Maître de conférences à l’université d’Angers, Samuel Delépine a à cœur de casser les idées reçues sur les tsignanes, peuples pourtant d’une grande diversité mais passés dans une catégorie administrative « à problèmes » donc à traiter, à savoir les « roms ».
Qu’ils soient gitans, manouches, bohémiens, roms ou encore romanichels, les tsiganes semblent ne partager, outre la langue, que le rejet comme unique point commun. L’auteur attire notre attention, dès les premières pages, sur le fait qu’aucune autre population européenne n’est l’objet d’une politique particulière et que cette vision ethnique est la cause de nombreuses dérives alors qu’une approche davantage sociale serait mieux appropriée.
HISTOIRE
Elle est faite de persécutions, de douleurs. Les tsiganes ont souffert de l’esclavagisme, d’un génocide par les Nazis durant la 2ème Guerre Mondiale qui peine à entrer dans la mémoire collective tandis que certains se voyaient internés en France dans le même temps. L’exemple du Kosovo montre également que les conflits géopolitiques leur ont été défavorables.
IDENTITÉS
Face à la multiplicité de noms pouvant se télescoper, l’éclairage de la première page de cette partie est essentiel et montre que 4 catégories peuvent dessiner la carte de l’Europe : les Roms à l’Est, les Sinti et Sinti-Manus à l’Ouest, les Gitans dans la Péninsule Ibérique et les Gypsies au mode de vie itinérant dans les Iles Britanniques.
Ce nomadisme est d’ailleurs le plus gros cliché concernant les tsiganes puisqu’il est indiqué que près de 90 % d’entre eux sont sédentaires. C’est avec les migrations qu’il ne faut pas tomber dans la confusion.
Ce chapitre évoque également le rôle particulier du noyau familial qui prime sur tout autre groupe et le paradoxe culturel qui oppose le rejet à un intérêt prononcé, notamment sur la question musicale.
PROBLÈMES ÉCONOMIQUES ET SOCIAUX
Là encore, pour ne pas amalgamer, précisons que mode de vie n’est pas niveau de vie. Et ce dernier n’est pas un choix, les tsiganes s’estiment pauvres et sont parfois contraints de maintenir des activités traditionnelles peu rentables pour tenter de préserver leur identité.
Le regard attentif sur les discriminations dont font l’objet les tsiganes montre une sorte de double peine : à une forme de résignation sur le racisme ordinaire s’ajoute une méconnaissance des outils juridiques de recours, elle-même désavouée puisque les institutions « gadjés » seraient la cause même des discriminations.
Les problèmes sont nombreux dans les domaines de l’éducation (très vite arrêtée), de la santé, de l’emploi (pas forcément salarié) et du logement devenu lui trop systématiquement social. Samuel Delépine s’interroge toujours sur cet étiquetage ethnique : « Doit-on considérer pertinentes des mesures uniquement destinés aux Roms quand la question du logement précaire ne concerne pas seulement cette population ? »
LES GENS DU VOYAGE EN FRANCE
S’il peut concerner, en théorie, n’importe quel citoyen français sans domicile fixe et désireux de vivre dans un habitat mobile, ce statut administratif de « gens du voyage » apparaît plutôt être une substitution douteuse au terme « tsiganes » d’autant qu’il est obsolète et plein de contradictions et que sa suppression pure et simple serait sans doute la clé.
Les obligations légales d’accueil sont peu respectées, notamment à Paris et sur la Côte d’Azur. Ces aires d’accueil ne sont d’ailleurs qu’une réponse institutionnelle à un problème de stationnement et non un choix de mode de vie. De plus, étant payantes et au prix en hausse, elles ne peuvent accueillir tout le monde, sélectionnant encore les catégories.
L’étude des mobilités montre certains « polygones » de vie (Jean-Baptiste Humeau) à l’intérieur du territoire national mais l’ampleur de ces parcours tend à se réduire pour des raisons à la fois positives (stabilisation due à la scolarisation des enfants, à l’exercice d’un emploi durable) mais aussi négatives (manque de ressources financières pour se déplacer).
DES POLITIQUES « TSIGANES » ?
La question est-elle du ressort de l’Europe ou de la responsabilité des Etats ? Sans doute les deux. Le débat sur les « Roms migrants » est un faux problème, une construction publique artificielle, puisque la part des Roms dans les mouvements migratoires n’est pas plus élevée que dans le pays d’émigration.
Divers zooms sont présentés : le cas italien très extrême allant jusqu’au fichage, le cas français favorisant le chiffre des expulsions, les programmes politiques antitsiganes hongrois et bulgare.
En définitive, les bonnes volontés locales, les « bonnes pratiques » comme il est à la mode de les nommer, donnent quelques résultats mais leur ciblage « ethnique » demeure un problème de fond même en voulant bien faire.
C’est à cette conclusion que la lecture de cet Atlas nous permet d’arriver : l’approche sociale devrait primer sur l’entrée ethnique. Espérons que cet ouvrage y contribue, en tous cas, il permettra au moins de casser un certain nombre de poncifs sur le sujet.
Côté réalisation, rien à redire sur cette collection d’Atlas désormais bien connue : les conclusion de chapitres permettent de faire le point, les documents toujours de qualité et bien variés et mettent en avant, dans ce cas précis, des focus intéressants sur l’échelle du quartier pour étudier le relogement ou sur celle, encore plus précise, de l’aire d’accueil.