La francophonie est multiforme et polysémique. Selon Louise Mushikiwako (rwandaise), Secrétaire générale actuelle de l’OIF (Organisation internationale de la Francophonie), il existe autant de francophones (300 millions en 2018) que de francophonies, sans réelle frontière. Les manifestations de la francophonie dépassent donc le simple cadre institutionnel de l’OIF. Cette organisation a émergé il y a une cinquantaine d’années. Elle rassemble 88 Etats et gouvernements « aux réalités culturelles, économiques, sociales et politiques très diverses », dans un esprit de solidarité. Cet organisme vise à améliorer le positionnement de la langue française et à renforcer son influence tant bien que mal.

La construction francophone et ses défis

Cette première partie rappelle d’abord le long cheminement, entre 1880 et 1970, qui conduit à la création d’un fait francophone institutionnalisé.

Le mot « francophonie » fait son apparition sous la plume du géographe Onésime Reclus (le frère d’Elisée) en 1880, dans un contexte de développement colonial. Puis en 1962, Léopold Sédar Senghor, à l’heure de la décolonisation, le fait renaître en lui donnant une dimension plus humaniste.

En 1969, se tient à Niamey, au Niger, la première Conférence intergouvernementale des Etats francophones. Une deuxième réunit 21 pays le 20 mars 1970 pour signer la charte de création de l’Agence de coopération culturelle et technique (ACCT). Cette date est désormais celle de la journée internationale de la Francophonie.
Une carte montre la dimension internationale de l’OIF, en organisant régulièrement des sommets depuis 1986. Ces derniers assurent le rayonnement de la Francophonie dans le monde et définissent les grandes orientations (article 3 de la nouvelle charte, adoptée en 2005).

Près de la moitié des locuteurs du français vivent au sud de la Méditerranée. L’usage du français au quotidien représente 78 % de la galaxie francophone, soit environ 235 millions de personnes (2018). La dynamique démographique de l’Afrique subsaharienne et du Nord est favorable à la progression du nombre de locuteurs (plus 10 % de 2014 à 2018). La mobilisation pour l’éducation sur ce continent explique aussi cette croissance. D’ici 2050, 70 % des francophones seront africains. Selon les scénarios, à l’horizon 2070, on pourrait compter entre 477 et 747 millions de locuteurs. L’avenir de la francophonie se joue donc en Afrique.

A l’international, le français, présent sur tous les continents, occupe le 5e rang, derrière le chinois, l’anglais, l’espagnol et l’arabe. Des efforts sont entrepris en faveur de la langue française au sein des organisations internationales. Par exemple, cette mobilisation s’est traduite par l’adoption en 2006 d’un vade-mecum.

Les temps ont bien changé depuis la fondation de l’Europe communautaire où trois Etats sur les six étaient francophones. La position du français a reculé depuis le milieu des années 90. Une carte expose la situation de l’enseignement du français langue étrangère (FLE) en Europe (qui concerne 51 millions d’apprenants).

La Secrétaire générale de l’OIF s’interroge sur la persistance après le Brexit de la primauté de l’usage de l’anglais dans les échanges européens et milite donc pour un rééquilibrage entre les langues dans les instances communautaires (article paru dans Le Monde, le 6 février 2020).

En complément du dispositif institutionnel de la Francophonie (le Sommet, la Conférence ministérielle, le Conseil permanent, le Secrétaire général, l’Assemblée parlementaire…), il existe quatre opérateurs directs : TV5 monde, l’Association internationale des maires francophones (AIMF), l’Agence universitaire de la Francophonie (AUF), et l’université Senghor à Alexandrie.

Une langue, des cultures

La Francophonie s’est engagée en faveur de la diversité culturelle. Il s’agit d’assurer aux minorités la possibilité de développer leur langue, leurs traditions, dans la perspective d’atténuer les menaces d’uniformisation résultant de la mondialisation. En 2005, l’UNESCO a adopté une Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles. La Francophonie apporte un soutien actif, notamment économique pour favoriser la création artistique.

Il convient aussi de préserver les identités régionales. En ce sens, des textes ont été signés et ratifiés par des Etats : la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires (1992), la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales (1995).

Comme le rappelle l’auteur, « le français est loin d’être la langue maternelle ou même d’usage de tous les peuples appartenant à l’espace francophone ». Seuls 14 Etats et gouvernements membres de l’OIF, sur 54, ont pour unique langue officielle le français. 17 ont le français comme langue co-officielle (avec deux ou trois autres langues de même statut).
En Suisse, on distingue quatre langues nationales et trois langues officielles, car le romanche n’a le statut de langue officielle que dans le canton des Grisons.

L’enseignement en français joue un rôle essentiel, au cœur du développement de la francophonie.
81 millions d’élèves sont scolarisés en français à travers le monde, mais très majoritairement dans des pays de l’Afrique subsaharienne (72,8 %). La RDC, avec pourtant un taux de scolarisation faible, compte près de 19 millions d’élèves (en France, 15,5 millions). L’Europe représente 20 % des effectifs.
Toutefois des défis sont à relever en Afrique subsaharienne pour la scolarisation de tous les enfants. Pour répondre aux besoins du système éducatif de ces pays, il faudra former 6 millions d’enseignants d’ici 2030.

Présentes dans 131 pays, les 837 Alliances françaises (en 2020) contribuent à la promotion de l’enseignement du français.

Plusieurs grands médias à vocation internationale participent à la diffusion du français et ont organisé leur coopération au sein de l’association des Médias Francophones Publics (MFP), créée en 2016. Les membres sont Radio France, TV5Monde, France Télévisions, France Médias Monde (RFI, France 24), Radio-Canada, Télé-Québec, RTBF, Arte, Radio Télévision Suisse…

Des actions sont menées par l’OIF pour soutenir les médias à l’heure de la révolution du numérique. Par exemple en 2015, un Guide pratique des journalistes en période électorale a été publié. Le Prix francophone de l’innovation dans les médias existe depuis 2016.

L’OIF a aussi encouragé un réseau de lecture publique, les Clac (Centres de lecture et d’animation culturelle). Ce sont des lieux de convivialité autour d’une salle polyvalente et d’une bibliothèque, dotée d’un fonds pédagogique. On y projette des films et des documentaires. Une carte montre que les bénéficiaires de ces structures sont l’Afrique subsaharienne, Haïti, le Liban, les Comores, Madagascar et Maurice.
Le soutien aux éditeurs, aux prix littéraires (Prix des cinq continents par exemple) et aux festivals participent aussi de cette dynamique. Le Fonds Image met à l’honneur et finance l’audiovisuel et le cinéma francophones du Sud. Les séries africaines commencent à s’exporter (Hospital IT, Invisibles).

La solidarité au service du développement

Les contrastes de richesse caractérisent le monde francophone (24 pays sont des PMA). Il est convenu désormais de le penser comme un espace économique solidaire, d’échanges commerciaux, où l’on se forme et l’on travaille, où l’on circule. Ses pays membres peuvent être des pays d’accueil, de transit, de départ. Face à l’importance des mouvements migratoires de ces dernières années, l’OIF s’est engagée à défendre et à promouvoir les droits des personnes migrantes.

Partager une même langue doit donc faciliter les relations économiques. Une étude montre qu’elle permet d’augmenter de 22 % le commerce de marchandises entre une trentaine de pays francophones et d’accroître de 6 % en moyenne la richesse par habitant de ces pays.

Des aides ciblent les plus vulnérables : les femmes et les jeunes.

En dépit de la prédominance de l’anglais, des études montrent que le français représente une valeur ajoutée dans les parcours professionnels. Au Liban et à Madagascar, sa maîtrise est particulièrement recherchée.
Pour soutenir l’employabilité des jeunes diplômés francophones (de 21 à 34 ans), l’OIF a mis en place le Volontariat international de la Francophonie (VIF). Cette structure hors de son pays d’origine favorise la mobilité, l’insertion sociale et professionnelle. 400 jeunes de 33 nationalités différentes ont déjà réalisé cette expérience. 92 % des participants déclarent que c’est un atout pour leur CV. 84 % sont employés dans l’année qui suit leur mission.

L’ouvrage présente plusieurs programmes relatifs au secteur de l’éducation qui sont mis en œuvre et coordonnés par l’Ifef (Institut de la Francophonie pour l’éducation et la formation). Les défis sont énormes. Rappelons qu’il faudra former 6 millions d’enseignants d’ici 2030. L’initiative francophone pour la formation à distance des maîtres (Ifadem) participe à cet objectif.

L’Agence Universitaire de la Francophonie (AUF) constitue un vaste réseau mondial avec plus de 1 000 établissements membres. Elle fonctionne sur le principe de solidarité et de la mutualisation des ressources. Elle soutient l’accompagnement (le financement) de projets.

La Francophonie a la volonté d’apporter sa contribution aux Objectifs du développement durable (ODD). Depuis 2018, elle a adopté une stratégie transverse qui irrigue les programmes pour la promotion de l’égalité entre les femmes et les hommes. Il s’agit de promouvoir les droits des femmes, de lutter contre les discriminations et les violences.
L’Institut de la Francophonie pour le développement durable (IFDD) a lancé une initiative, intitulé Genre et climat (2016-2017). Cinq pays (Bénin, Burundi, RDC, Sénégal, Togo) ont été financés et suivis pour des projets concernant la pêche, la valorisation des ressources, l’agriculture durable, l’agroforesterie, la gestion de l’eau… impliquant des femmes (formation de négociatrices).

L’épanouissement des jeunes est aussi au cœur des préoccupations. Ainsi des CLOM (Cours en ligne ouvert et massif) sont disponibles.

L’OIF souhaite interagir avec la société civile. En 2020, s’est tenue la Conférence des organisations internationales non gouvernementales de la Francophonie (COING) qui a rassemblé 84 OING (organisations internationales non gouvernementales) et 43 ONG. Ce partenariat vise à renforcer leurs capacités et l’impact de leurs actions.

A une autre échelle, les jumelages et autres coopérations entre les autorités locales des espaces francophones se sont accentués, pour mener à bien des projets, sous l’impulsion de l’AIMF (en participant aux investissements).

L’OIF met en avant aussi des enjeux politiques, qui se traduisent par la volonté d’un engagement pour la paix, la démocratie (chapitre 5 de la Déclaration de Bamako adoptée en 2000), le droit des peuples, et l’éducation.

 

Par sa richesse textuelle et graphique, cet Atlas apporte un éclairage concret et utile à une entité parfois abstraite, en abordant tous les aspects que recouvre la francophonie.
Les nombreux exemples permettent de saisir ses manifestations. Malgré le contexte de crise et de mondialisation, la Francophonie maintient ses ambitions : faire dialoguer les peuples, contre le repli sur soi, pour la solidarité et la coopération, pour le pluralisme culturel, partager une langue et promouvoir des valeurs.