La Guyane à travers les cartes : un projet novateur ?

La parution d’un atlas dédié à la Guyane répond à une interrogation d’apparence simple : comment représenter le territoire guyanais ? Pour répondre à cette question, l’écriture a été réalisée sous la direction de deux chercheurs au CNRS, Laurent Polidori (UMR Cesbio à Toulouse) et de Matthieu Noucher (UMR Passages à Bordeaux).

Cette équipe de 83 auteurs se compose principalement de géographes (François-Michel Le Tourneau, Marie Mellac, Christine Chivallon, Guy di Méo, Lucie Déjouhanet, Françoise Bahoken etc.), d’archéologues (Stéphen Rostain), de professeurs du secondaire (Marie Masson), d’artistes (le plasticien Patrick Lacaisse) mais aussi de représentants politiques (Christine Taubira) et d’habitants de la Guyane (Aimawale Opoya du village de Taluwen ou Waiso Michel Aloïké qui exerce comme guide-interprète).

Un exercice de cartographie critique

Dès l’introduction, les deux directeurs d’ouvrage précisent que cet exercice de cartographie critique pourrait être appliqué à un autre territoire. Une transposition à propos de la Corse, de la Guadeloupe, de la Bretagne ou l’Alsace est donc possible.

Les cartes sont généralement présentées sur la page de droite tandis qu’une page de texte organisée en plusieurs parties est lisible sur la page de gauche. Volontairement, les deux directeurs ont laissé perceptibles les différences d’écriture selon les auteurs. Certains ont choisi de rédiger le texte de façon inclusive, d’autres non. Les cartes également sont également construites selon une sémiologie et une projection différentes, d’un thème à l’autre, d’un auteur à l’autre, d’un centre de recherche à un autre. Ces différences ne sont pas gommées, et font la richesse de cet atlas éclectique.

Cet ouvrage questionne des cartes existantes en procédant à une analyse virtuose de tous les grands problèmes de leur fabrique (confiner, délimiter, détecter, collecter, nommer) à leur usage (mesurer, planifier, révéler, figer, relier). Il traite aussi des thèmes cruciaux de cet espace en produisant pour ce faire des cartes originales sur les frontières, le littoral, la forêt, les circulations, l’orpaillage, la toponymie, la topographie, le foncier, l’urbanisme, les relations géopolitiques, la biodiversité… Tandis que les deux derniers chapitres « Imaginer, la Guyane par les cartes » et « Oublier, le blanc des cartes » réinterrogent la carte jusque dans la logique de ses suppositions ou de ses omissions.
En multipliant les points de vue, cet atlas fait émerger les co-vérités d’un territoire, divers, complexe à décrire, sans jamais pouvoir y arriver complètement, comme s’il y avait pour cette « île » et le monde en général une impossibilité, un « in-cartographiable » irréductible.

Extrait de la fiche de présentation de « l’Atlas critique de la Guyane », sous la direction de Laurent Polidori et Matthieu Noucher, CNRS Editions, 2020

En un peu plus de 300 pages, l’atlas aborde la région de façon de thématique et minutieuse en allant plus loin que les strictes limites de la région : le Surinam, le Guyana, le Brésil mais aussi Haïti sont abordés au fur et mesure de la lecture. A ce titre, le plan retenu est particulièrement original : chaque partie est désignée par un verbe à l’infinitif, à l’instar de ce que l’on retrouve dans le cadre de l’exposition « Cartes et figures de la Terre », organisée au Centre Georges Pompidou à Paris en 1980. « Confiner », « délimiter », « détecter », « collecter », « nommer », « mesurer », « planifier », « révéler, « figer », « relier ».

Pour les enseignants, de très nombreux documents sont mobilisables pour la conception de cours. Parmi les nombreuses cartes, schémas, photographies et infographies, notons la présence d’un document présentant les différentes projections cartographiques appliquées à la Guyane (page 17), une photographie de la pose de la borne frontière sur l’inselberg de Mitaraka en 1962 (page 39), une carte des types de forêts (page 114), une carte doublée d’une représentation en 3D depuis les Andes pour montrer la charge alluviale de l’Amazone à l’origine de bancs de vase au large de Kourou (page 171), le parcours d’une famille entre le Surinam et la Guyane s’appuyant sur les travaux de la « Time Geography » (page 182), une comparaison diachronique de photographies satellites prises dans les quartiers de Bibi et de Baka Pasi à St-Laurent du Maroni (page 210), une carte du réseau de sentiers permettant aux pilotes de quad de ravitailler les orpailleurs (page 233) ou encore une photographie prise par un drone figurant des habitats informels prise à Cayenne (page 249).

A la fin de l’ouvrage (page 286-287), un article de Pierre Baulain et Marie Masson présente un projet original mené dans une classe de 1ère ES du Lycée Lamat-Prévot de Remire-Montjoly : cartographier la Guyane en 2048. Pour cet exercice de prospective, « l’objectif pédagogique […] était de leur faire étudier le fonctionnement du territoire actuel pour identifier les projets les plus mobilisateurs et en imaginer d’autres » (page 286). Les lycéens ont ainsi proposé des aménagements comme un second port de commerce à St-Laurent du Maroni ou des hôpitaux. Ce projet met en lien les projets et le développement durable de la région, dans une situation où le changement climatique amplifie les modifications du trait de côte. Du projet scolaire au terrain en passant par l’imaginaire, ces lycéens ont proposé des pistes pertinentes, qui seront peut-être, à l’avenir reprise par les décideurs locaux.

La présence de deux petites coquilles (page 28 et page 30) n’altère pas la qualité de cet atlas fourni et original, résultant d’un travail collectif sur un espace français en retrait dans les publications en géographie. En ces temps de confinement, parcourir cet atlas critique revient à s’évader par le voyage et les thématiques abordées dans l’une des régions françaises les moins denses.

Un atlas qui pourra ravir les étudiants, mais aussi les curieux à la recherche d’un ouvrage fiable, à jour et brossant un panorama de la Guyane.

Pour aller plus loin :

  • Présentation de l’éditeur -> Lien

Antoine BARONNET @ Clionautes