Alors que les Alpes seront à l’honneur au prochain FIG de St Dié, L’Atlas des montagnes nous offre une belle entrée en matière. Cet atlas est l’œuvre conjointe de Xavier Bernier, agrégé de géographie et professeur à Sorbonne Université et de Christophe Gauchon, professeur de géographie à l’université Savoie Mont Blanc. Alexandre Nicolas, cartographe indépendant, a réalisé les cartes. Il propose plus de 90 cartes et infographies pour comprendre les liens tissés entre les sociétés modernes et les montagnes du monde.
Dans l’introduction, il est montré que les montagnes demeurent au cœur des problématiques actuelles. Elles sont des observatoires privilégiés des changements environnementaux. Elles sont là où on ne les attend pas et s’invitent au Festival de Cannes dans le film primé Anatomie du chute. L’univers de la montagne attire autant qu’il inquiète. Si quatre humains sur cinq vivent au-dessous de 500 m, il reste 1,5 milliards d’individus qui vient au-dessus de cette altitude. La montagne est donc loin d’être marginale.
L’ouvrage nous fait « traverser » les montagnes en déclinant le thème à partir de multiples entrées des plus classiques aux plus improbables, en proposant une approche originale sur un espace géographique plus inséré dans le monde actuel qu’on ne pourrait le croire.
Nommer, mesurer, explorer les montagnes
Le livre s’ouvre sur une partie assez « technique », qui permet de comprendre d’emblée le lien tissé entre les sociétés et ces espaces si riches et si singuliers. Les auteurs s’appuient sur la toponymie, riche en symbolique et sur des exemples issus de nombreuses traditions, explorant les différentes appellations des plus hauts sommets du monde qui sont parfois connus sous plusieurs noms.
La mesure et l’exploration des montagnes se sont faites progressivement à la faveur des progrès techniques afin de parvenir à de mesures de plus en plus justes : ainsi l’Everest fut-il mesuré par les agents de l’Indian Survey depuis des stations installées sur des collines au nord de l’Inde et il fallut plusieurs années pour parvenir à une mesure qui se révéla juste à dix mètres. Les montagnes sous-marines sont également l’objet de recherches constantes du fait des mouvements de l’écorce de l’activité volcanique.
Maîtriser et traverser les montagnes
Les montagnes ont été traversées par les hommes : pour mieux circuler, pour les conquérir, pour s’y refugier.
Très tôt, la montagne a fait l’objet de grands travaux pour la traverser : le Tunnel du Pertuis du Viso est le tout premier tunnel creusé dès 1480. On franchit les montagnes, parfois au prix de prouesses techniques mais aussi d’une forte létalité.
Les montagnes sont et ont été des lieux de prédilection des conflits armés. Certains restent emblématiques, ou spectaculaires, comme le glacier du Siachen qui culmine à plus de 6000 m et sur lequel se font face les troupes indiennes et pakistanaises depuis 1984. Elles demeurent cependant des théâtres souvent périphériques de ces guerres.
La montagne peut être associée à l’idée de refuge, subi ou non, propice à la conservation de traditions . Cette notion de refuge est attestée à toutes les époques . Les auteurs l’observent à différentes échelles : de l’habitat au massif refuge. La montagne refuge n’appartient pas qu’au passé : les épidémies telles le Covid ont pu provoquer des réactions de repli. « La mouche du choléra ne volait pas, paraît-il, au-dessus d’une certaine altitude. Les gens se réfugiaient sur les hauteurs quand ils le pouvaient » écrivait déjà Giono en 1951. La montagne est aussi le lieu où l’on se réfugie pour échapper aux vicissitudes du monde, à l’instar de ces personnes électrosensibles qui s’installent dans les Appalaches où les ondes sont réduites du fait d’une réglementation spécifique due à la présence d’une base militaire. Ce sont les nouveaux « refuges de notre siècle ».
Enfin, quoi de mieux que les montagnes pour mesurer les conséquences du changement global ? D’abord la fonte des glaciers, puisque dans les Alpes françaises par exemple, la superficie englacée a diminué de 25 % entre 1970 et 2010 et 115 glaciers ont disparu dans l’intervalle (Gradient , 2014). Ces phénomènes ne sont pas sans conséquences sur les aménagements : la dégradation du permafrost amène une déstabilisation des ouvrages (pylônes, remontées mécaniques). Cela s’observe également au niveau des aménagements hydroélectriques : le captage installé par EDF sous la mer de Glace pour alimenter la centrale électrique des Bois, 485 m plus bas, s’est retrouvé à l’air libre ; EDF a donc du remonter le captage d’environ 1 Km. Certains itinéraires d’alpinistes ont tout bonnement disparu sous l’effet du réchauffement climatique.
Vivre et travailler en montagne
Hautes terres rurales d’Afrique de l’Est et d’Amérique latine, des agglomérations parfois millionnaires sont autant de lieux peuplés et qui attirent des populations. Ces sociétés montagnardes se transforment, innovent, s’adaptent .
Des cartes du peuplement à l’échelle de la planète montrent que les densités baissent considérablement une fois franchies les premières hauteurs. Certaines montagnes font exception, avec des densités fortes au-delà de 500 m : les hautes terres brésiliennes et le plateau brésilien, l’Afrique des grands lacs et le Drakensberg, les Ghats indiens, les rebords méridionaux de l’Himalaya et la Chine orientale, la péninsule ibérique et l’Anatolie pour ne citer que les plus représentatives. Certaines populations vivent à des altitudes où l’oxygène se raréfie : des populations souvent nomades qui ont réussi à s’adapter : il a été observé une hypertrophie du muscle cardiaque chez les Aymaras de l’Altiplano brésilien. On constate aussi une meilleure santé en montagne et une raréfaction des maladies.
Les villes d’altitude sont empreintes des fonctions montagnardes très diverses. Mexico, avec ses 21 millions d’habitants, est située à 2500 m d’altitude. Trente Etats, dont la moitié se situent en Afrique, ont aujourd’hui leur capitale à plus de 1000 m d’altitude. En dehors de Mexico et, dans une moindre mesure, Addis Adeba, peu sont des villes mondiales. Leur influence se joue surtout à l’échelle nationale. Elle doivent souvent leur notoriété à des héritages coloniaux. Dans leur organisation spatiale, on constate que la ségrégation sociale s’organise à la fois selon la pente, l’altitude et l’exposition.
Des leviers économiques et démographiques
La labellisation est un levier important pour permettre à certaines productions de montagnes de rester compétitives et faire face au défi que constitue la déprise. Mais ces labels sont nombreux et pas toujours uniformisés. Les productions de montagnes sont parfois devenues le socle même de territoires dont elles assurent la notoriété et l’identité : c’est le cas de Darjeeling, introduit par les Anglais à partir de 1856. C’est aujourd’hui une appellation contrôlée, « champagne des thés noirs » , insérée dans un processus marketing et bénéficiant même d’une IGP reconnue par l’Union Européenne.
Si on associe la montagne à une forme de déprise, elle représente aussi une opportunité pour certaines populations. Il a été observé que les six comtés des Etats-Unis ayant connu la plus forte croissance démographique étaient situés dans les Rocheuses. Un apport quantitatif mais aussi qualitatif de populations souvent plus diplômées explique cette croissance, leur arrivée s’accompagnant de modifications dans la manière de vivre : pratiques récréatives, télétravail…. Loin d’être isolé, cet exemple témoigne de l’extension du phénomène de gentrification à l’instar de certains espaces ruraux qui connaissent le même type de recompositions sous l’effet d’arrivée de populations nouvelles .
Enfin les montagnes sont valorisées par des activités innovantes, notamment dans le domaine de la transition énergétique (énergie solaire en Cerdagne, centrale solaire de Jujuy en Argentine..). Ces aménagements bouleversent parfois les sociétés de montagne mais constituent des solutions pour rompre l’isolement de ces espaces .
Protéger et préserver les montagnes
Chacun s’accorde sur la nécessité de protéger les espaces de montagnes . D’ailleurs, ce sont les premiers espaces à avoir bénéficié de mesures de protection (Yellostone aux Etats Unis en 1872). Ils peuvent faire l’objet de coopérations transfrontalières sur le modèle du réseau Alparc dans les Alpes.
La montagne est aussi associée à une faune particulière : refuge pour des espèces en danger, lieu de réintroduction de certaines espèces, traces de peuplements « reliques ». Les pressions anthropiques sont importantes sur la faune même si l’espèce animale participe à une forme de revitalisation de la montagne, notamment touristique. Mais, entre convoitise, valorisation , protection, la situation reste tendue à bien des égards. La forêt demeure un emblème fort en montagne, les arbres sont de bons indicateurs des fluctuations climatiques, ressource essentielle et objets de patrimonialisation.
La pollution est particulièrement visible en altitude. On garde en tête l’image de décharges ouvertes sur des lieux très fréquentés comme le camp de base de l’Everest. Et les atteintes peuvent venir de la vallée, véritables « cheminées de pollution ».
Une double page retient notre attention : elle s’attarde sur le terme « Alpes » , employé autant au singulier qu’au pluriel. Les Alpes constituent un modèle universel de la montagne et se sont disséminés très loin de l’Europe, jusqu’en Nouvelle Zelande . Une série de cartes recense toutes les régions de la planète où le terme « alpes « a été repris.
Se divertir en montagne
La montagne est synonyme de loisirs, de bien être, de bienfaits pour la santé. L’aménagement de routes touristiques, certaines faisant l’objet de classements, permettent d’avoir accès à des paysages emblématiques de la montagne. Les GR par exemple : les premiers ont été tracés en France en 1947 , l’Espagne et le Japon se sont aussi ouverts à ce type de chemins touristiques. Parmi les cent premiers GR français numérotés , 84 ont tout ou partie de leur parcours en montagne. Les vertus pour la santé, eaux de montagnes, air pur, participent à la valorisation des montagnes mais aussi aux pratiques sportives : de nombreux athlètes bénéficient de centres installés en altitude comme Fon-Romeu dans les Pyrénées.
Si le ski reste l’activité « reine » , mondialisée, pilier de l’économie touristique en montagne, son avenir reste incertain : une carte présente le domaine skiable au nord est et des Etats-Unis et l’on ne peut que constater le déclin de l’activité : trois quart des stations qui fonctionnaient entre 1950 et 1970 sont aujourd’hui fermées. Mais ces pratiques ont également su s’adapter aux évolutions sociétales et de grands domaines ont été remaniés pour répondre à une demande de plus en plus complexe.
Enfin, de nombreux sites font partie du patrimoine mondial : à la fois pour leur apport paysager mais aussi culturel. Mais les montagnes n’échappent pas à une forme de « disneylandisation » , certains domaines survalorisant des clichés associés à la montagne . Des sociétés un peu à l’écart peuvent malgré tout y trouver un moyen de s’insérer dans la mondialisation.
Les montagnes : lieu de l’imaginaire
La montagne nourrit un imaginaire extrêmement riche. Dans les religions, dans la spiritualité en général. Religions du livre ou animistes, elles accordent toutes une place importante à la montagne et interrogent le rapport au sacré. Le Mont Athos (Grèce), le mont Wutai ( Chine) sont des lieux emblématiques inscrits au Patrimoine mondial de l’humanité. Quand les montagnes ne sont pas « rêvées », elles sont maudites : de la Jungfrau, vierge emblématique des Alpes bernoises, à la Maladeta, la montagne maudite point culminant des Pyrénées, les noms des monts ont été de puissants vecteurs de cet imaginaire. Un bestiaire particulier nourrit cet univers que l’on retrouve dans des œuvres célèbres comme Le Seigneur des Anneaux ou Princesse Mononoké. Enfin les montagnes tiennent une place importante dans l’histoire de l’art, dans la publicité et dans le 7e art. Puissance, gigantisme, régénération , catharsis, sont parmi les valeurs mises en avant par des campagnes pour des eaux, de l’immobilier, ou encore des voitures.
Une double-page envisage même la montagne « « loin de la montagne », s’appuyant sur le cas de Paris où les références à la montagne sont nombreuses. La capitale fournit un terrain d’expression « édifiant » : un plan de Paris présente les nombreuses références à la montagne . Sans oublier l’iconique « vieux campeur » , enseigne parisienne bien connue des amateurs de montagne et présente dans plusieurs autres villes françaises.
Conclusion : Et si les montagnes étaient des espaces comme les autres ?
A la fois singulières et communes , les montagnes sont essentielles à la compréhension du lien entre les hommes et leur environnement. Cet ouvrage extrêmement riche, en s’appuyant sur des exemples variés, puisés aux quatre coins de la terre, nous en fournit une belle démonstration. Il nous fait voyager dans ces espaces si riches et sa lecture nous amène à porter un regard neuf sur ces espaces fragiles et toujours plus menacés par le réchauffement climatique. Il pourra être complété par la lecture du numéro de la Documentation Photographique que l’on doit aussi à Xavier Bernier.