Les auteures sont toutes deux spécialistes de la France pendant la Seconde Guerre mondiale. Dominique Missika a notamment travaillé sur la captivité de Léon Blum, les enfants juifs pendant l’Occupation, notamment ceux d’Izieu et, plus récemment, sur Simone Veil (Les Inséparables, Simone Veil et ses sœurs, Seuil, 2018). Bénédicte Vergez-Chaignon a pour sa part co-dirigé avec Eric Alary le Dictionnaire de la France sous l’Occupation (Larousse 2011), elle est spécialiste de l’histoire de Vichy et de l’épuration, auteure, entre autres, d’un Pétain (Perrin, 2014), elle a aussi publié une biographie de Jean Moulin (Jean Moulin, l’affranchi, Flammarion, 2018).
C’est dire que, s’il s’agit officiellement d’un « beau livre » plus que d’un livre d’histoire au sens universitaire du terme, l’expression ne rend pas compte du travail des deux auteures qui présentent un ouvrage, certes tout à fait abordable par le grand public mais parfaitement informé autour d’une problématique novatrice, la Seconde Guerre mondiale en France à hauteur d’enfant. Il s’agit de présenter le quotidien des enfants, leur perception de la guerre, leur instrumentalisation, leurs souffrances et la tragédie qui les attend, dans le cas des enfants juifs.
Leur parti pris a été de proposer autant d’images que de texte proprement dit, celui-ci étant pour l’essentiel composé à partir de très nombreux témoignages écrits. Trente-sept auteurs de mémoires sont cités en fin de volume, tant des historiens devenus des maîtres dans notre discipline comme Alain Corbin, Michel Winock ou Mona Ozouf, que des écrivains qui se sont penchés sur leur enfance comme Georges Perec ou François Maspero, un grand dessinateur comme Tomi Ungerer ou des anonymes, tout aussi passionnants et souvent émouvants. Mais, s’ils sont l’ossature du texte, ces témoignages ne représentent qu’une partie des sources des auteures puisqu’elles utilisent aussi la presse de l’époque, des textes officiels, des ouvrages universitaires aussi bien sûr, mais aussi des documents plus originaux tels des rédactions d’enfants ou des journaux destinés au jeune public (devenus rares puisqu’à partir de 1942 les Allemands suppriment toute presse enfantine en zone occupée, sauf Le Téméraire, journal d’idéologie nazie qui paraît à partir de janvier 1943).
En ce qui concerne l’iconographie, elle est aussi très variée et surtout, pour une fois, valorisée par la grande place qui lui réservée: photos de presse, affiches, couvertures de magazines ou de livres, et, plus original, dessins et rédactions d’enfants qui sont souvent présentés peine page.
Puisqu’il s’agit d’un recueil de textes et d’images à part égale, il est important de se pencher sur la couverture de l’ouvrage : une photo en noir et blanc, un petit garçon bien peigné, une barrette tient sa frange si sage, il est très soigné, il doit avoir 4 ou 5 ans et de son bras droit il serre son ours en peluche un peu râpé, image de paix donc, sauf que… lui pend au cou un énorme tube dont nous devinons qu’il s’agit de l’étui de son masque à gaz. Le ton est donné et la problématique en quelque sorte posée : quel fut le sort des enfants entre 1939 et 1945 ?
Le plan de l’ouvrage est classiquement chronologique : six chapitres le premier, « la guerre c’est maintenant » est consacré à l’entrée en guerre, les alertes, la drôle de guerre puis l’offensive et l’exode qui concerne au moins deux millions d’enfants, quand 90 000 d’entre eux sont déclarés perdus et pris en charge par la Croix Rouge.
C’est la vie quotidienne qui constitue les trois chapitres suivants : «Aller à l’école » avec nouveaux programmes scolaires, portraits du Maréchal, conseils d’hygiène et participation des enfants aux diverses campagnes de collecte : journaux, marrons d’Inde (pour huile et la farine destinées au bétail) ou à la chasse aux doryphores. Puis « se nourrir, se vêtir, jouer ». Rutabagas, « mayonnaise de guerre sans huile, sans moutarde et sans œufs », bonbons et gâteaux vitaminés, cartes de rationnement, « lapins des écoles » et marché noir sont le quotidien de ces enfants comme le froid, les sabots en ville pour remplacer les chaussures. Peu de livres, peu de jouets, reste le cinéma qui, curieusement n’occupe qu’une page alors qu’on sait à quel point il compta pendant la guerre.
« Subir, souffrir, participer » est le titre du chapitre quatre. Sont abordés le sort des enfants réfugiés et sinistrés, les bombardements par les Anglais ou les Américains, l’omniprésence des soldats allemands et les réactions qu’elle suscite. Puis les enfants de collaborateurs (une page sur les enfants d’Henri Lafont), eux-mêmes parfois précocement engagés comme ces cadets du Rassemblement National Populaire de Marcel Déat qui figurent en photo avec des brassards de la JNP rappelant ceux de la Hitlerjugend. Un court passage (une page de texte et trois planches) est consacré aux enfants dont le père est prisonnier en Allemagne et enfin le livre s’intéresse aux enfants de résistants, à leurs actions et aussi à leurs adieux à leurs familles, comme aux actes de résistance de certains enfants : aide au passage de la ligne de démarcation, transport de faux papiers ou de messages. On notera un dessin d’enfant du Général de Gaulle provenant du Musée National de la Résistance.
Le chapitre cinq s’attache à décrire « la tragédie des enfants juifs ». Rappel de la politique de Vichy qui n’attend pas de pressions allemandes pour prendre des mesures antisémites, loi sur le statut des Juifs, camps « spéciaux » en zone libre, obligation de se déclarer auprès des sous-préfectures en zone occupée, couvre-feu, interdiction de déménager, colonies de vacances refusées aux enfants juifs… Choc de l’obligation du port de l’étoile jaune à partir du 29 mai 1942 (photo poignante d’un ancien combattant amputé d’une jambe et porteur de ses médailles avec ses enfants, la fillette portant l’étoile alors que son jeune frère n’a pas encore l’âge). Plusieurs pages sont consacrées aux rafles et notamment aux rafles d’enfants : Izieu, foyer de Saint Mandé (sur les dix-neuf fillettes présentes sur la photo et raflées sur ordre de Brunner le 22 juillet 1944, une seule reviendra d’Auschwitz). Sont enfin présentés plusieurs témoignages d’enfants sauvés, notamment celui de Boris Cyrulnik.
Le dernier chapitre s’intitule « La Libération et après… ». Débarquement en Normandie, bombardements, derniers combats avec des exemples d’enfants aidant les maquis et y perdant la vie comme Mathurin Henrio à Baud ou, évidemment, le drame d’Oradour avec une page consacrée au destin de Roger Godfrin, 8 ans au moment du massacre, qui parvient à s’échapper et a perdu ses parents et ses trois frère et sœurs, il figure à une cérémonie du souvenir le 11 décembre 1945, « Petit Poucet martyr ». Puis la Libération, la fête, les Américains et la rentrée 44 où le sujet de rédaction n’est pas « Racontez vos vacances »mais « Racontez la libération de votre ville ». Les difficultés de la période 44-45 sont bien documentées tout comme la joie du 8 mai 1945 ainsi que le retour des prisonniers et de certains déportés. Mais tous, très loin de là, ne rentrent pas, le livre évoque bien l’attente, le plus souvent déçue, l’angoisse devant l’avenir et le non-dit : « Rares sont ceux à qui on dit clairement : « tes parents sont morts ». » Devenus pupilles de la Nation en grande majorité les enfants juifs sont pour une partie d’entre eux hébergés dans des maisons d’enfants crées à leur intention. L’ouvrage aborde enfin le sort des enfants de collaborateurs et, très rapidement, celui des enfants nés de père allemand et de mère française.
Le livre se conclut sur le sort réservé à tous ces enfants de la guerre, problèmes de santé, de délinquance pour laquelle l’ordonnance du 2 février 1945 insiste sur la protection et l’assistance dues aux mineurs, de réadaptation dans un monde où tous les repères ont disparu, mais aussi lent retour de l’abondance et « espoir d’un monde meilleur »….
En résumé ce livre sera utile sur une thématique encore peu travaillée, il fourmille d’exemples vivants et parfaitement référencés, tout à fait utilisables en cours à des niveaux variés. La bibliographie sera très utile à tous ceux qui recherchent des témoignages sur la période. A signaler aussi l’importance de sources documentaires à retrouver sur Internet qui pourraient permettre de proposer des recherches individuelles à des élèves. Je ne ferai au fond qu’une critique mais, selon moi, importante : certes les images sont omniprésentes et tout à fait pertinemment choisies, mais elles sont en général considérées, comme trop souvent hélas, comme des illustrations et sont rarement décodées ou vraiment commentées.