Pierre Allorant et Noëlline Castagnez : deux enseignants-chercheurs du CEPOC d’Orléans
L’ouvrage Mémoires des guerres (Le Centre-Val de Loire, de Jeanne d’Arc à Jean Zay), publié sous la direction de Pierre Allorant et Noëlline Castagnez, constitue l’avant-dernière parution des Presses Universitaires de Rennes, dans la collection « Histoire ».
Pierre Allorant est professeur HDR en Histoire du droit et des institutions à l’université d’Orléans (POLEN EA 4710). II vient de publier avec Jacques Resal La Grande Guerre à tire d’ailes. Correspondance de deux frères dans l’aviation. 1915-1918 (Encrage, 2014).
Noëlline Castagnez est maître de conférences en Histoire contemporaine à l’université d’Orléans (POLEN EA 4710). Elle vient de diriger avec Gilles Morin, Le Parti socialiste d’Épinay à l’Élysée 1971-1981, (PUR, 2015). Tous deux ont dirigé avec Antoine Prost, Le moment 1940. Effondrement national et réalités locales (L’Harmattan, Cliopolis, 2012).
Au sein du laboratoire POLEN (Pouvoirs, Lettres, Normes), Pierre Allorant et Noëlline Castagnez sont membres de la branche CEPOC (Centre d’Etudes Politiques Contemporaines), dont le professeur des universités Jean Garrigues est l’actuel directeur. La spécificité du CEPOC est d’appliquer en priorité les questionnements du laboratoire POLEN au champ des pouvoirs, institutionnels et autres, mais aussi des contre-pouvoirs, des marges et des dissidences politiques, sociales et culturelles. Il regroupe des historiens du politique et de la littérature, des linguistes, des civilisationnistes et des historiens du droit. Sa spécificité, à l’échelle nationale, est notamment d’être la seule équipe d’historiens français travaillant sur la vie parlementaire. Les problématiques et les travaux du CEPOC sont centrés sur la période contemporaine (XIXe-XXIe siècles) mais également ouverts aux autres périodes historiques, de l’Antiquité à la période moderne. Ils mettent l’accent sur la dimension internationale et comparatiste des questionnements étudiés. Un autre point fort du CEPOC est l’étude de l’écriture du discours mémoriel, qui reste un champ encore insuffisamment exploré et qui correspond aux compétences exprimées dans l’équipe du CEPOC, tant chez les historiens que chez les littéraires et les linguistes. La perspective est donc historique, concernant les politiques de la mémoire (commémorations, discours politiques, mémoires de l’événement et lieux de mémoire). Par conséquent, L’ouvrage Mémoires des guerres (Le Centre-Val de Loire, de Jeanne d’Arc à Jean Zay) rentre dans ce cadre des recherches menées par le CEPOC de l’université d’Orléans.
Mémoires des guerres en région Centre-Val-de-Loire : une nouvelle problématique
L’ambition de cet ouvrage, conçu à partir du colloque « Mémoires des guerres en Centre-Val de Loire de Jeanne d’Arc à nos jours : traces locales, résonances nationales et regards croisés », tenu à Orléans les 6 et 7 mai 2014, est à la fois plus large dans l’appréhension des mémoires plurielles des guerres dans le temps, mais plus limitée dans l’espace puisque sur un territoire régional. Ce livre tente d’embrasser les mémoires des guerres sur la longue durée, afin de montrer comment elles s’articulent, voire se concur¬rencent. Ce panorama révèle la variété de leurs émetteurs, de leurs vecteurs et de leurs contenus pour en expliquer leurs différents usages.
Composé au total de 18 contributions, l’ouvrage est divisé en 5 parties comportant chacune une introduction. Outre un avant-propos de Jean-François Sirinelli (p. 7-8) et une introduction générale des deux directeurs de publication Pierre Allorant et Noëlline Castagnez (p. 9-14), les 18 communications se répartissent comme suit : 3 pour la partie I (p. 15-50), 4 pour la partie II (p. 51-116), 5 pour la partie III (p. 117-202), 4 pour la partie IV (p. 203-286) et 2 pour la partie V (p. 287-320). Puis, suivent la conclusion rédigée par Pierre Allorant et Noëlline Castagnez (p. 321-328), la table des figures (p. 329-330), les index des noms de personnes (p. 331-338) et de lieux (p. 339-344), les auteurs (p. 345-346) et, enfin, la table des matières (p. 347-349) sans oublier 35 planches d’illustrations en milieu d’ouvrage (I-XXIV).
Nous remarquons que, parmi les 18 contributeurs à l’ouvrage, 10 proviennent de l’université d’Orléans dont 7 du laboratoire POLEN EA 4710. Par conséquent, la part de leurs travaux fut importante sur cet ouvrage.
La première partie est consacrée aux acteurs du « devoir de mémoire » dans la région. Aussi, une entrée en matière par la démarche géographique du tourisme de mémoire s’est-elle imposée. Christine Romero (MCF d’histoire moderne à Orléans) apporte un regard neuf, dont la méthode et le corpus seraient à démultiplier et à comparer avec d’autres régions, sur les guides touristiques et leur utilisation différenciée des grands hommes, des lieux de mémoires et des itinéraires à privilégier. Cette étude incarne et localise, classe et interroge pourquoi tant de Moyen Age et si peu de contemporain, une telle omniprésence de la Pucelle d’Orléans et si peu de Jean Moulin, le préfet résistant (p. 19-30).
Parmi les acteurs institutionnels du « devoir de mémoire » très présents, surtout depuis deux décennies, en Centre-Val de Loire, à côté des créateurs des musées de la Résistance et de la Déportation, Olivier Lalieu (Historien et membre du CERCIL) montre que le CERCIL est spécifique sur bien des points. Ancré dans le territoire à cause des camps d’internement du Loiret, il a une histoire nourrie de revendications mémorielles, tout en étant un centre de recherche en coopé¬ration étroite avec les archives publiques, la Fondation pour la Mémoire de la Shoah et l’université d’Orléans. Le centre, lié à la redécouverte tardive de cette histoire occultée, a pu s’institutionnaliser grâce au relais des élus et de personnalités locales et nationales, les deux filles de Jean Zay, Serge Klarsfeld et Simone Veil (p. 31-42).
Quant à la guerre d’Algérie, cette « guerre sans nom », ces « événe¬ments », leur mémoire piégée a été entravée par « la gangrène et l’oubli » et par les enjeux mémoriels politiques et identitaires conflictuels entre communautés, avec une captation de l’héritage libérateur par un pouvoir militaire et un parti unique depuis 1962 en Algérie. Danièle Chevallier (Agrégée d’histoire) l’aborde par une monographie départementale du rôle des associations d’anciens combattants en Loir-et-Cher (p. 43-50).
La deuxième partie est dévolue aux « lieux de mémoire » remarquables dans la région, même lorsqu’ils ont été parfois effacés ou oubliés. Ainsi Stéphane Tison (MCF d’histoire contemporaine au Mans) part-il à la recherche des traces de l’Armée de la Loire de 1870-1871, estompées par l’écran de la Grande Guerre puis de l’Occupation, ce « Moment 1940 » aveuglant, tout particulièrement sur les bords de Loire dont les ponts ont vu affluer vers eux la dizaine de millions de réfugiés (p. 55-72).
Les carrés militaires, dans les cimetières compartimentés, ont été peu étudiés, mais Philippe Tanchoux (MCF en histoire du droit à Orléans) montre qu’ils constituent une étape décisive dans la prise en charge collective des morts (p. 73-84). Quant aux monuments aux morts de la Grande Guerre, omniprésents dans chaque village français, Alexandre Niess (Agrégé et docteur en histoire à Orléans) analyse leur mutation d’une guerre à l’autre (p. 85-104). Tout autre est le cas de la mémoire tsigane évoqué par Marie-Christine Hubert (docteur en histoire et archiviste aux AD à Rouen), marquée par le silence et l’absence, y compris de trace matérielle à Jargeau, où un collège a pris place sur le lieu de l’ancien camp d’internement. Comment une simple plaque pourrait-elle témoigner d’une mémoire occultée et délibérément retenue par les pratiques culturelles, funéraires et mémorielles comme celle des Tsiganes (p. 105-116) ?
Dans une troisième partie, les « grandes figures et les commémorations » spécifiques à la région de la Loire moyenne font une place toute particulière à Jeanne d’Arc, dès la fin de l’époque médiévale, étudiée par Colette Beaune (Professeur émérite d’histoire médiévale à Paris-Ouest) à travers le cas de Blois (p. 121-134), jusqu’aux instrumentalisations contemporaines de l’Union Sacrée (p. 135-150) analysées par Yann Rigolet (Doctorant en histoire contemporaine à Orléans). La mémoire de Jean Zay (p. 151-168), longtemps réduite aux traces locales tronquées ou formulées sous le biais de l’antifascisme, resurgit sur le devant du Panthéon national, avec des modalités antitotalitaires analysées par Olivier Loubes (Professeur en Première supérieure à Toulouse). Jean Zay y rejoint Jean Moulin, dont l’héroïsation, en premier lieu chartraine, a contribué à la construction de la mémoire accommodante d’un corps préfectoral meurtri par le dévoiement de ses missions au service de l’État français. Le régime de Vichy est incarné dans le territoire par le préfet régional Morane (p. 169-186), sorti de l’oubli par Pierre Allorant (MCF d’histoire contemporaine à Orléans) et, sur le versant de la répression féroce des maquis de la Résistance, la mémoire locale des crimes de guerre dans le Berry a créé un abcès de fixation décrypté par Jean-Louis Laubry (PRAG d’histoire contemporaine à Orléans), avec une différenciation mémorielle dans les départements du Cher et de l’Indre (p. 187-202).
Une quatrième partie (s’ouvrant du local au national) sur « les usages des mémoires des guerres » déconstruit leurs rejeux, de Jeanne d’Arc à la Libération, en fonction des besoins du temps. Christian Renoux (MCF d’histoire moderne à Orléans) analyse la mutation de la mémoire de la Jeanne en un culte civique orléanais à l’époque moderne (p. 207-236). Gaël Rideau (Professeur d’histoire moderne à Orléans) saisit les usages mémoriels des guerres de Religion et leur réactivation au XVIIIe siècle à travers les manifestations de fierté civique et de rivalités urbaines (p. 237-252). La mémoire douloureuse des popula¬tions civiles victimes des occupations allemandes de 1870-1871 et de la Grande Guerre offre, à Philippe Nivet (Professeur d’histoire contemporaine à Amiens), un terrain d’études comparées entre les départements picards meurtris et le Loiret (p. 253-268). Noëlline Castagnez (MCF d’histoire contemporaine à Orléans) resserre la focale sur Orléans au lendemain de la Libération pour mesurer l’impact sur la vie politique locale de la mémoire vivante de la Seconde Guerre mondiale, qui pose la question des festivités du 8 mai, prises entre la Délivrance de la cité par la Pucelle et la récente victoire sur le nazisme (p. 269-286).
Dans une cinquième et dernière partie, les « Regards croisés sur les mots de guerre », enfin, offrent l’opportu¬nité d’autres angles d’attaque en croisant les approches disciplinaires, de l’anthropologie à la littérature. Ils permettent de s’ouvrir à d’autres témoins que les victimes, tels que les occupants allemands, prussiens et bavarois dont Anne Friederike Delouis (MCF d’anthropologie sociale à Orléans) étudie la correspondance et les écrits (p. 291-306). Denis Pernot (Professeur de Lettres à Paris 13), enfin, saisit sur le champ – d’honneur – le discours nécrologique en hommage à Charles Péguy et sa mémoire immédiate qui neutralisent, pour longtemps, la dimension polémique de son itinéraire et de son œuvre (p. 307-320).
Mémoires des guerres : un nouveau champ historique national ou orléanais ?
En guise de conclusion provisoire concernant l’ouvrage Mémoires des guerres (Le Centre-Val de Loire, de Jeanne d’Arc à Jean Zay), se souvenir de la guerre permet-il d’en sortir ? La mémoire collective est sélective et toutes les guerres ne laissent pas les mêmes traces. Le Centre-Val de Loire, formé à partir des provinces du Berry, de l’Orléanais et de la Touraine, entretient avec les mémoires des guerres une relation certes singulière, née de sa situation au cœur du domaine royal, mais aussi archétypale. De la Délivrance d’Orléans par Jeanne d’Arc en 1429 aux occupations de 1814-1815, 1870-1871 et 1940-1944, les traces locales de sa mémoire participent à la construction de son identité régionale, tout en ayant des résonances nationales.
Les acteurs régionaux du « devoir de mémoire » y ont combattu pour exhumer des oubliettes des souvenirs longtemps occultés, telle l’existence des camps d’internement du Loiret. Pour autant, quels « lieux de mémoire » émergent dans la région ? Les monuments aux morts de la Grande Guerre semblent dominer au point que l’on peut s’interroger sur l’effacement de la mémoire de 1870 ou de celle des crimes de guerres de l‘été 1944. De même, au côté de Jeanne d’Arc, instrumentalisée à chaque conflit, il faut attendre 2015 pour que Jean Zay rejoigne au Panthéon le préfet de Chartres, Jean Moulin. Et qu’en est-il de la fête johannique du 8 mai à partir de la Victoire de 1945 ? Étudier les usages des mémoires des guerres sur la longue durée, de la guerre de Cent ans à l’Occupation, en passant par les guerres de Religion, éclaire ainsi les crises d’identité qui empoignent la nation française de manière récurrente. Les regards croisés, enfin, de l’anthropologue sur la mémoire des occupants, et du littéraire sur la mémoire immédiate de Charles Péguy, contribuent à une histoire comparée des pratiques mémorielles.
Si la Seconde Guerre mondiale a fait écran en recouvrant la mémoire des occupations précédentes, c’est toute la strate mémorielle accumulée de conflit en conflit que cet ouvrage entend déconstruire.
Grâce à cette initiative du CEPOC, cet ouvrage s’adresse aussi bien aux enseignants-chercheurs s’intéressant à de nouveaux champs historiques qu’à ceux de la région Centre-Val de Loire sans oublier les érudits locaux et les étudiants en histoire cherchant de nouveaux sujets de Master 1 et 2 ou de thèse.
© Les Clionautes (Jean-François Bérel pour La Cliothèque)
Professeur-documentaliste certifié dans un collège-lycée à Tours. Titulaire d’une maîtrise d’histoire contemporaine (Master 1) avec un mémoire intitulé « Les radicaux et les radicaux-socialistes en Indre-et-Loire (1928-1934) », soutenue en 1992, sous la direction de Michèle Cointet-Labrousse, à l’Université de Tours puis d’un Master 2 Histoire Recherche à l’Université François-Rabelais de Tours ayant pour mémoire de M2 l’intitulé suivant : « Les parlementaires radicaux et radicaux-socialistes en Indre-et-Loire (1919-1940), sous la direction de Robert Beck. Actuellement, il travaille sur le radicalisme en Indre-et-Loire sous la Troisième République sur le plan électoral.