Bruno Modica est chargé de cours en relations internationales et chargé de formation au CNED de Lille
C’est une approche originale que livre le danois Carsten Meiner, qui n’est pas historien de formation mais spécialiste de littérature comparée et philosophe. Son travail nous fait ici rentrer dans l’univers matériel tel que les auteurs du XVIIIe ont pu le représenter dans leurs œuvres. Spécialiste de Marivaux il s’intéresse aussi à Stendhal, Balzac et Baudelaire, jusqu’à Marcel Proust.

dans sa première partie, il présente il présente un excellent aperçu d’histoire technologique traitant à la fois du louage et du réseau routier sans oublier la logistique, à savoir les relais de postes et la messagerie.
Le carrosse est également un lieu de contacts, parfois intimes comme dans Casanova à Venise ou dans Nuit de Varennes lorsque toute l’action se passe dans cet univers clos où les hasards des destinées se croisent et s’entrecroisent. On trouve aussi la fonction sociale du carrosse qui devient symbole de réussite au XVIIe. Il était auparavant réservé aux femmes, aux vieillards et aux impotents et jugé sévèrement par ceux qui pouvaient chevaucher.
Le XVIIe siècle voit naitre aussi une activité professionnelle nouvelle, celle du louage, avec la première organisation de transports en communs pour les carrosses à cinq sols.
Le carrosse intervient alors dans le paysage urbain, en même temps que l’éclairage public voulu à Paris par le premier commissaire de Police, le lieutenant La Reynie.
Henri IV a été assassiné dans un carrosse, mais cela n’a pas empêché la diffusion de ce moyen de transport, collectif ou individuel en fonction des moyens des usagers.
C’est toujours avec Sully, sous le règne de Henri IV que se développe le premier réseau routier qui visait à unifier le pays après les guerres de religion. Le corps des ingénieurs des Ponts et Chaussées devait voir le jour en 1716.
En France, en 1789, le réseau routier représentait 50000 km de routes et de chemins. Ce réseau avait été développé en utilisant la corvée Royale combattue pourtant par Turgot. Au XVIIIe la vitesse devient une préoccupation des usagers et le réseau routier, mieux entretenu, plus dense aussi, permet de relier Paris à Bordeaux en 5.5 jours en 1775 alors qu’il en fallait 14 en 1760.
On mesure mal à l’heure du TGV ce que cette révolution de la vitesse a pu représenter pour les contemporains.
La carrosse permet aussi le développement du réseau postal, ici aussi conçu par Turgot comme un véritable service public. C’est la cabale politique de Marie Antoinette qui le prive de ce poste qu’il voulait pour lui-même, celui de surintendant général des Postes en réunissant ce service à celui des messageries royales. De fait, il était parfaitement en avance sur son temps, en voulant concilier le libéralisme et la création de monopoles de l’État pour un service public unifié, destiné à rationaliser la couverture territoriale du pays.

Cet ouvrage est une véritable mine d’informations à la fois pour ce qui relève de la fonction symbolique du carrosse, emblème de pusisance et de pouvoir. On se souvient des chars des héros antiques qui leurs permettent d’arriver jusqu’au lieu du combat et du vaincu tiré par un char.
Dans la littérature du XVIIIe le carrosse réunit par hasard des individus aux destinées croisées. Le carrosse n’est plus simplement symbole, l’auteur parle de fonction conventionnelle, mais lieu où les voies parallèles du hasard, notamment chez Stendhal, se rencontrent.
Chez Gogol, le carrosse qui permet de parcourir l’étendue infinie des steppes remplace les chevaux des cosaques, il devient alors relais de sécurité, espace de refuge dans un monde à peine civilisé parcouru peu de temps avant par les chevaux des tatars. C’est aussi une île perdue dans l’océan des vastes espaces.
Il devient aussi lieu de rendez-vous, où les corps se rencontrent chez Flaubert et Emma Bovary cherche à s’échapper des conventions dans cet espace clos que contituent relais de postes et carrosses.

Un beau livre, qui permet de parcourir à la vitesse des attelages la littérature du XVIIe au XXe siècle, avant que l’automobile ne devienne elle aussi un symbole de modernité, et un lieu de vie transformant les territoires et aussi le monde qui l’entoure.