3e édition
Déjà la 3e édition ! Le rythme soutenu des parutions de cet Atlas (1re édition en 2007, 2e édition en 2011) montre que la question est d’une importance cruciale et en constante évolution. On pourra se reporter à la critique de l’édition précédente sur la Cliothèque :
Atlas des énergies mondiales.

Les auteurs sont bien connus pour des publications de grande qualité. Spécialiste de l’énergie nucléaire (il est né la même année que le réacteur de Fermi !), Bertrand Barré a récemment publié Faut-il renoncer au nucléaire ? (2014). De Bernadette Mérenne-Schoumaker, on rappellera l’excellent manuel Géographie de l’énergie (nouvelle édition 2011) et son Atlas mondial des matières premières (2e édition 2015), dont on lira prochainement le compte-rendu sur la Cliothèque sous la plume de votre serviteur.
*
L’actualité de l’énergie est extrêmement riche et ses enjeux plus aigus que jamais, dans un monde où le réchauffement climatique s’aggrave et où la transition énergétique prend des allures d’impératif catégorique. Pourtant, malgré les gesticulations pré-COP 21, la réalité paraît beaucoup plus nuancée et complexe, avec les incertitudes sur le nucléaire post-Fukushima, le ralentissement de la croissance mondiale, notamment chinoise, et donc la baisse des prix du pétrole et – pas partout – du gaz, le boom des gaz et huiles de schiste. C’est dire que cette nouvelle édition s’annonce pleine de promesses.

Notons que cet Atlas est notamment dédié « à tous les enseignants » par B. Mérenne-Schoumaker : une dédicace dont nous apprécierons la teneur, dans une période où le respect des enseignants devient plus rare que le charbon propre…

*
Il faut d’abord saluer l’organisation et la maquette – remarquables – de cet Atlas. On n’a plus affaire à ces blocs de textes et d’images disséminés sur une double page, dans un jeu de piste souvent pénible. Un Atlas scientifique – fût-il de vulgarisation – n’est pas un magazine people, que Diable ! C’est à présent du passé et la double page, qui constitue le format de base de l’Atlas est d’une belle clarté. Certes, il manque toujours dans le texte des renvois aux cartes et graphiques : un petit « a » ou un petit « 1 » n’aurait pourtant pas coûté grand-chose en termes de maquette, et aurait permis un discours mieux organisé, plus démonstratif, liant les éléments textuels et graphiques ou cartographiques. Mais c’est là une critique de détail, fruit d’un esprit grincheux.

L’Atlas est divisé en cinq grandes parties, chacune précédée d’une introduction qui pose les enjeux et suivie d’une conclusion en forme de bilan. On saluera cette forme classique, marque d’un propos construit et organisé, qu’il n’est pas si fréquent de rencontrer.

*

L’Atlas s’ouvre par une rapide introduction générale, œuvre de B. Barré, qui souligne l’importance du sujet et pose la problématique globale de l’ouvrage : « Comment permettre le légitime développement de vastes régions du globe sans compromettre l’équilibre climatique qui, depuis le néolithique, a favorisé ce développement ? ». Une problématique équilibrée et nuancée, habituelle chez l’auteur, éloignée tant des calculs des lobbys pétroliers que des hystéries des lobbies écologistes.

*

La première partie trait de la consommation d’énergie. Une consommation sous contrainte : contraintes de coût, de réserve, d’exploitation, de nuisances de tous ordres. On y apprendra avec intérêt (p. 21) que l’énergie qui produit 1 kWh pour la plus faible émission de gaz à effet de serre est… le nucléaire ! Cette partie pose le problème du réchauffement climatique et établit la nécessité de la transition énergétique. Évidemment, dans un contexte de pétrole bon marché – ce que les auteurs ne pouvaient évidemment anticiper – la question des réserves des énergies de stock est d’une acuité bien moindre.

La deuxième partie aborde en détail les énergies traditionnelles, autrement dit les énergies de stock, non renouvelables à l’échelle humaine. Les auteurs rappellent utilement un point fondamental souvent négligé par les lobbies écologistes : compte tenu des besoins de l’Humanité, actuels et futurs, on aura besoin de toutes les énergies ! Certes, toutes ne sont pas équivalentes, et on ne peut qu’observer avec une certaine inquiétude le grand retour du charbon comme source d’énergie thermique : il fournit aujourd’hui 40% de l’électricité mondiale ! Il faut dire que ses réserves sont considérables. Mais les réserves d’hydrocarbures elles-mêmes doivent être évaluées sans hystérie : on constatera que les auteurs ne cèdent pas à la tentation de disserter à loisir sur un peak oil qui a perdu beaucoup de sa superbe depuis la percée technologique dans les hydrocarbures de schiste ! On lira page 46 les rapides paragraphes sur ces hydrocarbures non conventionnels, regrettant une nouvelle fois, au vu des effets aux États-Unis, que la France ait choisi de les négliger (voir le compte-rendu sur l’ouvrage de Florentin Thévenet : L’exploitation du gaz de schiste en France). C’est d’ailleurs une manie bien française de refuser toute possibilité de percée : les auteurs pointent ainsi l’arrêt des développements en surgénération (arrêt de Super Phénix en 1997). Or, compte tenu de l’ampleur des besoins, il ne faut pas s’illusionner sur le rythme de la transition énergétique dans un monde où les énergies de stock fournissent 85% de l’énergie totale !

C’est dire que les énergies de flux – autrement dit les énergies renouvelables – traitées dans la troisième partie auront fort à faire avant de s’imposer. En dehors des énergies renouvelables traditionnelles (biomasse et hydraulique), qui constituent 90% des énergies renouvelables totales, le principal problème des autres énergies de flux (éolien et solaire pour l’essentiel) est celui de la disponibilité. Le facteur de charge d’un panneau solaire en Californie – qui n’est pas la région la plus brumeuse de la planète, n’est-ce pas ? – ne dépasse pas 35% ! Les données sont pires encore pour l’éolien terrestre (20-25%). Cela pose donc le problème de la rentabilité de ces énergies. Les auteurs s’interrogent même : les énergies renouvelables sont-elles viables (page 64) ? D’autant que, contrairement à une idée fort répandue, leur bilan carbone est très loin d’être bon. Les défis posés par la nécessité de la transition énergétique sont donc colossaux.

La quatrième partie évoque classiquement la géopolitique de l’énergie. Outre les analyses habituelles sur les grandes zones (Moyen-Orient, Russie, États-Unis, puis Union européenne, Chine et Inde), une double page entière est consacrée à l’Afrique subsaharienne, ce qui est plutôt original. On y apprendra avec stupeur que la consommation électrique annuelle d’un habitant de cette zone est celle… d’une ampoule de 75 W ! Quand on connait les rythmes démographiques de cette partie du monde, on mesure à quel point les besoins en énergie grandiront encore dans les décennies à venir… sauf à laisser l’Afrique subsaharienne dans la plus grande pauvreté : ce que personne ne peut souhaiter et que les Africains eux-mêmes se chargeront de démentir !

La cinquième partie fait le point sur les mesures à prendre pour faire face au défi climatique. Rien de bien neuf : efficacité énergétique, diversification des approvisionnements, transports et mobilités, aménagement des territoires, modes de consommation… On a même droit à une liste des actes citoyens (éteindre la lumière quand on quitte la pièce et autres). On aurait pu s’attendre à autre chose, mais il faut supposer que ces conseils font à présent partie de la vulgate écologiste, un passage obligé, en quelque sorte. Rien ou si peu sur le choix désastreux de l’Allemagne de sortir du nucléaire (il faut voir la part du charbon et surtout du lignite dans le mix énergétique d’outre-Rhin !). Rien non plus sur une sortie par le haut du problème : les recherches sur le captage du CO2 sont à peine évoquées, et pas davantage les projets de géo-ingénierie qui permettraient, non de régler le problème du réchauffement, mais d’avoir une approche différente. Cela dit, ce n’est pas le sujet de l’ouvrage et on ne peut le reprocher aux auteurs.

*

Cet Atlas fourmille de réfutations des idées reçues. Un exemple entre des dizaines d’autres : qui produit le plus de CO2 ? Une voiture à moteur diesel ou une voiture électrique ? Réponse : la voiture électrique si elle roule en Pologne ou en Chine (et bientôt en Allemagne), où l’électricité est produite à 90% dans des centrales thermiques à charbon ! En revanche, quel est le record absolu de la faiblesse des émissions ? La voiture électrique française, où l’électricité est essentiellement d’origine nucléaire. Eh oui ! L’écologie n’est pas toujours là où on l’attend !

*

Un mot sur la cartographie, ce qui est un passage obligé pour un Atlas. Les éditions Autrement semblent avoir définitivement renoncé à leur charte graphique jadis désastreuse qui, sans doute pour éviter la photocopie, rendait les cartes peu lisibles. Les cartes d’Anne Bailly sont claires et efficaces, comme ses graphiques ou iconographies diverses. Votre serviteur, pourtant intégriste en la matière, n’a relevé aucune violation des grands principes de la sémiologie graphique. Là encore, c’est suffisamment rare pour être salué. Comme quoi, avec une cartographe de talent, on arrive à produire des cartes efficaces !

On regrettera certes quelques détails : la carte de la consommation de pétrole, page 13, semble comporter une erreur (le Moyen-Orient consomme plus de pétrole que l’Amérique du Nord, l’Europe et l’Asie réunies. C’est dommage, car cela jette le doute sur les autres données d’une collection de cartes très réussie par ailleurs. On s’étonnera également d’une carte des importations de gaz, page 83, dont l’unité est en Twh. Mais tout cela est peu de choses.

*

Une conclusion générale, par B. Mérenne-Schoumaker, rappelle l’articulation global/local, selon le jeu d’échelles cher aux géographes, et replace le propos dans le cadre d’un développement durable à trois piliers (économique, social, environnemental) : une approche classique mais nécessaire, tant il est d’usage de réduire la durabilité au seul aspect environnemental. L’auteur y ajoute les règles de bonne gouvernance : une incise particulièrement pertinente, ce qui replace la question dans le cadre du débat citoyen : l’Atlas doit ainsi donner des clés pour comprendre, à partir desquelles les citoyens que nous sommes pourront se forger leur opinion. Et aider leurs élèves à se forger la leur…

*

Au total, une 3e édition très réussie, intelligente, nuancée, avec des cartes et graphiques remarquables. On ne peut que recommander cet ouvrage, y compris aux lecteurs des éditions précédentes, tant le propos est clair, actualisé, documenté et sans parti pris. Une double page de bibliographie et sitographie vous permettra d’approfondir à loisir ce sujet fondamental.

Christophe CLAVEL
© Clionautes 2015.