L’objectif de cet atlas est de donner à voir les crises et conflits actuels dans le monde, d’en comprendre les enjeux et d’en anticiper les évolutions. Les auteurs, Pascal Boniface (directeur de l’IRIS) et Hubert Védrine (ancien conseiller diplomatique et ancien ministre des Affaires étrangères), dont la réputation et les compétences sur les questions de relations internationales ne sont plus à démontrer, apportent une caution sérieuse et une crédibilité à cette publication. La cartographie est assurée par Jean-Pierre Magnier.
L’atlas ne traite ici que des tensions qui ont une portée internationale, correspondant ainsi à des territoires où les crises et conflits sont déclenchés ou aggravés par des influences étrangères.
Tout comme la partie cartographique conçue de manière méthodique et parfaitement exploitable, la rédaction des textes est accessible à tous, efficace et synthétique. Elle écarte toute emprise émotionnelle et prend le recul nécessaire. La concision des textes est fort appréciable.
Un atlas bien structuré et clair
Les cartes occupent les pages de droite, tandis que les textes sont en miroir, à gauche.
L’atlas comprend trois grandes parties distinctes, nettement dissociables les unes des autres avec une charte graphique claire : « les causes » abordées sur fond vert, « les crises et conflits » exposés sur fond de couleur bleu, et enfin « les scénarios d’avenir » proposés sur fond de couleur crème.
Pour chaque zone de tension étudiée (une double page), le texte présente toujours la même organisation : il analyse d’abord « les origines » (le plus souvent une contextualisation), puis examine ensuite « la situation actuelle » et pour finir, propose « les scénarios », deux ou trois, autrement dit les évolutions possibles.
Le cœur de cet atlas, constitué par la deuxième partie abordant les différents conflits et crises, se décompose en six aires géographiques : l’Europe, la Russie, les Amériques, le Moyen-Orient, l’Afrique et l’Asie.
Le travail de cartographie est pertinent, tant par le choix des items que par leurs traitements (choix des figurés). Les espaces représentés sont pourvus d’une nomenclature lisible, sans excès de données toponymiques. Au passage, on appréciera que les auteurs aient choisi, pour la compréhension par tous les publics, de conserver la pratique de la transposition toponymique, en utilisant les exonymes français connus (Pékin, Calcutta, Bombay, Biélorussie), et en ne cédant pas à une sorte d’hégémonie exonymique anglo-saxonne à caractère universel.
Par ailleurs le changement d’échelles, bien utile, apparaît fréquemment. Ainsi dans certains cas, on peut observer un encadré, de taille réduite, composé d’une autre carte qui permet de situer (et contextualiser) l’espace étudié à une autre échelle, régionale ou continentale. Parfois en appui à ce riche travail cartographique s’ajoute aussi un graphique complémentaire.
Les données (statistiques) traitées sont judicieusement transposées en items, et les figurés qui en découlent, sont globalement appropriés. L’information est bien hiérarchisée.
Des titres aux (9) cartes de la première partie (« les causes ») auraient permis de cerner rapidement la thématique sans s’engager dans une lecture minutieuse de la légende.
Pour quelques rares exemples, la multiplication des figurés de surface, rend la lecture moins aisée. En effet à partir de sept figurés de surface, la compréhension est quelque peu retardée.
Une sorte de sous-couche où l’on devine le relief du territoire, donne un léger effet de camaïeu, qui peut parfois interroger, d’autant plus que la légende ne guide pas le lecteur. Le territoire étudié est identifié graphiquement par un fond de couleur (qui varie selon les cartes…), mais parfois sans report dans la légende. Cela impose un temps de réflexion supplémentaire. Par exemple sur la carte du Nigeria, il faut comprendre que le fond de couleur beige et sans hachures (non indiqué par un figuré dans la légende) correspond à la partie du pays à la fois non musulmane et qui est à l’écart des mouvements de rébellion. En revanche, les figurés ponctuels et linéaires ne se prêtent à aucune erreur d’interprétation.
La proposition d’ordonner la légende et donc de classer nettement les items, par catégorie, avec des titres et sous-titres, n’est pas systématique. On peut comprendre que donner un titre à une série d’éléments, pourrait peut-être surcharger la production cartographique par l’ajout de contenu textuel supplémentaire. La dimension analytique est alors moins marquée.
On peut regretter qu’aucune indication pour localiser et contextualiser les photographies qui ouvrent les différentes parties ne soient données, pas même dans les crédits photographiques. Celle de la page 139 apparaît à l’envers, et impose une démarche spéculaire pour lire ce qui est inscrit sur les panneaux, affiches et enseignes !
Pour quelques cartes (Colombie, page 67 ; RDC page 103, Grands lacs, page 105…), il manque l’échelle.
Toutefois, ces quelques réserves n’altèrent pas l’indéniable qualité de cette publication.
Les causes
De nombreux désordres et fractures subsistent, dans un monde aujourd’hui au moins économiquement mondialisé, après tant de douloureuses épreuves au XXe siècle. Les auteurs soulignent que « dans le sigle ONU, le « U » est optimiste ».
Des ambitions et conflits territoriaux, en passant par les compétitions économiques pour l’accès aux sources d’énergie, les raisons des crises sont très diverses. Elles sont alimentées par des facteurs démographiques, par les migrations, et les peurs identitaires, ou bien encore par la raréfaction des ressources et la prise de conscience des menaces écologiques. Si l’Etat reste l’acteur majeur, d’autres entités interviennent ou influencent aussi dans les crises : ONG, médias, entreprises globales, lobbies, autorités religieuses, mafias…
Une carte intéressante (page 15) met en avant les Etats partisans d’une réforme du conseil de sécurité, autrement dit d’un élargissement à 25 membres, au lieu de 15 actuellement.
De manière générale, garantir la sécurité contre toutes les menaces et étendre son influence (volonté hégémonique parfois) restent les préoccupations des nations, auxquelles s’associent les opinions publiques, régulièrement instrumentalisées par les pouvoirs ou par divers groupes, réseaux, ou lobbies.
L’utilisation de la force dans les règlements de litiges territoriaux et frontaliers est récurrente. Cependant le terrain numérique constitue un nouveau champ de bataille.
La majorité des conflits est infra-étatique. Les revendications sécessionnistes se sont multipliées. Une carte (page 23) montre que plus d’une trentaine de conflits majeurs depuis les 25 dernières années ont pour origine un facteur religieux. Les Etats faillis, qui n’ont plus les moyens d’exercer pleinement leur souveraineté, sont souvent concernés par les conflits (RDC, Afghanistan…).
Les crises et les conflits
43 analyses territoriales ou études de cas sont proposées.
Pour commencer, sont abordés le Kosovo et ses tensions avec les Serbes, le Haut-Karabakh la région sécessionniste d’Azerbaïdjan contrôlée par les Arméniens, la Turquie et ses relations tendues avec les Arméniens et les Kurdes.
Une partie est consacrée à la Russie avec ses choix stratégiques et son influence à travers la crise ukrainienne dans le Donbass, l’annexion de la Crimée, son intervention en Syrie, son soutien (politique et militaire) aux deux provinces sécessionnistes de Géorgie (l’indépendance de l’Abkhazie et de l’Ossétie du Sud est reconnue par Moscou), son agacement à l’égard de l’Estonie qui souhaite un renforcement de la présence de l’OTAN (pour les Estoniens le 9 mai 1945 marque le début de l’occupation et de l’annexion soviétiques, tandis que pour les Russes cette date représente la victoire de l’Armée rouge sur le nazisme), et enfin la situation de la Tchétchénie.
Le chapitre suivant aborde les Amériques. Il s’ouvre par l’analyse des États-Unis et sa politique isolationniste et unilatéraliste, qui suscite de l’inquiétude pour ses alliés ou ses rivaux. Certains y voient même une menace. Les problèmes de criminalité, de pauvreté et d’émigration au Mexique sont évoqués. De la prospérité au chaos économique, de Chavez à Maduro, le Venezuela est tombé dans une crise profonde.
La partie portant sur le Moyen-Orient, s’intéresse au conflit israélo-palestinien. La Palestine a été élue « État non membre observateur de l’ONU » en 2012. Mais les élections de Trump (qui transfert l’ambassade de Tel-Aviv à Jérusalem), de Bolsonaro (au Brésil) conforte la position d’Israël, qui poursuit la colonisation en Cisjordanie. De plus, un rapprochement avec l’Arabie Saoudite et avec les Émirats, s’est effectué par hostilité à l’égard de l’Iran. Cependant les opinions publiques du monde arabe restent sensibles à la cause palestinienne.
L’instabilité au Liban et le chaos libyen (confrontation des gouvernements de Tripoli et de Tobrouk, implantation de Daech) perdurent. Les violences interconfessionnelles et intercommunautaires (entre Kurdes qui souhaitent l’indépendance (Kurdistan), entre Arabes sunnites minoritaires et Arabes chiites majoritaires) sont encore présentes en Irak. De son côté, l’Iran avec son soutien au régime de Bachar al-Assad et au Hezbollah libanais chiite doit faire face à la pression (sanctions économiques) toujours plus forte des États-Unis, de l’Arabie Saoudite et d’Israël. Au Yémen, la crise humanitaire est majeure (18 millions de Yéménites ont besoin d’une aide alimentaire, et plus d’un million souffre du choléra), en parallèle à la rébellion houthiste (chiite), aux actions d’Al Qaïda, aux interventions de l’Arabie Saoudite. Les relations entre Riyad et Doha restent tendues.
Le chapitre consacrée à l’Afrique fait le tour des types de conflits achevés ou en cours, depuis 2010. Qu’ils s’agissent d’une lutte contre l’islamisme radical (Boko Haram au Nord-Est du Nigeria, Aqmi au Mali, Al-Shebab en Somalie), d’une rébellion de milices armées (en RDC), d’une lutte pour l’indépendance (au Sahara occidental, revendiquée par le Front Polisario ; au Nord-Mali avec des rebelles touaregs proclamant l’indépendance de l’Azawad), d’affrontements ethniques (en République Centrafricaine), de litige frontalier en rapport avec la manne pétrolière (Soudan du Sud), de piraterie maritime, de richesses minières convoitées (au Kivu en RDC).
La dernière partie porte sur l’Asie, et particulièrement sur la Chine qui agit comme un pays développé ou un pays émergent, selon les cas. L’Empire du milieu cherche à renforcer et sécuriser ses approvisionnements, ainsi que ses exportations terrestres et maritimes, avec « les nouvelles routes de la soie », caractérisées par le projet « OBOR » (One Belt, One Road). Cette stratégie de développement suppose la coopération de plusieurs États (eurasiatiques) pour réaliser les infrastructures ferroviaires et portuaires nécessaires, qui lui permettront d’assurer son rang mondial et donc de satisfaire ses ambitions. Amené à devenir la prochaine première puissance mondiale, la Chine est toutefois confrontée à de nouvelles difficultés : le vieillissement de sa population, l’augmentation du coût de la main d’œuvre, la croissance des inégalités (notamment entre les territoires urbains et ruraux), le défi écologique (qui pèse sur le développement et la santé publique).
Les tensions en mer de Chine sont abordées. Les revendications territoriales de la Chine et sa volonté de contrôle militaire de l’Asie pacifique, suscitent des litiges avec ses voisins, le Japon soutenu par les États-Unis, la Malaisie, Taïwan, les Philippines. La Chine cherche à étendre sa ZEE. Elle s’efforce aussi d’accentuer son contrôle politique sur des territoires périphériques, des régions autonomes chinoises comme le Tibet ou Xinjiang (à l’Ouest du pays), majoritairement peuplé de Ouighours musulmans qui souhaitent préserver leur identité culturelle, ethnique et religieuse, face une « politique de colonisation » han.
La Corée du Nord continue d’être une menace sérieuse même si le dialogue inter-coréen et les négociations avec les États-Unis se poursuivent. Au Myanmar (Birmanie), les minorités ethniques subissent des répressions de la part du régime. Selon l’ONU, les Rohingyas ont été victimes de génocide, planifié par les responsables militaires (un million de réfugiés Rohingyas au Bangladesh). La situation en Afghanistan et en Asie centrale reste incertaine. Enfin l’attentat suicide en février 2019 au Cachemire indien et les frappes aériennes militaires qui ont suivi sur le territoire pakistanais, rappellent les tensions récurrentes entre l’Inde et le Pakistan, adoptant la « diplomatie du cricket », faite de ruptures et de rapprochements.
Les scénarios d’avenir
Ce dernier volet de l’Atlas dresse essentiellement un bilan de la situation à l’échelle planétaire, autour des acteurs, de leur influence, dans un contexte de mondialisation.
Le premier acteur des relations internationales reste les États-Unis, qui pourtant ne sont pas trop à la coopération entre les États. Mais la Russie effectue un retour en force. Les choix géopolitiques de Poutine (en Ukraine et Syrie) lui confèrent une certaine popularité dans son pays, tandis que l’Union européenne fait face à une crise de confiance, accentuée depuis le vote du Brexit. Les BRICS, les pays émergents dans leur ensemble, continuent leur ascension et affirment leur puissance, ce qui pourra peu à peu changer le rapport des forces dans les institutions internationales comme le FMI, l’OMC, le conseil de sécurité, et au sein de l’ONU de manière plus générale. Le multilatéralisme mis en place après 1945 est aujourd’hui fragilisé, depuis notamment l’élection de Trump. La Chine et les États-Unis ont refusé toute réforme du Conseil de sécurité, en vue d’un élargissement de ses membres, qui aurait donné une nouvelle légitimité à l’ONU en faisant mieux correspondre sa composition à l’état du monde actuel.
Les Occidentaux perdent le monopole de la puissance et de l’influence.
Les opinions publiques, davantage informées et connectées, prennent de plus en plus de place dans la gestion par les gouvernements des conflits et de leur évolution. La mondialisation accorde aussi une marge de manœuvre accrue aux acteurs « non étatiques, gris », c’est-à-dire aux groupes terroristes, mafias, et trafiquants de toutes sortes (drogues, êtres humains, œuvres d’art, animaux en voie de disparition…)
De par sa conception, cet Atlas permet ainsi de comparer rapidement les situations et présente une vision synoptique de la géopolitique du monde actuel, mise à la portée de tous. Les professeurs y verront un outil précieux pour préparer leurs cours. On pourra facilement choisir des extraits de texte et les exploiter pour des mises en activité, des études de cas ou dans le cadre d’une évaluation.
Eric Joly, pour les Clionautes.