Ce compte-rendu est le résultat d’une rencontre imprévue un après-midi de décembre au Mémorial de la Shoah. Alors que je parcourais les rayons de la librairie à la recherche de quelques livres, j’entendis malgré moi une conversation à laquelle j’ai fini par participer. Quelques jours plus tard, Nada Abillama-Masson m’envoyait son livre, l’histoire de sa vie, publié aux éditions Tétraèdre dans la collection « l’écriture de la vie » dirigée par Christine Delory-Momberger. L’intitulé de cette collection « est ici entendue comme une attitude première du fait humain : dès qu’il veut se saisir de lui-même, l’homme écrit sa vie. Il n’a pas d’autre moyen d’accéder à son existence que de figurer ce qu’il vit à travers le langage des histoires. Les hommes ne font pas le récit de leur vie parce qu’ils ont une histoire : ils ont une histoire parce qu’ils font les récits de leur vie La collection propose des ouvrages à dimension théorique et historique ainsi que des récits biographiques (récits de formation ou d’itinéraires professionnels, biographies intellectuelles, expériences collectives, histoires généalogiques), des journaux et des correspondances, qui s’éclairent les uns les autres »[i].

L’auteur : Libanaise et Française, Nada Abillama-Masson est installée à Paris depuis 30 ans, après une adolescence passée entre Alger, Nice et Beyrouth. Docteure en psychologie de l’éducation et formatrice à l’IRTS de Paris auprès d’éducateurs spécialisés. […] Malgré ses nombreux déplacements, et sa vie qui s’égrène loin de son elle reste très attachée. Pour l’aider à tracer l’exil et à penser la transmission, elle écrit.

Ses mémoires ciblées débutent en 1973 avec le début de la guerre civile. Nada a alors 6 ans et sa vie s’interrompt : Noël, anniversaire, école, amitiés se retrouvent au milieu des déflagrations jusqu’à ce que la décision tombe en avril 1976 « on s’en va » (p.19) et d’abord pour Jdeideh, une bourgade proche de Beyrouth. S’en suivent une série de chapitres, courts brefs où elle évoque les nombreux aller et retours effectués entre le Liban et l’Algérie devenue terre de refuge en 1976 et 1977 puis à nouveau en 1979 à la suite du déclenchement de la guerre des Cent jours contre les Syriens qui contraint une partie de la famille à s’exiler de nouveau. Puis vient l’exil en France en 1979 le temps d’une année. Arrivée à Nice, Nada est inscrite au lycée Calmette. A nouveau, la question de l’intégration, les amitiés, la découverte de la culture, ponctuées des aller et retour en Algérie afin de voir son père. Le traitement de ses souvenirs, courts et brefs, touche à l’essentiel sans surcharger de détails ce qui peut faire penser à la manière dont Nathalie Sarraute avait su restituer les siens.

Puis la famille retourne au Liban en 1980 pour une durée de 8 ans. Cette partie du livre nous livre quelques belles pages où le poids de la guerre imprègne le récit. L’état de tension du pays se situe entre la vie et la mort, décrites comme des sœurs jumelles se livrant une guerre fratricide (p.77). Nada Abillama-Masson évoque des événements politiques marquant dont l’élection de Béchir Gémayel et le désespoir à la suite de son assassinat et la figure incontournable de Michel Aoud. Elle ne se livre pas à une analyse géopolitique, ce n’est pas l’objectif du récit de sa vie, mais livre son ressenti personnel face à son pays déchiré en proie à la peur et à l’omniprésence de la guerre dans la vie quotidienne pour en retirer ce qui, sans doute reste toujours d’actualité : « Être musulman ou être chrétien n’est pas de bon augure en ces temps où la religion est mêlée à ce qui ne la concerne pas ». A ses souvenirs se mêlent ceux de son amie Rita, monitrice dans un centre pour enfants en difficultés, rencontrée en juillet 1985. Le livre se concentre alors sur le conflit lui-même et rapporte les souvenirs précis de la guerre de Rita en tant qu’exilée de l’intérieur. Chrétienne contrainte au départ à la suite de l’arrivée dans son village de Palestiniens accompagnés de Druzes, Rita a vécu les tensions liées à l’exil de l’intérieur, saisissables pour le lecteur grâce aux anecdotes précises qu’elle rapporte avant que Nada Abillama-Masson interroge la notion de Pardon dans le cadre d’un conflit inter-religieux où des individus ont renoncé à cohabiter en paix. Au final, l’ouvrage prend une autre dimension, celle où le lecteur se sent transbahuté mais à juste titre car il suit ainsi et permet de saisir le sort des libanais, entre ceux exilés de l’intérieur et ceux de l’extérieur.

Cécile DUNOUHAUD

 

Préface de Gérard Netter

[i] Présentation de la collection sur le site de l’éditeur : https://www.teraedre.fr/

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