Les éditions Picard nous proposent un ouvrage d’excellente facture qui allie à la fois toutes les qualités d’un très beau livre à la riche iconographie et la précision, à la rigueur scientifique d’actes de colloque international. S’il est courant de connaître l’influence du Proche-Orient et de l’Égypte sur la civilisation grecque, l’objet de ce recueil aborde la question beaucoup plus originale de l’influence culturelle grecque de l’Égypte jusqu’à l’Asie centrale et l’Inde. Au début du Ier millénaire av. J.-C., les transferts culturels entre les deux mondes ne remettent pas en question la nature profonde de chacun d’entre eux mais, après la conquête Alexandre et la division de son empire, un phénomène général d’acculturation grecque s’impose. Les échanges favorisent la diffusion de cette culture qui désormais s’élabore également à Alexandrie, à Pergame, à Bactres… Qu’en est-il réellement de cette acculturation? Ne serait-ce pas, parfois, le modèle oriental qui s’impose au conquérant?
L’influence grecque
Partant des découvertes les plus récentes, les auteurs adoptent une démarche à la fois thématique et géographique. Ils montrent comment, après la conquête de l’empire perse par Alexandre, le Proche et le Moyen-Orient s’ouvrent largement à la culture grecque, comment la plupart des anciennes métropoles et résidences royales perdent leur prestige et leur rôle au profit de nouvelles capitales qui sont également des foyers culturels (Antioche, Pergame, Séleucie du Tigre…), comment d’autres villes (dont certaines, comme Aï Khanoum, sont reconstituées en trois dimensions) sont créées, parfois en lien avec le grand commerce entre la Méditerranée et l’Orient lointain, le long de la route de la soie. Les routes maritimes ne sont pas non plus délaissées. Les liens qui existent, au moins depuis le IIIe millénaire av. J.-C., entre la Mésopotamie et l’Indus sont certes connus depuis déjà longtemps ; ici, les auteurs se sont attachés à comprendre comment les Grecs se sont appropriés les conditions météorologiques particulières à l’Océan Indien (c’est-à-dire le phénomène de mousson), l’impact que cela a eu sur la représentation cartographique ( la côte de l’Inde étant alors orientée Nord-Sud et non plus Est-Ouest).
L’apparition des premières monnaies en question ?
Au sein de ces territoires, il est habituel de montrer l’apparition de la monnaie et son rôle ; mais si les pièces d’argent sont facilement acceptées, celles de bronze sont parfois rejetées. Par ailleurs, la découverte, en 2007, d’un trésor (14 kilogramme d’argent parmi lesquels quatre lingots pèsent chacun 400 grammes soit à peu près 72 cycles achéménides) à Shaikhan Dehrior modifie l’idée qu’on se faisait jusqu’à présent de la circulation monétaire et l’origine des premières monnaies. Une production monétaire y existerait-elle avant même l’arrivée d’Alexandre le Grand ? Et d’où vient tout ce métal ? Bien évidemment les échanges ne sont pas seulement économiques mais aussi artistiques et culturels. Ainsi parmi les textes bouddhiques paracanoniques, les questions de Milinda (le Milindapanha) mettent en scène et célèbrent la gloire et la sagesse d’un roi hindo-grec, Ménandre. Quant à Alexandre, il est dans la littérature persane, le héros généreux, pacifique, modéré, empli de vertus. L’iconographie n’est pas oubliée ; Palmyre, Hatra, Doura-Europos, Begram, Le Nemrud Dag, Pétra sont tour à tour conviées.
En ces contrées, aujourd’hui sous les feux de l’actualité, où les scènes de violence et de pillages font actuellement parties du quotidien, les témoignages de cet Orient hellénisé disparaissent peu à peu. Cet ouvrage à la riche iconographie n’en est que plus essentiel !
Véronique GRANDPIERRE