Eric VERDEIL est professeur des universités et chercheur au Centre de recherches internationales (CERI). Il enseigne à l’École Urbaine de Sciences Po. Il propose cet Atlas des mondes urbains avec l’Atelier de Cartographie de Sciences Po qui réunit Thomas ANSART, Benoit MARTIN, Patrice MITRANO et Antoine RIO.

Depuis 2017, plus d’un humain sur deux vit en ville. Déjà en 1976, les Nations Unies estimaient que la croissance urbaine nous mettait face au double défi de contrôler les migrations vers les villes et de retrouver plus de justice sociale en leur sein.  Encore plus aujourd’hui, l’urbanisation massive fait planer la menace d’un déséquilibre écologique global. La pandémie de Covid-19, diffusée à l’ensemble de la planète par les réseaux interconnectés des villes, illustre ce déséquilibre extrême en même temps qu’elle révèle la grande vulnérabilité du monde-ville actuel. Face à ces inquiétudes, d’autres discours et d’autres acteurs voient pourtant dans les villes un bien commun de l’humanité, des vecteurs essentiels de la production de richesse, des lieux de création culturelle inédite, de coopération et de solidarité. « Pour tenter d’y voir plus clair dans cette confrontation d’enjeux et de discours, cet atlas explore l’urbanisation sous un éventail d’aspects et de thèmes » tout en essayant de multiplier les échelles et les focales et d’utiliser des sources et des données en provenance d’acteurs multiples.

Accélération de l’urbanisation

Les villes furent d’abord des lieux d’accumulation des surplus agricoles des espaces ruraux, puis de redistribution de ces surplus. Peu à peu elles sont devenues des outils essentiels d’affirmation pour les États. Il y a deux siècles, cette très longue histoire est entrée dans une phase de rupture inédite avec la révolution industrielle puis la mondialisation. Le rythme d’urbanisation s’est progressivement accéléré (Mécanismes de la transition urbaine, p.24-25). L’économie est devenue le moteur principal du développement urbain. Des seuils ont alors été franchis : de population, d’échelle,…(L’envol des métropoles, p.22-23) Toutefois, il est aujourd’hui nécessaire d’insister sur la diversité des mondes urbains (Le monde foisonnant et contrasté des petites villes, p.28-29) sans négliger les odeurs, les couleurs et les rythmes des sociétés.

Morphologie des villes

On peut se demander si les identités morphologiques des villes du monde sont en train de se dissoudre et de converger vers un paysage urbain indifférencié et banalisé (carte de comparaison Chine/États-Unis des magasins Walmart dans Standardisation, p.40-41). En même temps que cette banalisation des formes urbaines, on constate un étirement non seulement des immeubles d’habitation et des bureaux mais aussi des infrastructures (Expansion urbaine de Santiago du Chili, 1900-2014 dans La verticale des l’étalement, p.36-37) parfois marqueurs de fragmentations urbaines. Il ne faut toutefois pas oublier certaines identités paysagères fortes et reconnaissables notamment en lien avec l’environnement rural, en Asie du Sud-Est ou en Afrique par exemple.

Métropolisation, la hiérarchisation des villes modifiée

C’est la concentration des richesses mondiales dans un petit nombre d’agglomérations. Les métropoles se concurrencent entre elles pour attirer les fonctions de commandement. Elles forment un archipel urbain (L’archipel des alphas, p.52-53) dont les interactions avec leurs territoires environnants tendent à perdre de leur importance (Des métropoles peu ruisselantes, p.50-51). C’est une des critiques de la métropolisation. On peut aussi se demander si, avec la poursuite de la concentration métropolitaine des richesses, la hiérarchie des villes globales va être modifiée.

Vies urbaines

Malgré la circulation des hommes, des mots et des images, malgré l’ouverture du monde et le cosmopolitisme (Plan du multilinguisme à Toronto dans Locomotives cosmopolites, p.64-65) que la ville encourage, la vie citadine reste travaillée par de fortes tensions  : entre le désir d’individualisation et la création de nouveaux liens d’appartenance, les inégales pratiques de la ville et des espaces publics selon les revenus (entre bidonville et gentrifications, p.74-75) mais aussi selon les genres (carte de l’insécurité perçue par les femmes à New Delhi dans Urbanité de genre, p.68-69), opposition mouvante entre centre(s) et périphérie(s),…

Anthropocène

Si la ville est l’un des moteurs de la « Grande Accélération », voire le principal, qui modifie les dynamiques planétaires, elle est elle-même très vulnérable face aux modifications de l’accélération (carte des décès dus à la Covid-19 à New York en février-juillet 2020 dans Virus et vulnérabilités, p.90-91).  Sous doute les villes sont-elles « la figure emblématique » de l’Anthropocène, comme l’écrivent Zalasiewicz, Waters et Williams. « Au point qu’il serait plus juste de renommer notre époque Policène – l’époque de la ville. »

Politiques

Les métropoles globales tirent parti de la mondialisation pour revendiquer des mesures d’exception, pouvant aboutir à plus d’autonomie. Mais ces revendications sont souvent freinées par les conflits entre acteurs locaux pour les choix d’échelles, de représentations, de compétences et d’instruments (Décentralisations à géométrie variable, p.108-109). « La gouvernance est tout sauf un chemin parsemé de roses ».

Des villes vertes

Les villes sont le siège de clivages puissants et de conflits parfois violents. Les réponses urbaines sont variées tant dans la hiérarchie entre acteurs et modes de gouvernance, de territoires de référence, de technologies et d’instruments. La habitants et les groupes font donc de ces villes des espaces d’expérimentation, d’apprentissage, notamment face au changement climatique (L’Europe des villes vertes, p.122-123).

Atlas des mondes urbains, nouveau paradigme de la géographie centré sur l’habiter

L’introduction de l’ouvrage d’Eric VERDEIL est lourde de promesses. Elles sont tenues. Loin d’être un Atlas des villes comme les autres, il s’agit bien là d’un recueil de textes, d’infographies, de schémas, de cartes permettant de parcourir les mondes urbains dans toutes leurs richesses et à toutes les échelles. Au-delà même, il permet de saisir la vie des habitants des villes et la diversité de leurs pratiques spatiales. En ce sens,  cet Atlas des mondes urbains s’insère volontiers dans le nouveau paradigme de la géographie centré sur l’habiter, reprenant à son compte et dans une visée spatiale les méthodes et acquis de nombreuses disciplines, dont la sociologie. On peut y piocher de nombreux exemples originaux pour traiter de la ville et des vies urbaines dans les nombreux thèmes qui y font références dans l’ensemble des programmes de géographie du secondaire.