Cet ouvrage d’un collectif d’auteurs, associés à Migreurop fait le point sur les migrations. Son originalité replace le phénomène dans le temps avec une première partie consacrée aux formes historiques de la liberté de circulation et un angle de réflexion : la liberté de déplacement.
L’introduction permet de rappeler qu’il existe des espaces ouverts, de libre circulation en Europe, en Afrique de l’Ouest, même si la mobilité est plus facile pour certains, un monde d’inégalités économiques, sociales, raciales.
En matière de présentation, un choix simple : un thème une double page, texte à gauche, carte ou graphique, schéma à droite.
Les formes historiques de la liberté de circulation
Dans l’histoire, la liberté de circulation s’inscrit dans un rapport de production, de domination de race, de genre ou de classe sociale. La possibilité de migrer dépendait à la fois des besoins de main-d’œuvre du pays d’accueil que des moyens financiers du migrant.
Plusieurs exemples et situations illustrent cet premier chapitre.
Le premier exemple est celui des circulations entre l’Algérie et la France de 1914 à 1946 : les circulaires Chautemps de 1924 montrent que l’accueil n’est possible que pour un candidat disposant d’une carte d’identité, d’un contrat de travail et indemne de tuberculose.
Les migrations des Chinois vers les États-Unis à partir du XIXe siècle sont régies notamment par le traité de Burlingame (1868) dont l’article 5 mérite d’être connu : «[le] droit inaliénable de l’homme à changer de domicile et d’allégeance, ainsi que l’avantage mutuel de la libre migration et émigration de leurs citoyens et sujets entre deux pays, à fins de curiosité, de commerce ou en tnt que résidents permanents. »(p.22). L’iconographie qui illustre le propos montre le flux des « engagés » chinois et indiens après l’abolition de l’esclavage.
Concernant l’Afrique, les auteurs ont choisi d’insister sur les échanges matériels intra-africains avant la colonisation au XVe siècle ; une seconde carte, sans référence de date, est peu lisible. Une double page évoque le pèlerinage à la Mecque.
Viennent ensuite, dans un désordre chronologique un peu perturbant : les femmes seules migrantes vers les colonies britanniques au XIXe siècle, le cas de la Libye où les migrations sont liées à la diplomatie de Kadhafi, la limitation de circulation des Amérindiens en Amérique du Nord au XIXe siècle, la question raciale à la frontière mexico-étasunienne à partir de l’exemple d’un esclave William Ellis.
La position, au XIXe siècle, des mouvements politiques et syndicaux montrent à la fois la solidarité ouvrière la demande de restriction de l’immigration, synonyme de bas salaires.
Les quarantaines sanitaires nous mènent jusqu’à la covid et le dernier point évoque les migrations environnementales depuis la sortie d’Afrique par Homo sapiens.
Cette première partie est, certes, stimulante, mais le non-respect de la chronologie gène un peu la lecture.
Les espaces régionaux de liberté de circulation
Un ensemble de cartes montre ces espaces actuels de libre circulation et leurs conditions d’usage.
Sont ainsi traités : l’Europe de l’UE, Schengen n’est pas cité, la situation particulière des Bulgares et des Roumains, le politique des travailleurs détachés : France/Maghreb, Espagne/Amérique latine, les droits des migrants en Europe à avoir une vie de famille.
Au-delà de l’Europe, une double page analyse le réservoir de main-d’œuvre, peu qualifié de l’Asie du Sud-Est, vers Singapour et la Malaisie, la circulation dans l’espace post soviétique, la circulation des hommes et des produits entre la Côte-d’Ivoire et la Tunisie, une migration traditionnelle : la transhumance en Afrique de l’Ouest et dans le même espace l’apparition de l’identification biométrique visant à favoriser les mobilités inter-étatiques et à limiter la corruption aux frontières.
C’est ensuite l’accord de résidence du Mercosur de 2003, entravé par les problèmes politiques au Venezuela qui ont conduit quelques pays à limiter l’accueil des Vénézuéliens, enfin une double page est consacré au cas de la frontière entre le Guatemala et le Mexique.
Circulation des marchandises, services et capitaux
Les auteurs ont souhaité monter, je pense, qu’il y a des liens entre circulation des marchandises et des personnes comme dans le cas de la récolte des fraises entre Californie et Mexique. La route du verre, la mobilité particulière des équipages de navires de commerce, les call centers délocalisés, la circulation des capitaux et des données personnelles complètent un propos pas toujours très clair.
Autonomie des migrations et solidarités : la liberté de circulation en actes
Cette partie met un coup de projecteur sur les outils, techniques, modes d’organisation des migrants : « La liberté de circulation en actes ».
Sont décrit les formes de protections sociales transnationales « par le bas », mise en place par les migrants : carte des transferts de fonds en Afrique de l’Ouest, entraide à Ceuta et Melilla, caravanes migrantes en Mésoamérique, mais aussi le cas particulier des personnes fuyant des discriminations sur l’identité de genre ou l’orientation sexuelle. On aborde aussi la riposte à la technologisation du passage des frontières, les outils cartographiques de Frontex et ceux des réseaux de sans papier, la représentation des parcours migratoires.
Dublin, droit d’asile, anonymat et identification, ces mots ouvrent une réflexion sur les outils de contrôle, sont-ils pour ou contre les migrants ?
Les passeurs, sont-ils un mal nécessaire ?
La solidarité aux frontières et la dénonciation des atteintes aux droits de l’homme sont illustrées par divers exemples : autour de Briançon, en Méditerranée, le long de la route des Balkans.
Sur ces aspects, on pourra se reporter aux CR des conférences du FIG 2019
Re/penser la liberté de circulation
Penser le phénomène, c’est analyser les idées de libéralisme, de gouvernance mondiale, de « gestion » des migrations. Les auteurs évoque le mouvement No border, les approches féministes et queer, la question des Roms, les passeports amérindiens en Équateur, la solidarité locale (accueil rural, parrainages républicains en France).
Et maintenant
Comment dépasser ce que les auteurs appellent « l’apartheid migratoire » ?
De très nombreux contributeurs, parfois différents pour le texte et la carte ou les schémas, une richesse certes, mais qui peut perdre le lecteur ; à vouloir aborder trop de thèmes, cet ouvrage est très inégal. Le pari annoncé de faire : « dialoguer des textes d’experts avec une iconographie riche et créative (cartes, dessins, photographies) [parfois peu lisible], et alternant des thématiques « classiques » aux sujets les plus actuels (pandémie, circulation des données, migrations des femmes, écologie…) » ne m’a pas convaincue.