Dans cette somme de travail immense, Bénédicte Vergez-Chaignon revient sur une notion porteuse d’interprétations assez claires pour le commun de la société française, d’une part, pour nos programmes scolaires, d’autre part: l’épuration. De manière assez simple, c’est une période qui s’étend du débarquement à fin 1944 et qui comprend deux phases principales : l’épuration sauvage et l’épuration légale. Symbolisant une sorte de vengeance sans contrôle après des années d’oppression liée au régime de Vichy et à l’occupation, puis la reprise en main du GPRF et le retour de la démocratie et de la République, y compris à travers sa Justice.

Une période qui a suscité d’abord un silence devant le déchaînement de violences engendré, notamment de la part des résistants (une période noire de la Résistance) avant de progressivement être analysé dans sa complexité par des historiens comme Henri Rousso, démontrant la volonté politique de ne pas évoquer cette période.

Dans cet ouvrageChroniqué lors de sa première édition:https://clio-cr.clionautes.org/histoire-de-lepuration.html, l’historienne va beaucoup plus loin et apporte un regard inédit sur cette notion. Tout d’abord, en la replaçant dans un temps long, puisqu’elle tisse des liens marquants et convaincants entre cette notion et la Révolution française, particulièrement ne insistant sur la période de la Terreur.

Revenant à la Seconde Guerre mondiale, elle élargit l’épuration sur le temps large de la guerre, avec l’évocation de la débâcle de 1940, les purges au sein des mondes politique, militaire et administratif.

Bénédicte Vergez-ChaignonParmi ses ouvrages : Dictionnaire de la France sous l’Occupation, avec Éric Alary, Larousse, 2001 – Les Français dans la guerre – Archives du quotidien 1940-1945, Flammarion, 2022, Colette en guerre 1939-1945, Flammarion, 2022 développe surtout cette notion dans chaque « camp » en opposition dans ce conflit, en en montrant la profondeur d’interprétation et de nuance, interpellant ainsi le lecteur, remettant en cause ses postulats intellectuels de départ, ce qui ne laisse clairement pas insensible. 

Derrière l’épuration, il y a aussi la mise en avant d’une ambiguïté difficilement résoluble. Tout d’abord, Bénédicte Vergez-Chaignon montre à plusieurs reprises des anticipations de la part des groupes résistants et de la France libre quant au sort de ceux qui sont considérés comme des traîtres. Mais aussi, dans le cadre des femmes tondues ou des querelles de voisinage qui vont se transformer parfois en vengeance morbide et mortelle, de la spontanéité collective dans les punitions et châtiments appliqués. Le chapitre « Des victimes raisonnables » est particulièrement édifiant sur le sujet.

L’épuration est aussi analysée dans ses aspects matériels et économiques. La question des emprisonnements et de la place en cellule, la question des conséquences des arrestations de chefs d’entreprise, les difficultés immédiates et insolubles de la spoliation… l’épuration soulève, avec l’historienne, un certain nombre de problèmes qui rejaillissent sur la consolidation du nouveau pouvoir qui se met en place dès juin 44. Entre condamnations légères et sévères, témoignages plus ou moins précis, volonté de vengeance, querelles de voisinages et de concurrents, cette période renforce l’agitation d’un pays libéré mais traumatisé par ces 4 dernières années.

Enfin, étudier l’épuration, c’est aussi évoquer le sort des hommes politiques et du personnel de Justice. Que faire des hommes politiques de 39-40? Qui pour juger en 1944? Qui pour être présent dans les cours : avocats, jurys, juges? La Libération entraîne toutes ces interrogations, porteuses lourdes de sens, annonciatrices aussi d’un profond renouvellement de ces élites.

Ce livre est donc remarquable par sa densité et sa précision d’une part, par sa capacité à interroger le lecteur d’autre part. Il faut du temps pour le lire, de part sa longueur évidement, mais surtout de part sa volonté de dépasser les clichés liés à une interprétation trop souvent légère d’une notion, l’épuration, trop souvent utilisée de manière superficielle. C’est un livre d’exploration et d’introspection, de découverte et de réflexion continue.

Présentation de l’ouvrage sur le site de l’éditeur