Dans ce nouvel opus de la passionnante « Histoire dessinée de la France », on suit le commis voyageur Jean-François Favrager à travers la France en cette fin du XVIIIe siècle. Le prétexte en est qu’il a entrepris ce voyage à la demande de son employeur, la société typographique de Neuchatel. Son objectif est d’écouler sa marchandise faite d’ouvrages interdits, de pamphlets et autres libelles scandaleux. Il poursuit en parallèle la quête du manuscrit d’un futur best-seller de Rousseau. Au fil des étapes et des rencontres, c’est l’occasion d’aborder la France dans sa diversité avec de grandes thématiques.
L’aventure commence en 1778
1778 est le point de départ de cette bande dessinée, ce qui permet aux auteurs de dresser un état des lieux du pays. On y découvre que la France est une monarchie administrative, plutôt prospère, et que c’est aussi le pays des « Lumières ». Cependant, il ne faudrait pas oublier que c’est aussi le royaume où agit Mandrin. Les auteurs expliquent aussi le système de la Ferme générale. A cause des interdits édictés, certaines villes suisses en profitent pour prospérer en jouant de leur proximité géographique et notamment pour la publication d’ouvrages.
A l’auberge
Jean-François Favrager rencontre tout d’abord pas moins que l’historien Robert Darnton. C’est l’occasion pour le lecteur de disposer d’un rapide résumé de son œuvre. Il montre, par exemple, que les ouvrages qui marchent le mieux au XVIIIe siècle ne sont pas vraiment ceux des Lumières. Les auteurs s’amusent à mélanger les époques avec des commentaires, façon réseaux sociaux, à propos de la qualité de l’auberge où réside Jean-François Favrager. La bande dessinée évoque ensuite les différentes guerres auxquelles la France participe, de la guerre de succession d’Autriche à celle d’indépendance américaine.
A Lyon
Cette fois, c’est l’historien Steven Kaplan qui intervient pour parler de l’importance du pain. C’est l’occasion d’expliquer les doctrines économiques de l’époque, mais aussi la guerre des farines. Le Roi doit être le père nourricier. L’aventure se poursuit avec une présentation du duel Voltaire-Rousseau. Le premier est une célébrité à l’époque et il apparaît sur des figurines ou des médaillons.
Direction Paris
Le colporteur se dirige ensuite vers le Panthéon, ou plutôt à l’époque la basilique Sainte-Geneviève. Des dissensions existaient à l’intérieur de ce qu’on a nommé ensuite les Lumières. Les auteurs interrogent d’ailleurs l’origine et le sens à donner à cette expression. La face obscure de ce mouvement n’est pas occultée avec les dérives liées par exemple au système de classification de la nature.
Marseille et le commerce
En 1720, la peste frappe la ville. Cette crise sanitaire est plutôt bien gérée par l’Etat pour éviter son extension. Cela permet de souligner que la Régence ne peut se résumer à la débauche de Philippe d’Orléans, aspect que l’on retrouvera d’ailleurs éclairci dans la deuxième partie de l’ouvrage, celle qui fait le point sur quelques grands thèmes. Michel Foucault intervient pour parler de la question de la surveillance.
Toulouse et la religion
Lors de cette étape, le rôle de la religion et des parlements est évoqué. Les auteurs présentent l’affaire Calas, ce qui est l’occasion de montrer les techniques de communication de Voltaire. On mesure la place et le statut des protestants dans cette France du milieu du XVIII ème siècle.
La question de l’esclavage
On découvre l’histoire de l’esclave Casimir, un cuisinier noir arrivé en France. La ville de Bordeaux se transforme grâce à l’argent du commerce colonial. De 45 000 habitants en 1715, elle passe à plus de 100 000 à la fin du siècle. La Place royale, commencée en 1726, est achevée en 1755. C’est un véritable balcon sur la Garonne.
Sur la route d’Ermenonville
Les auteurs dressent un portrait de l’agriculture en France. Des routes sont créées, notamment grâce à la corvée royale généralisée de 1738, et cela permet un meilleur acheminement des produits. La pomme de terre commence à se développer. Jean-François Favrager se rend à Ermenonville qui est le lieu de la dernière demeure de Jean-Jacques Rousseau.
Retour à Neuchatel
Ce chapitre aborde la place des femmes dans l’histoire avec, par exemple, le rôle des salonnières. On rencontre Louis-Sébastien Mercier, auteur du best-seller de l’époque, mais derrière tout de même les psaumes ou la Bible en terme de vente. Il a écrit le premier roman d’anticipation en imaginant Paris en 2440.
Actualiser ses connaissances sur la Régence et les produits d’époque
Comme à chaque fois dans cette collection, la seconde partie documentaire de l’ouvrage fait le point sur quelques aspects historiques pour être au courant des dernières recherches. Ici, l’expérience de la Régence est abordée. Les auteurs invitent à reconsidérer cette période qui est à situer entre continuité monarchique et gestation précoce des Lumières. Une autre entrée est consacrée à cinq produits, à savoir le sucre, le café, l’indigo, le tabac et le ginseng. C’est l’occasion de rappeler que la colonie française de Saint-Domingue voit sa production de sucre multipliée par quinze entre 1715 et 1788.
Paris et les Lumières
Deux autres chapitres sont consacrés à ces thèmes. Paris est alors une ville de 750 000 habitants qui compte pas moins de 25 000 chevaux. La ville représente 5 % du PNB de l’époque et sa réalité oscille entre « gouffre infernal et lieu de tous les possibles ». L’ouvrage se termine par plusieurs portraits d’administrateurs, entrepreneurs ou entrepreneuses qui ont mis en oeuvre des réformes ou produit des innovations. Henri-Léonard Bertin encouragea la création de sociétés d’agriculture tandis que Rose Bertin fut la première marchande de modes d’Europe.
Ce nouvel opus de l’Histoire dessinée de la France se lit donc avec grand plaisir et mine de rien permet de dresser un portrait actualisé de la France au XVIIIe siècle.