Savez-vous que plus de 98 % des flux d’information qui sont transportés à travers le monde passent par la mer avant de regagner la terre et ses habitants ? Tout cela est réalisable grâce à 450 câbles qui apparaissent comme des « pierres angulaires de l’économie mondialisée ». Camille Morel, chercheuse en relations internationales, entraine le lecteur dans une meilleure compréhension des câbles sous-marins devenus tellement stratégiques.
Une toile invisible
« Difficile d’imaginer à quoi ressemble ce gigantesque réseau d’autoroutes de l’information long de plus de 1,3 million de kilomètres ». L’autrice décrit concrètement ce qu’est un câble en précisant que sa dimension moyenne est celle d’un poignet d’adulte. Sa longueur peut varier et atteindre jusqu’à 17 000 kilomètres. Le système nécessite aussi un répéteur du signal tous les cinquante kilomètres. La capacité de transmission par paire de fibres optiques a été multipliée par 400 000 entre 1988 et 2015. Ce réseau peut être vulnérable, mais il faut savoir que la majorité des dégâts causés est dûe à des accrochages par les ancres de navires et les filets de pêche.
L’écosystème des câbles sous-marins
On distingue trois types d’acteurs principaux sur le marché des câbles : des fournisseurs, des propriétaires et des poseurs. Ces acteurs sont distincts mais se recoupent parfois, créant ainsi de véritables leaders du marché. La France dispose d’une situation avantageuse avec deux industriels présents sur ces segments.
Le poids grandissant des GAFAM
La distinction entre propriétaires et utilisateurs de câbles sous-marins s’amenuise. Les géants du net deviennent propriétaires de câbles, ce qui fait qu’entre 2012 et 2016, la capacité mondiale a été multipliée par treize. Le streaming conduit aussi à une augmentation considérable du trafic mondial de données. En 2021, Google apparait comme le premier investisseur des leaders de la Tech avec le financement de dix-neuf câbles actifs et à venir contre cinq pour Microsoft. L’arrivée de ces géants entraine deux ruptures majeures : une restructuration économique produite par la mise en concurrence des entreprises du marché et un chamboulement géographique consécutif à la mise en concurrence des Etats en matière de câbles sous-marins.
De la géographie à la géopolitique
Si les routes principales suivies par ces lignes de communication demeurent alignées sur les routes maritimes traditionnelles, le centre de gravité du réseau s’est déplacé du continent européen vers le continent américain. Certaines zones demeurent pourtant sous-maillées. 97 % des flux Europe-Asie passent par les Etats-Unis ! Historiquement, le réseau sous-marin télégraphique se développe alors que l’Empire britannique est en pleine expansion. L’ère de la fibre optique est un réseau centré sur la Triade. On peut citer quelques lieux stratégiques comme Djibouti ou Marseille. Quant aux régions d’avenir, il faut citer l’Océanie, l’Afrique et l’Arctique. L’Afrique du sud se positionne comme un site d’atterrissage incontournable.
Un nouvel espace de conflictualité
On constate depuis quelques années un renouveau général d’intérêt des Etats pour les câbles sous-marins. La maitrise de l’infrastructure sous-marine est un facteur de puissance dans les relations internationales. Camille Morel passe en revue la stratégie de pays comme la Russie ou la Chine. Elle s’intéresse ensuite à la réaction américaine. Trois risques sont identifiés par le pays : la cybersécurité, le risque de dépendance à l’égard de la Chine pour le transfert de données sensibles et le risque d’un double usage des câbles, c’est-à-dire que ce réseau commercial soit utilisé par la Chine pour déployer des capteurs des fonds marins.
Une gouvernance mondiale
Les câbles sous-marins soulèvent des questions relatives à leur encadrement juridique et à leur gouvernance qui vont s’accentuer dans les prochaines années. La prise de conscience est progressive avec la mise à l’agenda de cette question dans plusieurs enceintes multilatérales. La gouvernance du système câblier pourrait être pensée de manière globale, mais ce n’est pas le cas pour l’instant. Dans la ZEE et sur le plateau continental, la liberté de pose existe mais elle est limitée par l’exercice des droits souverains de l’Etat côtier. De plus, on sait qu’il existe des zones maritimes contestées et cela est donc problématique pour la pose de câbles.
Un défi environnemental
Les câbles ne sont pas neutres en matière d’environnement. Plusieurs critères peuvent être examinés comme la nuisance sonore ou la tension électromagnétique. Le changement climatique peut avoir un impact puisque de grandes inondations, par exemple, pourraient former des coulées de boue et augmenter l’envasement des câbles ce qui pourrait les endommager.
Un réseau d’avenir
Camille Morel rappelle en conclusion combien les câbles sous-marins sont devenus indispensables à notre quotidien. Elle évoque la loi de Metcalfe qui dit que « la valeur d’un réseau est proportionnelle au carré du nombre de ses utilisateurs : plus le réseau est employé, plus il est jugé précieux ». De nouvelles technologies peuvent apparaitre et remettre en cause la domination de la fibre. Enfin, la localisation de nouveaux points d’interconnexion peuvent transformer la situation actuelle.
L’ouvrage de Camille Morel propose donc une synthèse très claire sur un sujet que l’on aborde par exemple dans le cadre de l’HGGSP en Première sur la question « S’informer » ou en Terminale tronc commun dans le thème « Mers et océans au coeur de la mondialisation ». Un ouvrage à recommander.