Ancien directeur de l’institut international d’études sur la paix d’Oslo, Dan Smith a été assisté pour toute la partie sur le Proche Orient et la Méditerranée Orientale par Ane Braein, qui dirige cette section à Oslo.
Sur les neuf chapitres de l’ouvrage qui est composé de plus de 50 cartes et croquis en couleur, quatre sont consacrés aux généralités sur les conflits tandis que les six autres sont consacrés aux études régionales. L’Europe, l’Amérique Latine, l’Afrique et l’Asie, sont traités de façon générale avec une présentation cartographique et chronologique avant que les auteurs ne donnent un coup de projecteur, très synthétique, sur chaque conflit qui ensanglante l’espace continental défini.
Les présentations sur chaque thème sont illustrées par un planisphère sur la double page, les légendes sont claires, même si, une fois sur la carte, ces symboles sont parfois difficilement lisibles. Les flammes noires, blanches, grises et roses qui distinguent les différentes formes de guerres, ne sont pas forcément toujours faciles à différencier.
Une présentation des acteurs des conflits
Pour les thèmes généraux, comme celui de la puissance militaire l’auteur fait opportunément appel à la représentation par anamorphose pour ce qui concerne les effectifs sous les drapeaux. Les deux Corées, du Nord et du Sud apparaissent comme surdimensionnées, dans la mesure où la légende évoque les évolutions des effectifs militaires. A ce propos, et c’est sans doute l’une des cartes les plus intéressantes de l’ouvrage, cette représentation par anamorphose des effectifs militaires est tout à fait significative d’un technical military gap qui se creuse entre les différents pays.
La Chine qui a vu ses effectifs diminuer de façon drastique entre 1985 et 2001 s’est tout de même dotée de moyens militaires modernes, notamment dans le domaine naval. La carte montre tout de même, du point de vue des effectifs, un gros déséquilibre en faveur des pays d’Asie.
Pour les armes de destruction massive, une carte des essais nucléaires rappelle les effets de ces derniers. Les essais nucléaires français de Polynésie sont assortis d’un commentaire évoquant les malformations d’enfants, tandis que les expérimentations des Etats-Unis sur l’atoll de Bikini pendant lesquelles des pêcheurs japonais ont été irradiés en 1951, ne semblent pas poser de problème.
Tout à fait intéressante par contre, l’étude sur le marché international des armes légères montre comment les circuits des trafics se mettent en place avec l’exemple du Rwanda.
Cette série sur la puissance militaire aurait pu être opportunément complétée par une présentation des puissances navales. La domination Américaine présentée page 34 serait apparue comme encore plus écrasante avec le déploiement des groupes de combat aéronavals qui sont les véritables moyens de projection de puissance dont le Président des Etats-Unis peut disposer à tout moment. De ce point de vue, les autres puissances maritimes sont largement distancées par les capacités de la marine américaine en général et de l’aéronavale en particulier.
Le chapitre trois, la guerre et les peuples s’ouvre sur une présentation des lois de la guerre, constamment violées ou ignorées, et sur une carte qui présente les positions des différents Etats à propos de l’établissement de la Cour pénale internationale. La distinction entre les Etats qui ont ratifié ce traité de Rome et ceux qui l’ont signé mais pas ratifié est éclairante. Les Etats-Unis ont clairement fait savoir qu’il n’était pas question pour eux de se soumettre à une conception de la justice internationale qui puisse s’exercer à leur encontre. La Russie comme la Chine sont sur la même position. Plus subjectif par contre, l’inventaire et la localisation de ce que l’auteur qualifie d’atrocités, c’est-à-dire d’actes qui « franchissent les limites de la guerre considérées comme acceptables » . On y retrouve donc pêle-mêle, les massacres en Algérie, le World Trade center ou le Timor Oriental. Cet inventaire est peu éclairant et le terme d’atrocité bien vague. Par contre les thèmes traitant des réfugiés et des mines anti-personnels sont remarquablement illustrés par des cartes et des diagrammes lisibles et éclairants.
Les conflits dans leurs contextes continentaux
Les chapitres qui traitent des conflits dans leurs contextes continentaux, l’Europe, l’Asie, L’Afrique, l’Amérique latine, l’Afrique du Nord et le Proche-Orient sont sans doute les plus intéressants. Synthétiques, illustrés par des cartes précises et renforcés par des chronologies, il sont très pertinents pour l’étude du monde actuel et l’histoire du temps présent.
Pour l’Europe, La Yougoslavie retient forcément l’attention de l’auteur principal avec trois présentations sur l’éclatement de la Yougoslavie, le Kosovo et l’avenir de la Fédération mais c’est la présentation de la situation dans le Caucase qui est la plus remarquable. Les deux grandes cartes montrent les enchevêtrements ethniques, linguistiques et religieux, avec un état précis des conflits en cours tandis qu’un carton un peu trop petit présente les enjeux pétroliers avec le tracé des oléoducs.
La partie consacrée au Proche Orient déçoit par contre un peu. La partie consacrée aux Kurdes n’apporte pas grand-chose de nouveau tout comme la présentation, peu précise du conflit israélo-palestinien. Par contre la synthèse sur les implantations territoriales et les implications économiques et sociales qu’elle entraîne est particulièrement bienvenue.
Pour l’Asie, la présentation générale montre le nombre important de tensions qui se succèdent depuis 1990. Les deux géants démographiques du continent, la Chine et l’Inde apparaissent comme étant au centre des confrontations, avec une Russie de plus en plus marginalisée de son hinterland traditionnel d’Asie Centrale. Dans cette Asie centrale ex-soviétique, les Etats-Unis ont sensiblement renforcé leurs implantations et celles-ci apparaissent sur une carte de synthèse particulièrement claire avec des « camemberts » qui présentent les compositions ethniques de ces Etats fragilisés par les problèmes sociaux et politiques.
En Asie du Sud, la confrontation indo-pakistanaise à propos du Cachemire est remarquablement synthétisée tandis que le conflit interne au Népal, souvent ignoré des médias internationaux, fait une apparition remarquée dans cet ouvrage.
L’Asie des conflits est aussi présente avec le Sri Lanka ainsi que de façon plus globale l’imbroglio de l’archipel Indonésien et de sa périphérie dans lequel on retrouve la confrontation des îles Spratleys, revendiquées par le Bruneï, la Chine, Taïwan, la Malaisie, les Philippines et le Vietnam. Ces îles, ancien bagne colonial de la France au temps de l’Indochine sont inhabitées aujourd’hui, mais il semblerait que leur plateau continental soit riche de potentialités pétrolifères. Ce qui manque en fait dans cette présentation de l’Asie, serait tout de même une mise en perspective des problèmes posés par les frontières chinoises. Il semblerait que l’occupation du Tibet soit intégrée et considérée comme impossible à remettre en cause, et il apparaît également qu’il n’existe plus de confrontation en puissance entre le Vietnam et son voisin du Nord. Cela surprend un peu, même si le choix peut sans doute s’expliquer par l’abondance des points de confrontations qui en interdit le traitement exhaustif.
L’Afrique connaît un traitement important avec des cartes de synthèse utiles comme la pandémie du HIV en 2002 ou l’inventaire impressionnant des multiples points de conflits. L’histoire coloniale et les luttes pour les indépendances sont largement traitées avant que ne commencent les présentations régionales, toujours très synthétiques. L’Afrique de l’Ouest permet d’évoquer, peut-être un peu trop vite pour des lecteurs hexagonaux, la Côte d’Ivoire. Toutefois on peut constater que la démocratie progresse, du moins de façon théorique, si l’on en juge par le nombre de gouvernements élus en 2002.
Le Congo est séparé du Rwanda et du Burundi, ce qui permet sans doute de traiter précisément de ce génocide de 1994. Mais on aurait pu préférer une présentation de l’Afrique des Grands Lacs qui aurait été plus globale et présenter les enjeux à l’échelle ethnique par-dessus les frontières nationales. Le Soudan est par contre traité tout seul, ce que sa spécificité de pays musulman et de langue Arabe pour une partie importante de sa population justifie tout à fait. Ce pays a pu être, et reste peut-être encore, un point de ralliement du fondamentalisme.
L’Amérique Latine est par contre traitée sous l’angle de La Colombie et de ses voisins, ainsi que du point de vue de l’Amérique Centrale, ce qui peut apparaître comme un peu succinct. Un inventaire des mouvements de guérilla, l’évocation de la guerre du Chiapas, auraient pu se justifier également.
L’ouvrage s’achève sur une note malgré tout optimiste, puisque sont évoqués en dernier les différents accords de paix et les processus de paix en cours. Certains, comme celui entre Israël et la Palestine, étant, à l’heure où cette recension est rédigée, largement remis en cause.
Au final, l’ouvrage est plaisant dans sa présentation et facile d’accès. Il existe des choix de l’auteur qui ne sont pas simplement liés, on l’a dit plus haut, à l’abondance de la matière, mais peut-être à une vision anglo-saxonne du monde dans laquelle les historiens français peuvent ne pas tout à fait se retrouver. De plus, l’engagement pacifiste de l’auteur apparaît clairement dans les notices et dans la tonalité de leur rédaction. Cela reste un choix d’écriture qui peut parfois surprendre, même si l’ouvrage reste tout de même utile et, pour ce qui concerne les publications récentes et synthétiques sur le sujet, seul sur le marché.
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