Marcel Dorigny est historien spécialiste de l’esclavage. Il s’intéresse en particulier aux dénonciations des pratiques esclavagistes, aux différentes formes de résistance et aux enjeux mémoriels.

Une « histoire par l’art » plutôt qu’une « histoire de l’art » : voici comment Marcel Dorigny qualifie le projet qui a donné naissance à ce très beau livre, un livre à voir plutôt qu’à lire. En effet, hormis la préface, l’ouvrage est entièrement constitué d’œuvres, près de deux cent en tout, relevant de créateurs, de formes, d’esthétiques, de courants et d’époques si divers qu’il serait difficile d’en faire une description complète. Cette démarche originale découle du rôle des arts dans la « lente maturation des esprits » qui conduisit au rejet des pratiques esclavagistes. Chaque œuvre, choisie pour son sujet, est décontextualisée de son courant artistique. C’est l’enchaînement ordonné des œuvres qui créé du sens et nous raconte une histoire, celle de l’esclavage et de la lutte pour son abolition, celle aussi des mémoires et des blessures qui en découlent dans les sociétés contemporaines. Les formes artistiques retenues sont nombreuses (littérature, peinture, architecture, sculpture, installation …), ce qui fait toute la richesse de l’ouvrage où se côtoient des œuvres et des artistes connus et d’autres à découvrir, des œuvres anciennes et des œuvres très récentes (Le chant des sept tours de Laurent Gaudé, 2017).

L’ouvrage est divisé en thématiques qui retracent l’histoire de l’esclavage. Le premier thème abordé est celui du navire négrier. On y décrit toute l’horreur du voyage à travers des œuvres comme celle de Romuald Hazoumé (La bouche du roi, installation, 2005) qui dresse un parallèle évocateur avec la situation contemporaine. Une deuxième partie, consacrée au corps de l’esclave, montre des hommes marqués jusque dans leur chair par les supplices infligés par les maîtres et leurs serviteurs. Le troisième chapitre, « chasseurs d’esclaves », décrit une réalité peut-être plus sombre encore, celle des chiens dressés pour attaquer et terroriser les esclaves. Le thème suivant, « Héros et héroïsation » présente des personnages clés de la lutte contre l’esclavage : Toussaint Louverture, Louis Delgrès. Si Victor Schoelcher n’intègre pas cette catégorie, c’est parce que pour Marcel Dorigny la liberté n’a pas été donnée, elle a été conquise. Le chapitre « Militer et philosopher » qui vient ensuite laisse une large place aux écrits des auteurs des Lumières qui les premiers ont mis en avant l’injustice de l’esclavage. Le thème suivant, « peindre la révolte », laisse voir des œuvres traduisant les combats contre l’esclavage, mais aussi des œuvres issues du mouvement afro-américain de lutte pour les droits civiques et pour l’égalité, faisant entrer en résonance deux temporalités différentes. Après une partie sur « L’esclave libéré », la fin de l’ouvrage est consacrée à la mémoire de l’esclavage, aux musées et lieux de mémoire inaugurés ces dernières années lorsque le passé esclavagiste, remontant à la surface, est venu prendre place dans les enjeux mémoriels contemporains.