Cet ouvrage a été édité à l’occasion de l’exposition « Bonchamps et David d’Angers, Lumières sur un chef d’œuvre », réalisé par l’Association « les anneaux de la Mémoire dans le cadre de la valorisation du patrimoine », présentée à Saint-Florent-le-Vieil en 2018 et à Cholet en 2019. L’ensemble du guide est accompagné de documents riches et divers. C’est un ouvrage de 190 pages qui peut être utile dans le cadre d’un parcours E.A.C., en interdisciplinarité entre l’Histoire, le Français, les arts plastiques.

Le prologue ouvre sur ces mots : « les monuments ne sont pas que de pierre. Ils charrient une mémoire visible ; dont les oscillations ne sont pas toujours prévisibles. Le tombeau de Bonchamps à Saint-Florent-le-Vieil est de ceux-là ». Le traumatisme des violences extrêmes subies par l’Ouest de la France façonne une région-mémoire (un territoire qui coïncide avec l’ancienne Vendée militaire). Donc, ce monument commémore à la fois « un individu, un geste … une blessure collective ».

Emmanuel Fureix indique alors à qui le monument est consacré, à savoir Charles de Bonchamps, mort à la bataille de Cholet en octobre 1793. Le tombeau rappelle l’ensemble des victimes de la guerre civile, les massacres de masse aboutissant à la mort d’environ 200.000 victimes.

Le sculpteur ? Pierre-Jean David, dit David d’Angers (1788/1856), fils d’un soldat républicain fait prisonnier à la bataille de Cholet le 18 octobre 1793 … Il est libéral et nous nous le connaissons pour la réalisation de tombeaux de maréchaux d’Empire (Lefebvre et Suchet), puis également celui du général Foy. Mais, c’est lui aussi qui sculpte le fronton du panthéon, haut-lieu de la mémoire révolutionnaire (pas seulement). Opportuniste quand il accepte cette commande royale ? Pas seulement. C’est aussi l’artiste qui rend hommage à celui qui demanda de gracier les prisonniers républicains au seuil de son trépas. Enfin, l’auteur souligne son attachement à son « pays ». Un monument complexe donc ?

La présentation est concise et d’une rare clarté. S’appuyant sur l’effondrement d’un empire aux dimensions européennes, sur un désastre militaire face à une coalition dressée contre la France des Autrichiens, des Russes, des Prussiens et des Anglais, sans soutien de la Nation surtout qui accueille en grande partie le retour des Bourbons avec méfiance, résignation ou consternation. Il s’en suit une présentation des mesures adoptées par Louis XVIII. Sur le plan mémoriel, on honore les victimes royales, ignorant les victimes « ordinaires » de la Révolution. Le monarque se refuse à donner de l’éclat à une mémoire jugée explosive : celle des victimes de la Terreur, malgré les « entrepreneurs de la mémoire », très actifs au sein du clergé restauré et du camp ultraroyaliste. Une mémoire que l’auteur présente comme pathogène et instrumentale, ce dont Louis XVIII semblait avoir conscience. Il se contente de « restaurer la monarchie dans le domaine de la mort, la ressourcer par les larmes, tout en conjurant la guerre civile » en réparant une mémoire profanée (transfert des ossements de Louis XVI et de Marie-Antoinette en Janvier 1815 à Saint-Denis et célébration d’un deuil national chaque 21 janvier), construction d’une chapelle expiatoire à l’endroit de l’emplacement des ossements des anciens souverains au cimetière de la Madeleine).

Mais, que signifie le verbe « expier » ? Rendre hommage aux victimes ? Faire acte de repentance ? Punir les coupables et les exclure de l’espace public comme pour les Conventionnels qui ont voté la mort du roi Louis XVI en 1816 ? Donc des tensions mémorielles y compris dans l’Ouest de la France :

  • Organisation d’une « société du souvenir » avec les honneurs posthumes rendus aux soldats blancs tombés au cours des guerres de Vendée (La Rochejacquelein, Stofflet, Charrette, Cathelineau, Bonchamps).

  • Militantisme commémoratif par fidélité au roi et à la religion catholique.

Par qui ? Évêques, préfets, militants ultras non-vendéens, familles des victimes, bien sûr.

L’auteur présente la politisation de cette mémoire, mais qui n’est pas uniforme. Dans les « villes bleues », journaux libéraux, loges maçonniques, écoles mutuelles n’y adhèrent pas. Des monuments sont mutilés, Mr Fureix rappelle judicieusement l’exemple de celui de la Rochejacquelein.

Célébrer une mémoire héroïque et pacifier la société dans le présent : voilà les deux objectifs de l’État royal et tout ceci pour « conjurer le retour à une société civile » et « la montée des extrêmes ».

Prenons donc les conditions imposées par le roi Louis XVIII : le tombeau doit être édifié dans une église (et pas en place publique), doivent y être gravées ses dernières paroles de grâce à l’égard des prisonniers.

Enfin l’auteur s’attache à évoquer le contexte particulier du romantisme qui entre autres, rend un culte au sacrifice, une guerre perçue comme noble et glorieuse …

Donc, une présentation de l’historicité qui complète l’étude de l’œuvre, voici le parti-pris de l’ouvrage.

Une première partie aborde la guerre « horrible et désastreuse » de la Vendée. S’arrêter sur le contexte est important. C’est celui de la Restauration (1814/1870), avec le retour d’une dynastie bourbonienne brisée par le régicide du 21 janvier 1793.

Anne-Rolland Boulestreau s’attache à rappeler les origines du soulèvement de la Vendée, en s’attardant sur les prémices de 1789, de l’espoir à l’insatisfaction au soulèvement populaire. L’Ouest ne diffère pas des autres régions et réclame aussi des changements profonds. Adoption de la Constitution civile du clergé, limites des diocèses modifiées, procédure de nomination des curés qui bouleverse les communautés qui entraîne la division de la France catholique, une moitié acceptant la Constitution, l’autre la refusant. Mais, c’est surtout la vente des « biens nationaux » pour financer les réformes entreprises qui entraîne la frustration des paysans souvent devancés par des citadins. La Vendée entre dans la révolte bien avant, d’autant plus que l’auteur reprend dans un paragraphe l’opposition du roi, notamment à la guerre. Arrêté, guillotiné, c’est alors que ne nombreux officiers nobles rentrent chez eux, ils formeront les futurs officiers vendéens. Le basculement d’un état de paix à un état de guerre se produit à ce moment-là en Vendée, sur un territoire qui s’étend du Sud de la Loire-inférieure (actuelle Loire-Atlantique) au Nord de la Vendée, de l’Ouest du Maine-et-Loire au Nord des Deux-Sèvres. L’ensemble du discours est accompagné par des documents de qualité.

L’armée de l’Ouest est formée de 30 000 à 100 000 hommes au printemps 1794. L’auteur se montre précautionneuse sur ces derniers. Les Républicains (les Bleus) vont donc affronter les Vendéens (les Blancs). Les Vendéens ont quelques victoires à leur actif jusqu’à l’été 1793. A l’été 1793 ils échouent à reprendre Nantes, c’est alors la virée de Galerne, une manœuvre jugée particulièrement audacieuse par l’auteur, la présentation est accompagnée là aussi, par une carte thématique. Les Blancs échouent à prendre Angers, ils se replient, talonnés par les Républicains, ils sont battus au Mans et à Angers, une partie d’entre eux se réfugient dans le Choletais (Stofflet, la Rochejacquelein).

Une citation du général de brigade Westermann, en décembre 1793 est réutilisée à bon escient : « Il n’y a plus de Vendée. Elle est morte sous notre sable libre, avec ses femmes et ses enfants. Je viens de l’enterre dans les bois et les marais de Savenay. J’ai écrasé les enfants sous les pieds des chevaux, massacré les femmes qui, au moins, celles-là, n’enfanteront plus de brigands. Je n’ai pas un prisonnier à me reprocher. J’ai tout exterminé ». On se surprend à penser à La Mort est mon métier de Robert Merle … Certains officiers chercheront à protéger les civils, d’autres plus nombreux, s’accommoderont des massacres.

Sur quoi s’appuyaient les Blancs ? La complicité générale de la population, la bonne connaissance du terrain, la détermination à défendre une cause juste « Dieu et le Roi ».

S’ensuit une présentation des colonnes infernales du général Turreau. Chacune d’entre elles est composée de 1 500 à 2 000 hommes ; marchent de concert avec les autres et elles doivent s’épauler. Dans la réalité, les Bleus sont confrontés à la « petite guerre ». Mais, en quelques semaines sur le terrain, les colonnes massacrent 19 000 civils. Le chiffre est minimisé, l’auteur y rajoute les milliers de prisonniers déférés devant les commissions militaires angevines ou nantaises. La guerre de Vendée aura tué entre 160 000 et 220 000 personnes, Blancs et Bleus confondus.

Les civils sont les principales victimes.

C’est alors que les protagonistes s’engagent vers la pacification. Les premiers contacts ont lieu entre mai et décembre 1794 ; ils accompagnent des mesures d’apaisement, l’Église catholique apostolique et romaine est reconnue par exemple. Mais, les combats reprennent avec de Charrette et Stofflet jusqu’en 1796, les combats cessent, mais leurs effets sont dévastateurs et ceci durant plusieurs décennies.

Une seconde partie dresse le portrait de Bonchamps, présentant un souvenir étouffé, dresse les controverses sur les rôles de ce personnage historique, et s’arrête enfin sur une concorde contemporaine espérée des mémoires.

Charles-Melchior-Artus, marquis de Bonchamps, appartient à la noblesse ancienne de l’Anjou ; mais, son père lui laisse un héritage jugé médiocre, le château du Crucifix à Juvardeil, en Anjou. Affecté en Inde, il y reste un an et demi dans le contexte de la Guerre d’indépendance américaine. Il se marie avec Marguerite de Scépeaux, le 10 février 1789. Le couple s’établit au château de la Baronnière, à la Chapelle-Saint-Florent. Ils ont deux enfants. La biographie est un peu succincte, mais révèle l’essentiel des choix du personnage dans la période troublée. Investissant dans les biens du clergé, prêtant le nouveau serment, mais se retirant sur ses terres après les massacres de septembre 1792. Les 12 et 13 mars 1793, il est appelé à diriger les villageois, ils rejoignent d’autres insurgés et forment l’ACRA (Armée catholique et royale de l’Anjou) qui aurait été constituée de 40 000 hommes. Bonchamps participe à de nombreux combats (Bressuire, Thouars, Fontenay, …) et est blessé à de nombreuses reprises, il est mortellement touché le 17 octobre 1793. Il est reconnu pour ses valeurs militaires, mais également pour son humanité, y compris par ses adversaires (Hoche, Kléber) et incarne, selon eux, « l’honneur de l’Armée catholique et royale d’Anjou ».

Quid de son fameux « pardon », que certains historiens remettent en cause ? Il concerne 400 à 8 000 captifs conduits aux environs de Cholet. C’est un ordre donné à ses officiers et à son parent, Charles d’Artichamp, en présence de nombreux témoins. Anne Rolland-Boulestreau explique son importance dans un contexte de guerre civile, et surtout de « guerre à mort », qui a commencé dès mars 1793.

Ce pardon n’est pas anecdotique, d’autres ont lieu dans les deux camps. On cite l’exemple de deux petites filles graciées par un adjudant-général Savary. D’autres anticipent les massacres et préviennent les populations … Mais, l’auteur souligne avec justesse son exception par le nombre de victimes graciées.

Quels sont alors les enjeux de la mémoire du pardon de Bonchamps ?

Son geste est reconnu par l’état-major des armées de l’Ouest. Mais, cela ne contribue en rien à l’érection du monument, un peu sans doute à faire taire les polémiques. Généraux et députés réécrivent même l’histoire en s’attribuant le mérite de la libération du prisonnier, c’est le cas du général Léchelle, … un silence officiel au mieux tait l’événement. La mémoire est transmise essentiellement par les soldats républicains libérés. Ainsi, l’un d’entre eux, le négociant nantais Pierre Haudaudine (1756/1846), cherche à obtenir la reconnaissance de onze anciens captifs pour éviter la condamnation à mort de la veuve de Bonchamps, captive à Nantes. L’anecdote de la grâce de cette femme montre que le nom de Bonchamps est associé à l’événement.

Dans ses mémoires1, le général Kléber reconnaît le geste de Bonchamps, même si le chiffre des captifs est erroné.

Qu’en est-il des témoignages contre-révolutionnaires ? Le général républicain Auguste Thévenet 2 publie un véritable réquisitoire contre les Conventionnels réélus au Directoire. Le témoignage est intéressant : ancien général de brigade, il sert à la bataille de Cholet. Il évoque « un trait d’humanité, qui est sublime ». Nous disposons de rares témoignages de Vendéens : il est fait état du traumatisme, du fait des tâches multiples d’une région sinistrée en reconstruction. Silence étonnant que l’auteur explique par le fait que le geste était coutumier des Vendéens.

Belle recherche objective encore quand le texte reprend le déni de la marquise de La Rochejacquelein qui minimise le rôle de Bonchamps et évoque plutôt la répugnance des officiers à donner l’ordre de tirer. L’historicité fait état également de la première histoire des guerres de Vendée, de Berthre de Bourniseaux, notable des Deux-Sèvres, avec une reconstruction historique du fait de guerre.

C’est Beauchamp qui vient appuyer à la présentation. Fonctionnaire du Comité de Sûreté générale sous la Convention, puis du ministère de Police. C’est le premier à mettre en scène l’héroïsme de Bonchamps3. Il impose le chef vendéen comme auteur du pardon.

Des contestations émergent entre Vendéens. Thomas le Bouvier Desmortiers, ami de De Charrette, réfute la version, et s’ensuit dans l’ouvrage un rappel un peu long des différents témoignages évoqués.

Vers une concorde des mémoires ? En 1816, le maire de Saint-Florent-Le-Vieil attribue le nom de Bonchamps à une rue. La souscription est lancée, et le roi accepte le projet.

Le premier « monument » est littéraire. C’est une biographie de Pierre-Marie Chauveau, médecin-chef de la Garde nationale à Paris et curé de la Chapelle-Saint-Florent. Chargé de prouver grâce à douze pièces jugées significatives, dont neuf à posteriori des faits. Cela va de témoignages de soldats de Bonchamps, à celui de son confesseur, en passant par ceux de républicains. L’auteur cite également les Mémoires de la veuve du général.

Pour conclure, le geste est enfin établi grâce aux témoignages de survivants, de serments à la veille de la présentation du monument par David d’Angers en 1824 dans un contexte très bien défini par l’auteur. 4

Ensuite, les auteurs présentent la Vendée pendant la Restauration jusqu’en 1830, à la fuite du roi Charles X.

Mr Éric Morin reprend « le vivier inépuisable d’instants décisifs » des événements révolutionnaires pour des artistes jusqu’au XXe siècle.

Riches d’une longue bibliographie, La Vendée et les révoltes de l’Ouest de la France continuent de faire couler de l’encre. Quelques exemples illustrent les propos de l’historien. Jacques-Louis David avec son Serment du jeu de Paume, avec des phases de production plus ou moins actives, au gré des régimes politiques, de l’engouement pour la période révolutionnaire.

Deux grands sujets s’imposent : les scènes militaires et les portraits de combattants. L’auteur l’explique par la hiérarchie des genres en peinture établie par l’Académie : les scènes historiques et les portraits d’individus5 l’emportent sur les scènes champêtres et domestiques, les paysages, la peinture animalière, les natures mortes. Nous retrouvons donc une floraison d’attaques de villes, des traversées de la Loire, des opérations punitives. Bref, une imagerie de plus en plus convenue. Peu de mise en scène du peuple, hommes et femmes confondus.

Donc, pour résumer, les guerres de Vendée deviennent un sujet incontournable pour tout artiste de renom abordant l’histoire de France et la période révolutionnaire. S’ensuit une évocation de la situation politique précaire déjà reprise précédemment, ainsi que des actes de commémoration et de leurs polémiques au cœur d’une société en pleine effervescence.

Le romantisme vient bousculer les codes, c’est grâce à lui que les artistes s’affranchissent des règles. L’auteur reprend alors l’exemple des portraits des généraux vendéens6. A l’initiative de nobles, le monarque décide la commande de neuf portraits en pied, destinés à sa résidence royale : il s’agit des représentations de Bonchamps, Lescure, Charette, Cathelineau et Henri de La Rochejacquelein et de Louis de La Rochejacquelein, Suzanet, Pichegru, Moreau. Puis, vient la commande de d’Elbée, Talmont, de Frotté, de Précy, Cadoudal. La présentation n’est pas inutile, voire intéressante.

Ces tableaux ont en commun de faire l’éloge d’hommes de guerre qui ont soutenu la monarchie en danger, de revenir régulièrement dans l’actualité sous la Restauration, d’installer durablement le thème du combattant vendéen, et du héros. C’est obligatoirement un noble, aristocrate de naissance ou roturier aux valeurs reconnues, le physique est avenant, c’est un bon militaire, il participe à des combats fratricides, il affirme ses engagements par les insignes qu’il porte sur lui, …

La Vendée serait donc un point de fixation (sinon de crispation) et un terrain d’expérimentation aux yeux des politiques, des intellectuels, des artistes …

Pour compléter la présentation, Patrick le Nouëne dresse alors le portrait du père de David d’Angers, le sculpteur, et contextualise le personnage dans son époque.

Une partie un peu longue, celle qui concerne le père de David d’Angers. Il n’indique pas accepter la commande parce que son père a été gracié par Bonchamps. Lors de l’inauguration officielle, Il la consacre à « un Vendéen, à un royaliste et à un catholique ». Il est mis en avant l’attachement du jeune artiste à son pays natal. La revendication semble plus tardive. C’est à un de ses biographes qu’il évoque pour la première fois cette reconnaissance de la présence de son père7. En 1836, le contexte n’est plus le même, l’artiste est reconnu. En 1839, il écrit même la biographie courte de son père et y mentionne le fait, ainsi que l’engagement de son père. Pour alléger la charge de sa femme, il prend l’enfant à la guerre. S’ensuit une « tragique équipée » de quatre mois pour le jeune garçon, involontairement du côté des Vendéens. Revenu à la vie civile, son père lui apprend le métier de sculpteur. Il est inscrit à l’école impériale de peinture et de sculpture. La fin de vie du père est misérable, mais son fils veut l’honorer.

A la suite, le même auteur, Patrick le Noënne réalise la biographie de son fils, ses réussites, ses illusions et ses déconvenues dans son Anjou natal. De ses années de formation aux débuts de sa carrière sous la Restauration (1788/1816), son engagement, ses illusions et désillusions politiques et artistiques (de 1848 à 1855). Il y a enfin son dernier séjour en Anjou en 1855. Très intéressante, avec l’étude du monument, l’une des plus riches de l’ouvrage.

L’artiste naît en 1788, un an avant la prise de la Bastille. Il prend comme nom d’artiste, David d’Angers, pour se différencier de Jacques-Louis David, le peintre régicide, et pour honorer sa ville natale, qui ne lui passera jamais de commandes.

En 1801, il fréquente la classe de dessin de l’école centrale, y excelle, obtient le droit d’étudier la bosse, autrement dit, la sculpture ; Il poursuit sa formation auprès du successeur de Marchand décédé, Jean-Jacques Delusse. En 1808, il s’inscrit à l’école impériale de peinture et de sculpture, dans l’atelier du sculpteur Philippe-Laurent Roland. Il travaille pour se nourrir en parallèle et est reçu second au grand prix de sculpture en septembre 1810. Il est accueilli dans l’atelier de Jacques-Louis David ; il est aidé par la municipalité d’Angers, cette aide financière se révèle précieuse. Il remporte le grand prix de sculpture le 28 septembre 1811, et part pour Rome où il est quatre années pensionnaire du gouvernement. Il se rend à Londres pour copier les marbres d’Athènes (ramenés par lord Elgin), il rentre à Paris où il obtient l’atelier d’un maître décédé et une première commande8. D’autres s’enchaînent émanant de la maison royale, du ministère de l’Intérieur, ou de la préfecture de la Seine de Charles de Montault, évêque d’Angers ou encore du duc de Brissac qui lui commande un monument funéraire pour son épouse. Plusieurs commandes font de lui un artiste à la notoriété confirmée, ainsi celle de la restauration du tombeau du roi René à Saint-Maurice, qui ne verra pas le jour, mais rattache une fois de plus l’artiste à un territoire. En 1825, il obtient la légion d’honneur des mains de Charles X.

Il est élu membre de l’Académie des Beaux-Arts, le 5 mai 1826 et dans la foulée, le 9 décembre, professeur à l’école royale de peinture et de sculpture. L’auteur en fait le sculpteur officiel de la Restauration, à juste titre, il rappelle qu’il débute sa carrière en pleine réaction ultra-révolutionnaire.

Il prend part aux Trois Glorieuses, et affiche de plus en plus une sculpture engagée : il affiche ses convictions politiques, et met en avant le courage, la loyauté, le patriotisme. En Juillet 1830, la Panthéon devient un temple laïc, c’est à David d’Angers d’inscrire dans la pierre « Aux Grands hommes la patrie reconnaissante ». Mais, on lui reproche de plus en plus son manque de docilité, il n’aura plus de commandes gouvernementales, mais il poursuit projets et commandes grâce à ses réseaux, son talent reconnu. Il obtient ainsi la réalisation d’une série de bustes de médecins angevins, la statue du roi René exposée au bout de dix ans dans sa ville angevine. L’artiste s’engage une nouvelle fois au moment du renversement de la Monarchie de Juillet. Arrêté au début du règne de Napoléon, il est libéré à la seule condition de quitter le pays. Il se réfugie à Bruxelles, en Grèce. Il est autorisé à rentrer en France en 1853. Au-delà de ses opinions politiques, il réalise ainsi plusieurs œuvres qui honorent les grandes figures tutélaires de l’Anjou9.

Enfin, c’est au tour de Mme Véronique Boidard de présenter le monument, la partie que nous attendons le plus. Le parti-pris de ce catalogue est ainsi révélé : l’œuvre elle-même semble occultée par le passé du personnage historique. L’auteur s’arrête donc sur la commande elle-même, sur les propositions de l’artiste et les exigences des commanditaires, son financement, la réalisation de l’œuvre et l’inauguration officielle du monument.

Le monument est inauguré en 1825 à Saint-Florent-le-Vieil, dans l’abbatiale. Il existe trois autres exemplaires, l’un en plâtre qui précède le marbre, deux moulages exposés aux musées d’Angers et de Cholet. L’initiative du monument revient à Charles-Marie de Beaumont, comte d’Autichamp (1770/1859), un des chefs de l’insurrection vendéenne. Le monument est accepté par le roi à la seule condition de mettre en avant la mansuétude de Bonchamps et pas ses valeurs militaires. La souscription est lancée, on y trouve de nombreuses personnalités favorables au rétablissement de la royauté.

David manifeste son envie de le réaliser auprès du comte Arthur de Bouillé, le gendre de Bonchamps. L’artiste travaille en partenariat avec un architecte, Achille François René Leclerc (1785/1853). Le lieu choisi est le lieu même où il a accompli le geste de clémence. La pose du monument nécessite des travaux de restauration de l’église et des aménagements. Le monument est réalisé en marbre noir pour le tombeau, de Laval pour le soubassement. La partie supérieure est en marbre blanc, réalisée à Paris.

Onze dessins préparatoires anticipent la réalisation du monument. Le financement de l’ouvrage est laborieux. Mme Véronique Boidard s’attache ensuite à en présenter la réalisation. Soulignons une nouvelle fois la richesse de la documentation qui permet ainsi d’admirer les détails de la statuaire, révélateurs du talent du sculpteur.

Le temps de travail est estimé à deux ans. David travaille dans son atelier parisien. En 1824, la statue est presque achevée, l’auteur souligne que l’artiste a pris quelques libertés par rapport aux exigences des commanditaires. Elle est présentée en 1824 au Salon, l’exposition annuelle ou bisannuelle selon les périodes.

Le monument est inauguré le 11 juillet 1825, les restes de Bonchamps y ont été inhumés le 11 juin. Dans les jours qui suivent la cérémonie, des vétérans vendéens sont dessinés par l’artiste.

L’épilogue s’arrête alors sur la postérité des mémoires, antienne contemporaine chère à de nombreux auteurs. Bonchamps illustre la belle mort et c’est sous des traits antiques que l’artiste a choisi de le représenter. D’autres artistes choisiront de s’en inspirer, ainsi des vitraillistes, mais également des romanciers. Stendhal visite l’église et décrit le monument, mais aussi Louis Aragon, Julien Gracq dans ses Carnets du grand chemin. L’artiste se voit même récompenser par l’ouverture d’un musée de son vivant en 1839 ! Le succès rapide du monument a pour mission bien plus qu’un hommage posthume, d’être un « catalyseur d’une réconciliation difficile »10.

La bibliographie est riche et détaillée, elle appuie un ouvrage de qualité, à lire sans tarder.

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1 Mémoires militaires pour servir à l’histoire de la guerre de Vendée, texte resté inédit jusqu’en 1824.

2 Dit Danican, auteur de Brigands démasqués ou Mémoires pour servir à l’histoire du temps présent.

3 Il publie en 1806 une Histoire de la guerre de la Vendée de puis son origine jusqu’à la pacification de 1801 qu’il reprend en 1819.

4 « Au milieu de la diversité des souvenirs, des rivalités de personnes et des enjeux de la politique ». (P. 71).

5 « Ils sont jugés comme les seuls véritables sujets dignes d’intérêt, car seuls favorisent l’éclosion de sentiments moraux aptes à porter le spectateur vers des sommets de vertus. ».

6 « Cette série a joué le rôle de véritable matrice pour que puisse se structurer la Vendée en image ». Ces portraits sont aujourd’hui exposés au musée de Cholet.

7 « On a aussi oublié de parler d’un fait qui est vrai, c’est que mon père faisait partie des soldats républicains sauvés par Bonchamps. J’ai été heureux d’acquitter, en faisant cette œuvre, la dette des hommes qui ont dû la vie au général vendéen », dans la lettre que David d’Angers adresse à Adrien Maillard, un avocat angevin.

8 Celle d’une statue du Grand Condé qu’il doit achever.

9 Celles de Dumnacus, un Gaulois vainqueur des Romains, le défenseur de la Loire, le roi René, Beaurepaire, le héros républicain défait sur le Rhin.

10 Avec une belle reprise des mots de Pierre Chaunu, pour dépasser les traumatismes des guerres civiles, il faut que se rencontrent « l’histoire formulée » et la « mémoire palpitante ». L’art permet ainsi une forme de « réconciliation » nationale autour d’un événement douloureux.