Antoine Caron est un peintre maniériste français de la Renaissance, qui fut célèbre en son temps, actif du règne de François Ier à celui d’Henri IV. Ce livre, issu d’une thèse de doctorat soutenue en 2016, propose de croiser l’examen des œuvres avec l’étude de documents, suivant une approche chronologique. L’auteur, Frédéric Hueber, retrace le parcours de l’artiste tant à la cour qu’à la ville, au fil de ses commandes et au travers du dépouillement méthodique des archives.
La révision du corpus aboutit à un catalogue raisonné des œuvres que l’on peut attribuer à Antoine Caron.
A sa mort, Antoine Caron fut l’un des rares peintres du XVIe siècle dont la mémoire fut entretenue sous la forme d’une gravure (datée de 1599), signée de son gendre Thomas de Leu, accompagnée d’un quatrain louant son art. Autrement pour preuve, la chronologie collée, attribuée à Léonard Gaultier (1601) représente une galerie de 144 petits portraits en buste gravés, parmi lesquels figure le portrait d’Antoine Caron au côté de François Clouet – Portraictz de plusieurs hommes illustres qui ont fleury en France depuis l’an 1500 jusqu’à présent. Pourtant André Félibien, historiographe du roi Louis XIV et père de l’histoire de l’art français au service de l’Académie royale de peinture et de sculpture fondée en 1648, écarte Antoine Caron dans son premier volume des Entretiens sur les vies et sur les ouvrages des plus excellens peintres anciens et modernes.
La redécouverte d’Antoine Caron revient à Anatole de Montaiglon qui publia en 1850 la première biographie de l’artiste, s’appuyant sur le dépouillement systématique des archives. L’association du nom d’Antoine Caron avec les Massacres du Triumvirat, seule œuvre signée du peintre, est due à l’écrivain Michel Leiris en 1929 (mais la publication de son article passa inaperçue), alors que le tableau, pas encore entré au Louvre, est conservé dans une collection privée.
Sur la base d’observations iconographiques et stylistiques, une huile sur toile acquise par Gustave Lebel, passée en salle des ventes en 1936 à Paris comme une œuvre anonyme italienne du XVIIe siècle et identifiée comme une conversion de Constantin, est rapprochée des Massacres du Triumvirat et donc d’Antoine Caron. Il y reconnaît l’iconographie de l’empereur Auguste et de la sibylle de Tibur. L’année suivante ce tableau, avec désormais sa nouvelle attribution et son nouveau titre, est présenté pour la première fois au public à l’occasion de l’exposition « Chefs-d’œuvre de l’art français » au Palais national des arts à Paris.
Après la mort de Gustave Lebel, en 1945, son gendre, Jean Ehrmann, se chargea d’éditer en 1955 une monographie sur le peintre, aujourd’hui encore ouvrage de référence, mais largement critiqué. Des questionnements subsistent : Où Caron a-t-il appris le métier ? Quel rapport entretient-il avec la cour ? Qui sont ces principaux commanditaires ?
L’œuvre du peintre se compose de trois groupes : les dessins (la plus grande partie du corpus), quelques tableaux et les œuvres transposées (en enluminure, en gravure, en peinture, en vitrail, en tapisserie et en sculpture).
Les critères d’attribution pour le corpus peint se font à partir du tableau des Massacres du Triumvirat. Pour le corpus dessiné, il s’agit de la reine Artémise assistant aux exercices d’équitation de son fils.
Les premiers chantiers
Originaire de Beauvais, nous ne disposons pas d’informations sur ses années de formation, faute de documents. Cependant Antoine Caron est documenté sur les chantiers royaux, sans qu’on sache comment il a été introduit et quelles étaient ses connaissances en peinture à cette époque. Un compte des années 1540 est le premier texte où son nom est cité. Il est actif sur le chantier de transformation et d’embellissement du château de Fontainebleau, du temps de Rosso Fiorentino puis de Primatice. Il travaille alors à l’une des campagnes décoratives de la grande galerie (dite aussi galerie d’Ulysse), entre 1541 et 1547, en reproduisant sur la voûte et les parois des éléments décoratifs d’Antonio Fantuzzi. Deux planches dessinées par Androuet Du Cerceau témoignent partiellement de l’état de la galerie avant 1566. On devait y voir des grotesques. La grotesque all’antica est une peinture décorative produisant des formes végétales, animales et humaines sur un fond d’architectures abstraites. Cet art rencontre à nouveau un vif succès, depuis qu’il est remployé par Raphaël et son atelier aux loges du Vatican et à la Villa Madama, suite à la redécouverte de ces motifs décoratifs dans les catacombes ou les villas antiques, comme celle de la Domus Aurea de Néron (découverte en 1488).
Dans la galerie d’Ulysse, la grotesque s’étalait sur toute la voûte en berceau continu. A l’époque de Charles IX, sous la direction du Primatice, il contribua au « raffechissement » du décor du cabinet du roi (1561). Après ses expériences bellifontaines en qualité de peintre de grotesques, de devises, de trophées, la candidature d’Antoine Caron correspondait bien aux projets décoratifs du chantier du château d’Anet, succédant à Charles Carmoy. Il devient donc, durant le règne d’Henri II, le peintre attitré de Diane de Poitiers entre 1551 et 1559. C’est à cette époque qu’il rencontre sa future femme Ambroise Bitouzé (mariage en 1568 ?).
Grâce à son travail sur ces chantiers royaux il acquiert une solide pratique du dessin, un sens aigu de la collaboration et une ouverture vers les autres techniques, dont la gravure pour laquelle il développera par la suite un intérêt particulier.
Le peintre des entrées solennelles
Désormais installé dans la capitale, Antoine Caron répond à des commandes du prévôt des marchands et des échevins pour deux entrées triomphales du roi dans la ville de Paris. Depuis l’époque médiévale, il est d’usage d’organiser une entrée royale (par la porte Saint-Denis) à Paris après le sacre à Reims. Cette tradition est l’occasion pour la bourgeoisie urbaine de maintenir leurs droits et d’obtenir des faveurs du nouveau souverain. Charles IX a été sacré le 15 mai 1561 et son entrée solennelle à Paris était projetée pour le 10 juin, mais finalement elle sera reportée puis annulée, compte tenu du contexte de début de guerre civile. Un décor éphémère était à concevoir pour le parcours royal. Antoine Caron et Jacques Cousté devait réaliser la décoration de la tribune provisoire dressée devant le prieuré Saint-Lazare, en plus de la décoration de la porte Saint-Denis. Ce travail permet à l’artiste de mettre en avant ses compétences de peintre de « pourtraicture » (peinture narrative). Aucun dessin à rattacher avec ces décors n’a été recensé. Toutefois on peut considérer que des éléments décoratifs réalisés aient été remployés pour d’autres entrées, comme celle de 1571, bien documentée. En cela les gravures de Baptiste Pellerin peuvent donner une idée de l’agencement supposé de l’entrée de 1561.
Antoine Caron travaille aussi à l’entrée princière d’Henri de Valois dans la capitale, que Charles IX organise en 1573 à l’occasion de l’élection de son frère au trône du royaume de Pologne et de Lituanie. Une œuvre, Astronomes étudiant un astre, (conservée au Getty museum à Los Angeles) peut être rapprochée du programme décoratif de l’entrée de 1573. Dans cette huile sur bois apparaissent, à plusieurs reprises, des personnes dont les postures sont empruntées à la fresque de l’Ecole d’Athènes de Raphaël. Frédéric Hueber présente les différentes hypothèses avancées par les historiens de l’art pour identifier le thème iconographique (pages 69 à 71).
Les grandes entreprises de Nicolas Houel
Antoine Caron est employé dans les années 1560 par l’apothicaire Nicolas Houel (un important amateur d’art et collectionneur parisien de son temps) pour illustrer, par une série de dessins, l’Histoire françoyse de nostre temps et l’Histoire d’Artémise dédiée en 1563 à Catherine de Médicis. En effet le récit des reines Artémise (I et II) est confondu avec les faits et gestes de Catherine de Médicis, selon la volonté de Houel. A l’origine l’Histoire d’Artémise devait se composer de 74 illustrations. Aujourd’hui la série est incomplète et comporte 53 modèles de tapisserie provenant de fonds divers et dont 44 reviennent à Caron. L’Histoire des rois de France (de François Ier à Charles IX) comporte 29 dessins (dont 3 sont de la main de Baptiste Pellerin). Ces deux commandes ont permis à l’artiste d’avoir l’opportunité d’élargir sa clientèle et de se faire un nom sur le marché de l’art parisien.
Les Massacres et les Triomphes
La peinture des Massacres du Triumvirat est la seule œuvre datée (1566) et signée d’Antoine Caron. Cette huile sur bois a été commandée par Augustin Lemousse, apothicaire et épicier rue Saint-Martin. Le tableau met en scène dans une Rome imaginée les massacres qui suivent l’assassinat de Jules César. En 43 avant Jésus-Christ, Octave, Antoine et Lépide forment une alliance politique (le Triumvirat) contre le Sénat et les Républicains, plongeant Rome et l’Empire dans des années de guerre civile, décrites par Appien dans son Histoire romaine. Les triumvirs autoproclamés sont au centre de la composition, siégeant sous un dais érigé au sein du Colisée. Selon le récit d’Appien, Léna brandit devant eux les restes de Cicéron. A gauche, à côté de l’arc de triomphe de Septime Sévère, surmonté de la statue de Castor tenant la bride de son cheval, un soldat proclame les noms des personnes proscrites. L’œuvre peinte montre la grande confusion qui règne à Rome en ce temps-là. Pour représenter les architectures et sculptures antiques de Rome, Antoine Caron a vraisemblablement copié les gravures d’Antoine Lafréry. Frédéric Hueber souligne l’ambiguïté iconographique de ce tableau. Une première lecture d’ordre humaniste s’appuyant sur la tradition aristotélicienne, invite à réfléchir sur les différentes formes politiques qu’un gouvernement peut revêtir ; la monarchie constitutionnelle étant la forme la plus rationnelle. Hors ici la période transitoire du Triumvirat amène la tyrannie. Dans une version des massacres conservée au musée cantonal des Beaux-Arts de Lausanne, on distingue, à droite du tableau, un bâtiment sur lequel figure une citation latine « Cum tribus infoelix serviret Roma tyrannis haec rerum facies quam modo cernis erat » (Quand Rome infortunée servait trois tyrans, ces choses, dont tu vois seulement l’apparence, se passaient réellement). Ainsi les protestants dénoncent le danger politique que constitue le Triumvirat en faisant la comparaison avec l’association de trois grands seigneurs catholiques du royaume de France, le connétable Anne de Montmorency, François de Lorraine duc de Guise et le maréchal Jacques d’Albon de Saint-André. Une seconde lecture d’ordre anecdotique (exploitée autant par les catholiques que les protestants) est prétexte à dénoncer les atrocités de la guerre civile, depuis le massacre de Wassy en 1562. Cette iconographie tirée d’un épisode antique a probablement été introduite en France par Nicolo dell’Abate, dont le « prototype » est désormais conservé au musée de l’Oise à Beauvais (peut-être autrefois installé dans l’hôtel particulier d’Anne de Montmorency). On dénombre aujourd’hui une dizaine de tableaux sur ce sujet. Plus simplement, cette œuvre témoigne aussi de l’intérêt pour la « Romae descriptio », le goût pour la peinture topographique. Les recueils de poésie composés à cette époque s’inscrivent dans cette tendance. Par exemple, dans Premier livre des antiquitez de Rome, Du Bellay médite sur la grandeur passée de la ville antique au travers de ses ruines. Le tableau montre par ailleurs qu’Antoine Caron a reproduit des modules architecturaux contemporains, conçus par Philibert Delorme au château d’Anet : le cryptoportique, la balustrade à entrelacs ainsi que l’escalier à plan circulaire.
Le cycle du Triomphe des saisons d’Antoine Caron a fait l’objet de nombreuses interprétations iconographiques (page 107). Les trois tableaux qui nous sont parvenus présentent des différences de dimensions et d’exécution, laissant supposer que le cycle a suscité très tôt des copies (peut-être le cas du Printemps). Le Triomphe de l’Automne semble être perdu. Une hypothèse suggère que le cycle aurait pu être réalisé pour une fête à la cour des Valois.
Les commandes de fabriques
Antoine Caron a été sollicité au moins à deux reprises par des marguilliers pour fournir des modèles dessinés, qui seront ensuite transposés par des artisans parisiens soit en tenture consacrée à l’Histoire de saint Jacques le Majeur pour l’église Saint-Jacques-de-la-Boucherie (dont il ne subsiste que le clocher gothique flamboyant, connu sous le nom de Tour Saint-Jacques), soit en vitrail (par Nicolas Pinaigrier, peintre-verrier) représentant une Résurrection du Christ pour l’église Saint-Etienne-du-Mont (avant 1585). L’activité de cartonnier d’Antoine Caron est mise en évidence. Une fois que les marguilliers de la fabrique ont approuvé le projet (le modèle, une invention) élaboré par le peintre, les dessins sont mis à échelle sur un support de toile. Puis le carton d’exécution est livré aux lissiers. Il s’agissait certainement du renouvellement de l’ancienne tapisserie qui datait du début du XVème siècle. L’hypothèse retenue semble compter 13 pièces de tapisserie, dont quatre scènes nous sont connues par les archives. Une Résurrection du Christ, peinte sur bois, acquise par le musée de l’Oise de Beauvais en 1964 a été attribuée à Antoine Caron par Sylvie Béguin par comparaison stylistique au vitrail de Saint-Etienne-du-Mont. Elle a voulu y voir les traits d’Henri III dans le visage du Christ…
La gravure et le livre illustré
Dans ce domaine, Antoine Caron est aussi actif. Au début des années 1560, il fournit l’invention de l’Histoire d’Esther et d’Assuérus (une suite gravée de 6 planches) à un imagier, Denis de Mathonière, établi rue Montorgueil à l’enseigne de la Corne de daim. Cet ensemble témoigne de la collaboration étroite entre le peintre et le graveur, que l’on peut constater tant par la qualité de l’invention que par la finesse d’exécution. Là encore on retrouve des éléments architecturaux que Philibert Delorme a fait réaliser à Anet. Ces détails pourraient permettre de déterminer une datation de l’œuvre. On peut par ailleurs s’interroger sur la récupération de la figure d’Esther dans les milieux calvinistes à cette époque. La circulation des modèles et les échanges commerciaux entre les imagiers semblent se confirmer. En effet François Desprez, un marchand d’estampes ouvertement calviniste, tient boutique aussi rue Montorgueil à l’enseigne du Bon Pasteur et propose une Histoire de Troie qui adopte une même mise en page et reprend quelques éléments compositionnels de l’Histoire d’Esther et d’Assuérus.
Antoine Caron participe à la fin du XVIème siècle à l’illustration des Images ou tableaux de platte peinture de Philostrate l’Ancien (auteur du IIIème siècle). 10 gravures sur 68 portent l’invenit du peintre, autrement dit son nom, dans l’édition de 1614 (5 gravées par Léonard Gaultier et 5 autres par Thomas de Leu). Mais d’autres compositions pourraient lui être attribuées.
Ces travaux reflètent d’une part son aisance à produire de la peinture mythologique, et d’autre part sa proximité avec le milieu des éditeurs d’estampes. A noter qu’il a marié ses trois filles à des graveurs : Pierre Gourdelle avec Suzanne Caron en 1580 (remariée avec Paul de La Houve vers 1597), Thomas de Leu avec Marie Caron en 1583, Jean Haumont avec Perette Caron en 1588.
La faveur d’Henri III
Antoine Caron, qui avait participé au décor d’entrées solennelles en 1561 et en 1573, reçoit à nouveau une commande royale sous le règne d’Henri III, à l’occasion des noces d’Anne d’Arques, duc de Joyeuse (favori du roi) et de Marguerite de Lorraine-Vaudémont en 1581. La nature de sa contribution reste incertaine. Dans un tableau attribué à Francken, Noces du duc de Joyeuse, conservé au Louvre, le décor visible de la salle (de bal ?) fait de niches abritant des divinités, des vertus ou des allégories féminines, pourrait donner une idée du type de travaux exécutés par Antoine Caron. Il est possible aussi qu’il ait réalisé le décor des embarcations pour la fête nautique sur la Seine.
La même année, on lui confie l’exécution du grand tableau représentant la création de l’ordre du Saint-Esprit pour l’autel de l’église des Grands-Augustins (il s’agit du couvent des Grands-Augustins détruit pendant la Révolution française), siège de ce nouvel ordre de chevalerie (à partir de décembre 1578). Ce tableau devait représenter un portrait de groupe du roi et des premiers membres de l’ordre, tous vêtus du grand manteau et arborant le collier, en train de recevoir un nouveau chevalier (Ludovic de Gonzague). Cette œuvre est perdue lors des émeutes qui éclatent en 1588 à Paris après le meurtre du duc et du cardinal de Guise. Mary Levkoff propose de reconnaître la composition d’Antoine Caron dans le frontispice de l’évangéliaire de l’ordre du Saint-Esprit commandé à l’enlumineur Guillaume Richardière, et dont le feuillet est aujourd’hui conservé à la bibliothèque du musée Condé au château de Chantilly. On y voit le chevalier reçu, agenouillé sur un coussin, prêtant serment en apposant ses mains sur l’évangéliaire ouvert, en présence d’Henri III.
Des Valois à Henri IV
A la demande de Catherine de Médicis, Antoine Caron artiste largement reconnu des Valois, réalise 6 modèles dessinés sur les 8 pièces qui composent la Tenture des Valois. Conservée depuis 1589 à la Galleria degli Arazzi à Florence, elle a été offerte en guise de dot par Catherine de Médicis à Christine de Lorraine pour son mariage avec Ferdinand de Médicis, grand-duc de Toscane. Le choix de l’artiste par la Reine-mère peut d’autant mieux se comprendre qu’Antoine Caron a collaboré à toutes les fêtes qui sont représentées sur la suite tissée. Il est probable que les portraits ont été réalisés d’après une documentation fournie par le commanditaire.
La deuxième partie de ce livre est consacrée au catalogue raisonné, composé de 173 numéros, divisés en deux groupes : les œuvres autographes (119 entrées, correspondant à 113 dessins et 6 peintures) et les œuvres allographes, autrement dit celles réalisées d’après une invention d’Antoine Caron mais dont l’exécution ne lui revient pas. Il peut s’agir d’œuvres transposées pour lesquelles l’invention est perdue (54 entrées, comprenant 34 gravures réalisées d’après Antoine Caron et 10 peintures d’après son invention). Le catalogue des œuvres (accompagnées de brèves notices) est présenté de manière chronologique et transtechnique.
Frédéric Hueber propose ici quelques observations, d’ordre technique, stylistique et formel, permettant de mieux appréhender l’œuvre d’Antoine Caron. Il rappelle l’influence qu’exerce Nicolo dell’Abate dans sa formation de peintre, notamment pour l’ordonnance des compositions. D’autres noms sont aussi avancés, comme celui de Jean Cousin, qu’il n’a semble-t-il jamais fréquenté. Ce dernier a eu un fort impact dans la manière de suggérer la nature, caractérisée par une végétation pleurante envahissant les monuments antiques. Certains personnages, comme l’une des suivantes d’Auguste et la sibylle de Tibur, adopte une position typiquement cousinesque, en étant représentée les lèvres charnues et les bras croisés sur la poitrine. Les personnages d’Antoine Caron présentent des anatomies élancées, aux bras anguleux et à la démarche dégingandée. Fréquemment de profil ou de trois-quarts, ils arborent un grand front bombé, un nez droit, des yeux en forme de chevrons et un menton légèrement proéminent. Les vêtements ondulent artificiellement au vent. Les personnages en mouvement, adoptant un pas élancé, prennent parfois à peine appui au sol. L’artiste maîtrise les procédés pour donner de la profondeur à ses compositions en utilisant conjointement ou distinctement la perspective géométrique et la perspective atmosphérique.
L’auteur consacre un passage à l’art d’Henri Lerambert, à qui reviennent désormais plusieurs attributions.
A la suite du catalogue raisonné se dresse le catalogue des œuvres rejetées, au nombre de 25, attribuées à des artistes et des graveurs de l’entourage d’Antoine Caron, comme François Desprez, Henri Lerambert, Baptiste Pellerin.
Pour clôturer ce livre, l’auteur a consacré une partie à la transcription de 14 « pièces justificatives ».
Cet ouvrage, au-delà de l’étude et de l’analyse de l’œuvre d’Antoine Caron, a le mérite de contextualiser la production artistique en France au XVIe siècle, et plus précisément parisienne et bellifontaine. Ainsi on en comprend mieux les enjeux, les inspirations, les commandes. Aspirant davantage à un statut d’artiste plutôt que d’artisan, Antoine Caron a pu transposer et diffuser ses inventions dans des techniques variées comme l’enluminure, la peinture, la sculpture, la gravure, la tapisserie ou le vitrail, donnant ainsi à voir des œuvres multiformes, reflets d’une grande capacité d’adaptation à la diversité des commandes et des exigences de ses commanditaires. Cela lui permet d’étendre son réseau, en collaborant avec d’autres artistes et surtout des graveurs. A cet égard, il a été régulièrement copié, favorisant de ce fait sa notoriété. Enfin, il a joué un rôle d’intermédiaire entre les commanditaires et les artisans parisiens. L’auteur souligne dans sa conclusion qu’il reste encore des zones d’ombre notamment sur sa fortune personnelle ou sur son niveau de culture. En ce qui concerne la religion d’Antoine Caron, faute de testament, rien ne permet d’affirmer qu’il soutient la cause calviniste. Certes Beauvais est un foyer huguenot important, certes il fréquente des protestants (comme François Desprez), certes l’Histoire d’Esther et d’Assuérus et les Massacres du Triumvirat pourraient cacher une ambiguïté iconographique, mais il reçoit néanmoins les commandes de fervents catholiques.
On l’aura compris, ce livre, permet de faire la synthèse des recherches les plus récentes sur cet artiste polyvalent de la Renaissance française, avec beaucoup de précision, au plus près des sources, pour émettre diverses hypothèses d’attribution et de datation. La nature des commandes d’Antoine Caron, par leur caractère éphémère, particulièrement celles liées à des festivités, explique le faible corpus subsistant de son œuvre.