Si dans la masse des ouvrages commémoratifs, recueils de souvenirs et analyses diverses, vous cherchez simplement un ouvrage précis, facile à lire et bien documenté, qui vous permette à votre tour de parler doctement de la période 1968 et de ses conséquences, ne cherchez plus. Cette bande dessinée devrait vous permettre de briller en société et, selon votre situation par rapport à ces événements, de donner l’impression que vous étiez dans les fumées des lacrymos pendant la nuit des barricades, que vous occupiez la Sorbonne ou l’Odéon, et que vous écoutiez religieusement Cohn Bendit ou Krivine ou Mendes France.

Plus sérieusement et en dehors de toute critique de la marée éditoriale qui a marqué le 40e anniversaire de Mai soixante huit cette bande dessinée est un vrai livre d’histoire. Tous les débats idéologiques et politiques de l’époque sont fidèlement retracés. Les personnages les plus importants comme les leaders Geismar, Sauvageot, Henri Weber et quelques autres mais aussi les intellectuels de la période comme Alain Touraine apparaissent dans les planches. Et puis il y a cet étudiant qui rencontre Marianne, un peu secouée par un matraquage lors des premiers incidents de la Sorbonne le 3 mai. Louis sert de fil conducteur à ce récit. Ce n’est pas un leader, mais un étudiant ordinaire. Ses blessures de guerre, se limitent à une entorse alors qu’il cherchait à rejoindre Marianne qu’il essaye de séduire. Les dernières vignettes de la bande dessinée donnent d’ailleurs la parole à Marianne qui dit malicieusement à Louis: «un peu de folie t’attire, mais au fond, tu es raisonnable»
Au delà de cette trajectoire individuelle, c’est l’histoire tout court qui est mise en scène.

Stratégie obliques

On retrouve alors au fil des planches, les stratégies obliques des uns et des autres; Mitterrand qui ne croit pas vraiment à une possibilité de changement mais qui cherche à marginaliser Mendes France resté silencieux à Charletty, Waldeck Rochet et Gorges Séguy préoccupés par le débordement gauchiste, Pompidou et de Gaulle dans une relation ambigüe de filiation et de gestion de l’avenir. C’est sans doute dans la dernière partie intitulée l’héritage que le dessinateur et le scénariste donnent le plus à réfléchir au delà des scories des évènements. Mai 68, c’est une explosion de la jeunesse, c’est une convulsion sociétale, c’est un moment fort pendant lequel on a cru inventer les possibles, c’est peut être tout cela à la fois.
On pourrait sans aucun doute lire cette bande dessinée et surtout la faire lire aux jeunes générations. À ces élèves de terminale qui voient dans leurs manuels d’histoire ces photos noir et blanc du Général de Gaulle lors du discours du 30 mai ou celles de la manifestation des Champs Élysée cette bande dessinée leur permettra sans doute de comprendre à quel point ils sont les héritiers de cette période.

Quelques mots sur le graphisme enfin d’Alexandre Franc qui a publié son premier album en 2007. Il joue sur le noir, le rouge et le blanc et sur un trait très appuyé. Son dessin est réaliste mais ne se rattache pas aux grands courants des bédéastes belges ou américains. Il se rapproche beaucoup du graphisme de Marjane Satrapi, avec des traits moins appuyés et des plages de noir plus réduites. Mais en même temps, on reconnait bien les personnages, Mitterrand et surtout Mendes sont bien croqués tout comme Pompidou et Geismar.

Et puis, il y a Marianne et ses cheveux rouges, cette fille que l’on a croisée au détour d’une manif et qui se livrait sans retenue à ces amours d’après les combats politiques. Elle n’était pas la fille de tout le monde mais elle aimait chacun totalement. Et c’est pour cela que Louis a bien de la chance…

Bruno Modica © Clionautes