Santé, emploi, inégalités : dans quel état se trouve la société française actuellement ? Tel est le projet porté par Laurence Duboys Fresney dans cet atlas qui fourmille d’informations très bien contextualisées.
Comment établir un bon diagnostic ?
L’auteure souligne qu’il s’agit de « faire un diagnostic de la société française en faisant émerger les principales évolutions sociétales ». L’approche est thématique et préfère les tendances lourdes aux emballements médiatiques passagers. Il s’agit de mettre en lumière les « conflits, complexités et paradoxes qui émergent dès lors que l’on s’essaie à poser des interprétations sur les données statistiques ». L’atlas a donc la bonne idée de varier les temporalités pour remettre en perspective les phénomènes étudiés.
Le lecteur dispose donc une abondance d’informations, mais la multitude d’entrées ciblées permet d’éviter l’indigestion. Laurence Duboys Fresney relève le manque de recul sur certains phénomènes, celui des gilets jaunes ou de la covid 19. L’auteure choisit tout de même de consacrer plusieurs pages à la pandémie, tant faire l’impasse aurait été incompréhensible. On peut signaler la « patte » des atlas de chez Autrement avec la qualité de la mise en images des faits et chiffres. La cartographie a été réalisée par Alexandre Nicolas.
Les quatre surprises de la démographie française
L’auteure commence par pointer les grandes tendances à connaître sur la population française. Elle ne cesse d’augmenter, la mortalité recule, les naissances se maintiennent, tandis que le solde migratoire est légèrement en hausse. La France est toujours en tête en terme de fécondité en Europe, même si la première naissance a lieu de plus en plus tard. Le couple n’a cessé d’évoluer si on envisage la question sur les cinquante dernières années. Sait-on que les personnes pacsées de même sexe représentent 4 % de l’ensemble des pacsés ? L’atlas propose aussi une approche des « Français des villes et des campagnes ». La proximité redevient une valeur essentielle.
Etat des lieux : une stagnation économique
L’atlas inventorie les mutations majeures de l’emploi depuis trente ans. Parmi les phénomènes à retenir, on peut signaler la forte féminisation de l’emploi, le vieillissement des actifs ou encore la désindustrialisation ainsi que la tertiarisation. Nous pouvons remarquer aussi la baisse du nombre d’heures travaillées. On ne mesure peut-être pas toujours que, depuis 1950, la durée de travail des salariés a baissé de 22 %. On a peut-être aussi oublié qu’en 1968, le chômage touchait 500 000 personnes, soit 2,5 % de la population active. Laurence Duboys Fresney dresse également un état des lieux de l’agriculture et des agriculteurs : l’agriculture a perdu 70 000 emplois entre 1987 et 2017. 9,5 % des agriculteurs travaillent en bio et la superficie totale de la France agricole est restée stable, ce qui implique une augmentation de la taille moyenne des exploitations.
Qui sont les Français ?
Entre 1960 et 2017, la « communication et les loisirs culturels » sont passés de 3 à 11 % du budget des ménages. Il faut avoir conscience de l’importance de la politique redistributrice de la France. En effet, si on compare le revenu des 10 % les plus pauvres et des 10 % les plus riches, l’écart avant transfert sociaux est de 1 à 21. Il n’est plus que de 1 à 6 ensuite. En 40 ans, les catholiques sont passés de 70 à 32 % de la population totale française. L’atlas propose quatre cartes qui permettent de visualiser l’implantation du prénom Marie en 1900, 1936, 1965 et 2015. Aujourd’hui, les femmes représentent 15 % des militaires contre 7 % en 1992.
L’atlas s’intéresse également à la population carcérale en soulignant qu’on est passé de 30 000 écroués en 1977 à 73 000 aujourd’hui. La fréquence des passages aux urgences a doublé entre 1990 et 2001 et a encore bondi de 40 % de 2001 à aujourd’hui (en excluant la période de la covid 19). L’atlas s’intéresse également à l’école et rappelle que dans un des pays les plus égalitaires, elle est incontestablement inégalitaire. Les Français sont aussi peu syndiqués comme l’indique la comparaison avec d’autres pays européens.
Les Français par tranches d’âge
On peut signaler également plusieurs entrées autour de l’âge dont une qui traite de la civilisation « jeunesse ». « Dire que les jeunes d’aujourd’hui vivent moins bien que leurs parents ou qu’ils n’ont plus de règles est faux, la jeunesse ne formant pas du tout un groupe homogène ». On peut néanmoins remarquer une différence qui se creuse entre une jeunesse instruite, politisée et très intégrée et une autre dépolitisée et désocialisée. Quant aux seniors, l’auteure les qualifie « d’enfants gâtés devenus les piliers de la société ». Relevons aussi qu’il y avait 21 000 centenaires en 2020 dont six sur dix sont des femmes.
Femmes et immigrés : un même combat pour l’intégration ?
Un article retrace l’ascension des femmes durant les cinquante dernières années. Un intéressant document montre la proportion de femmes parmi les salariés et professions les plus représentées. Globalement, on peut observer qu’on assiste à la fin des métiers sexués mais que des « bastions restent à conquérir ». Un autre tableau souligne la part des hommes et des femmes dans les assemblées locales et nationales avant et après les lois dites de parité. Les immigrés représentent aujourd’hui 10 % de la population totale. On note que sur le marché du travail, les discriminations s’atténuent après plusieurs années d’emploi.
Le rapport à l’argent
Les Français sont des « écureuils très prudents » avec un taux d’épargne parmi les plus élevés des pays européens. Pendant le confinement, les Français ont très peu consommé. Il faut mesurer que, sur un temps long, la pauvreté a baissé des années 70 aux années 90 puis s’est stabilisée la décennie suivante. Depuis 2002, elle augmente. Le portrait du pauvre a changé : autrefois il s’agissait des retraités, alors qu’aujourd’hui, ce sont des travailleurs pauvres. Cela débouche sur une interrogation sur la mobilité sociale et les inégalités. Il faut observer les chiffres qui ne montrent pas une diminution de la classe moyenne comme certains le disent.
La course au temps libre et au bien-être
On trouve ici un intéressant document sur une journée type des hommes et femmes françaises en 1974 et en 2010. « Autrefois privilège de l’aristocratie et de la bourgeoisie, le temps libre consacré aux loisirs caractérise aujourd’hui à l’inverse le bas de la hiérarchie des qualifications, amis avec moins de ressources monétaires ». De plus en plus de Français partent en vacances, puisqu’on est passé de 43 à 65 % entre 1960 et aujourd’hui. On lira aussi avec intérêt une approche sur la culture avec trois générations et trois façons de consommer la culture où sont distinguées les générations de personnes nées entre 1945 et 1954, entre 1965 et 1974 et entre 1995 et 2004.
On apprécie là encore l’approche synthétique d’une telle question car l’article propose de se focaliser sur quelques tendances majeures, comme l’essor des pratiques culturelles numériques ou la place croissante de la culture dans le quotidien des Français. L’atlas se termine en examinant les loisirs des Français comme le jardinage ou la pratique du sport.
En conclusion, Laurence Duboys Fresney pose la question d’une nouvelle modernité française. « On dénonce aujourd’hui les multiples fractures sociales qui traversent la société française, mais en observant le changement sur une longue période…est-ce bien de fractures qu’il s’agit ? « On peut, en tout cas, noter une accélération de l’individualisation. Cet atlas constitue donc un solide ouvrage de travail qui permet surtout de considérer les phénomènes dans la longue durée pour les mettre en perspective.
Jean-Pierre Costille pour les Clionautes.