’empêche pas l’action des services secrets et de troupes spéciales. Les frontières sont étroitement surveillées pour contrôler de possibles infiltrations de groupes armés. Longtemps membre du « front du refus » qui s’oppose à toute normalisation avec l’État d’Israël, le pays est désormais en opposition diplomatique avec les monarchies du Golfe sur plusieurs dossiers notamment l’Iran. Alger refuse de voir la République islamique comme une ennemie (intervention de l’Algérie dans l’affaire des otages américains à Téhéran). Alger ne s’est pas associé non plus au blocus décrété par les Saoudiens et les Emiratis contre le Qatar accusé de soutien au terrorisme, ni au rapprochement Riyad Tel-Aviv, ni à la condamnation du régime de Bachar Al-Assad depuis le déclenchement de la guerre civile syrienne en 2011.

Les rapports avec les États-Unis restent cordiaux plutôt paradoxaux pour un pays socialiste, non-aligné, anti-impérialiste et du côté des Palestiniens.  Mais Alger a toujours pris soin de consacrer une partie de son budget d’achat à des équipements étasuniens tout en s’approvisionnant la plupart du temps en Russie. La Chine est l’autre partenaire économique majeur de l’Algérie. Alors que les entreprises étrangères fuyaient le pays en raison des violences armées, les Chinois acceptent de s’y installer et s’investissent dans des projets publics comme les autoroutes, les lignes de chemin de fer, des ensembles immobiliers. Symbole de cette omniprésence, la grande mosquée d’Alger, avec son minaret géant de 270 mètres, montre l’engagement chinois dans le pays. Durs à la tâche, de plus en plus intégrés, ces Chinois d’Algérie s’emploient à apprendre l’arabe algérien pour mieux s’implanter.

Si les premiers chapitres sont complets et synthétiques, la dernière partie est moins convaincante, trop condensée et allusive. Il faut dire que la collection des 100 ans questions oblige à limiter le propos ce qui est moins facile sur des questions de relations internationales et de la diplomatie.