Gérard Dorel a enseigné, à l’université de Paris I, la géographie des Etats-Unis. Il est l’auteur ou a participé à la rédaction de très nombreux ouvrages sur cet Etat : un Atlas de l’empire américain et le volume de la Géographie Universelle du GIP-Reclus consacré aux Etats-Unis. Il a par ailleurs signé un numéro de la documentation photographique dédié à la Puissance des Etats. Inspecteur Général honoraire de l’Education Nationale, il est par ailleurs, depuis 2000, le directeur scientifique de la publication des actes du Festival International de Géographie de Saint-Dié des Vosges où il a, cette année, présenté cet atlas dans un atelier consacré à l’enseignement des aires de puissance.

California

Si la ruée vers l’or crée le mythe d’une terre où tout est possible, le développement du chemin de fer puis l’ouverture du canal de Panama pérennise la Californie comme terre d’immigration. Ils assurent également l’intégration de l’Etat sur le plan national avant son ouverture sur le Pacifique à la fin du XIXe siècle. Etat le plus peuplé de l’Union, la Californie fait montre d’un indéniable dynamisme démographique autant en raison de l’immigration que du solde naturel très positif que cette dernière assure pour une large part. Cependant cette croissance s’accompagne d’une répartition très inégale : environ 60 % de la population vit désormais au Sud de la Californie. Des immigrés clandestins exploités dans les sweatshops de Los Angeles aux diplômés asiatiques de la Silicon Valley, la Californie a fondé une large part de sa réussite sur son attractivité, sur son image d’éden emblématique du rêve américain. Cependant, les mouvements migratoires successifs ont profondément modifié la composition ethnique et la cohésion sociale de cette population. La radicalisation politique entre comtés blancs et républicains à l’est de l’Etat et comtés mixtes démocrates à l’ouest est, par exemple, l’un des symptômes d’une fracture sociale où le communautarisme apparaît comme une réponse à la défaillance de l’Etat aux ressources fiscales réduites pour les plus pauvres, le moyen de vivre entre-soi pour les plus riches.

L’invention permanente du mythe californien

Dans cette deuxième partie, G. Dorel interroge les topoi qui font de la Californie un « eldorado moderne » (parc du Yosemite, l’automobile, Hollywood, l’industrie du « glamour », la Silicon Valley, les vignobles californiens, …). Il montre ainsi non seulement la fragilité des systèmes qui sous-tendent le mythe californien mais aussi, et surtout, leur formidable capacité d’adaptation et de transformation. Prenons deux exemples qui témoignent de ces deux phénomènes. Avec un quart de la production nationale, l’agglomération de Los Angeles est un pôle majeur de la confection, localisé notamment dans le fashion district au sud de Downtown Los Angeles. Confrontée à la concurrence mondiale à travers les importations qui transitent via le port et l’aéroport de Los Angeles, cette industrie voit ses effectifs se contracter. Cependant, elle parvient à résister, d’une part, grâce à l’innovation (création de nouvelles fibres) et, d’autre part, au moyen de l’exploitation d’une main-d’oeuvre le plus souvent féminine et issue de l’immigration. Pilier de l’économie californienne, première au rang national, fortement concentré et intégrée au système mondial, l’agriculture californienne est de plus en plus en situation de concurrence avec la ville qui lui dispute l’emprise foncière, les ressources hydriques ainsi que la main d’œuvre. Preuve en est par exemple, la mise en eau d’une partie des polders cultivés du delta du Sacramento et du San Joaquin pour alimenter le Sud californien. Cependant, l’existence même de grands domaines, comme le Tejon Ranch au nord de Los Angeles, permet d’une certaine manière de contrôler voire de structurer l’étalement urbain à travers des projets de villes nouvelles, en l’occurrence Centennial. En l’absence d’urbanisme, la promotion immobilière privée apparaît comme seul palliatif à la prolifération des constructions isolées qui contribuent à la généralisation des incendies en marge des grandes agglomérations.

L’urbanisation galopante de l’espace californien

A travers le développement de la conurbation sud-californienne, de l’agglomération de la baie de San Francisco et de la capitale Sacramento, Gérard Dorel analyse les ressorts et les formes de cette urbanisation. Pour prendre l’exemple de Los Angeles, la croissance urbaine présente des traits communs à d’autres grandes villes américaines. Elle prend en effet la forme d’un étalement urbain avec le départ des catégories les plus aisées du centre vers la périphérie, phénomène quelque peu compensé par la gentrification qui a accompagné la rénovation de Downtown, opération qui s’est conclue par ailleurs par l’érection d’un véritable central business district. Cependant cette urbanisation présente des caractéristiques propres. L’agglomération de Los Angeles présente en effet un caractère multipolaire, conséquence d’une fragmentation politique qui ne facilite pas l’urbanisme souvent délaissé au profit des promoteurs. D’autre part, à Los Angeles, la ségrégation spatiale prend davantage un aspect culturel que sociologique. Il s’agit en effet pour les Latinos à la dynamique démographique conquérante de vivre entre-soi.

Les défis économiques et sociaux contemporains

Dans cette dernière partie, Gérard Dorel détaille les limites de la réussite californienne. La société semble traversée dans son ensemble par une logique d’exclusion. La pauvreté qui touche principalement les jeunes, majoritairement des Noirs et des immigrés hispaniques récents, dont beaucoup sont des working poors, ainsi que la délinquance voire la criminalité dont sont souvent victimes les mêmes nourrissent en effet des politiques (loi sur la récidive à l’origine du surpeuplement carcéral) mais aussi des comportements sécuritaires (l’entre-soi des gated communities). Or, des institutions comme l’université (University of California) conçue dans les années 60 comme un facteur d’ascension sociale pour tous, ne fonctionnent plus, victimes de la crise budgétaire. La réussite économique de la Californie recèle également son lot de faiblesses. L’industrie de l’Etat liée au complexe militaro-industriel a pâti de la fin de la guerre froide. Le sort de nombre d’industries dépend de décisions prises le plus souvent à l’est du pays. L’économie californienne est donc très sensible à la conjoncture comme en témoigne le secteur de la construction immobilière. Enfin, la saturation de ses infrastructures portuaires et aéroportuaires remet en cause son rôle d’interface entre l’Asie et le reste du pays.

Cet atlas qui montre à toutes les échelles la complexité d’un territoire en lien avec de nombreuses questions des programmes du secondaire est une mine pour l’enseignant. Il peut en effet servir de support à de très nombreuses études de cas.

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