Michel Winock, historien bien connu, est l’auteur de plusieurs livres de référence comme «  Le siècle des intellectuels » ou encore d’une biographie sur « Madame de Staël ». Cet ouvrage est différent car il se penche sur vingt personnalités mortes entre 1871 et 1914 qui, à des degrés divers ont incarné leur époque. Au-delà donc du moment du décès, c’est l’occasion pour l’historien de dresser le portrait de grandes figures de la IIIe République.

Le projet

Ces personnalités ont été soit applaudies, vénérées ou honorées, mais d’autres ont été détestées ou ignorées. Michel Winock les évoque au moment de leur mort quand s’écrit le bilan d’une vie. Il retrace leur existence « sans brûler l’encens et sans agiter le fouet ». Il note qu’à l’époque la trêve de deuil n’existe pas. Chaque portrait est accompagné d’une photographie et se déploie sur une vingtaine de pages. Les personnalités sont plus ou moins connues et cela participe au charme de l’ouvrage. Le lecteur prendra plaisir aussi à retrouver la plume de Michel Winock qui n’hésite pas à confier son plus ou moins grand attachement à chacun.

Les oubliés ou oubliées

Plusieurs portraits peuvent être classés dans cette catégorie comme Louis Rossel. L’auteur avoue d’ailleurs que ce nom lui fut longtemps inconnu. C’est un militaire égaré dans les rangs de la Révolution. Louis Rossel est un jeune officier engagé dans les rangs de la Commune. La gauche ne l’a pas reconnu comme un des siens, pas plus que la droite. Il était une conscience libre. Une entrée est dédiée à Louise Colet. Elle fut une écrivaine féconde et a obtenu à quatre reprises le Grand prix de poésie de l’Académie française. Elle est trop souvent réduite à ses amours avec Gustave Flaubert, comme si elle ne pouvait exister que par le regard de l’homme.

Les grands hommes

L’auteur développe le cas de Jules Michelet. Plus que par son culte du Peuple, Michelet a été une référence de gauche par sa vision de l’Histoire et de la Révolution. Jules Vallès marqua les esprits par son livre « L’enfant ». La Commune de Paris l’a révélé car à presque quarante ans il en a été l’un des participants actifs. Une autre entrée est évidemment consacrée à Victor Hugo et à ses funérailles nationales. Sa popularité dépasse largement le monde des lettres et s’étend au peuple entier. Ernest Renan, l’auteur de «  La vie de Jésus », sentait encore le soufre au lendemain de sa mort. Il eut portant droit lui aussi à des funérailles nationales. Louis Pasteur est une autre figure majeure. Pour lui, la recherche scientifique n’était pas séparable de ses applications pratiques. La mort d’Émile Zola montre que, contrairement à ce que l’on a longtemps cru, ce n’était sans doute pas un accident.

Henri Rochefort est un personnage haut en couleurs. «  Flambeur des casinos, habitué des courses, menant une vie de plaisir tapageuse, violeur selon certains, il n’entretient avec la morale ordinaire que de lointains rapports . » Il fut ensuite à la tête du journal « L’intransigeant » et se fit un champion des causes populaires.

Charles Péguy est une des premières victimes de la Première Guerre mondiale, tué le 5 septembre 1914. Socialiste, dreyfusard, admirateur de Jaurès, il a opéré une rupture avec la gauche. Péguy est resté toute sa vie fidèle au nationalisme républicain, celui de la Révolution française.

Les politiques

Dans cette catégorie, Michel Winock évoque Adolphe Thiers sous titré « l’apothéose du bourreau » tant la vie de cet homme est complexe. Sa carrière oscille entre deux pôles qui vont dessiner sa légende noire et accroître son prestige. Il est successivement le bourreau de la Commune et le libérateur du territoire. Autre personnage essentiel du début de la IIIe République, Léon Gambetta meurt prématurément à 45 ans. Il est souvent associé au programme de Belleville où il réclamait la liberté de la presse ou encore l’instruction primaire obligatoire gratuite. Le gouvernement décida de funérailles nationales. Personnage incontournable, Jules Ferry meurt en 1893. Pour lui, si le danger catholique existe, il ne vient pas de la masse des fidèles dont beaucoup votent républicain. Sadi Carnot est resté dans les mémoires comme le premier président de la République assassiné. Il est un serviteur de la République et non un leader. Il faut relever le fait qu’il est le premier à entreprendre des déplacements en province dans une volonté de rapprocher le peuple du pouvoir. Après une cérémonie à Notre-Dame, il est inhumé au Panthéon. Félix Faure est très souvent réduit aux circonstances rocambolesques de son décès alors qu’il fut aussi celui qui évita la guerre avec l’Angleterre au moment de Fachoda par exemple. Michel Winock évoque également Jean Jaurès.

Les femmes célèbres

George Sand a été, comme d’autres femmes évoquées dans le livre, trop longtemps vue uniquement à travers ses amours. Michel Winock évoque la figure de Mathilde Bonaparte, décédée en 1904. Fille du dernier frère de Napoléon, Jérôme, et d’une mère allemande, elle était née en 1820. Elle devint une sorte de première dame qui s’occupa des dîners et cérémonies officielles à Élysée à partir de décembre 1848. Un autre article s’intéresse à Louise Michel. « Infatigable, inlassable… elle prêche, professe, harangue, encourage, soulève les passions dans toutes les villes de France ». Le 11 janvier 1905, sa dépouille est transportée au dépositoire du cimetière Saint-Pierre de Marseille. Ses vraies obsèques eurent lieu à Paris le 22 janvier. Hubertine Auclert est enterrée au Père-Lachaise en avril 1914. En 1900, elle réunit plus de  6 000 signatures dans sa pétition aux députés en faveur du vote des femmes. L’année suivante, elle lance un timbre féministe qui représente une femme et un homme votant, côte à côte, sous le soleil levant du suffrage universel. Morte le 8 avril 1914, elle n’a pas pu participer à la grande manifestation suffragiste lancée par Séverine le 5 juillet.

Michel Winock offre donc le portrait d’une vingtaine de figures de la IIIe République, alternant personnalités très connues et d’autres moins. Il permet surtout une approche incarnée, vivante, d’hommes et femmes disparus en leur redonnant leur épaisseur et leur vivacité.