Une expédition de 51 jours, seul, à travers l’Antarctique

L’exploration est l’un des principaux vecteurs d’acquisition de connaissances. Depuis la reconnaissance des côtes par des navigateurs russes au XVIIIe siècle, l’Antarctique est un continent qui fascine les aventuriers, explorateurs, scientifiques et désormais touristes.

Membre de la Société des Explorateurs Français (SEF), Matthieu Tordeur a déjà réalisé plusieurs aventures au long cours, seul ou en duo : tour du monde en 4L pour promouvoir la micro-finance avec son ami Nicolas Auber, traversée de l’Europe de l’Est à vélo, traversée de l’Océan Atlantique à la voile, mais à pied à travers plusieurs marathons (dont celui de Pyongyang en Corée du Nord) ou ultra-trails (Sahara). Ce très admirateur de Tintin décide alors de préparer une nouvelle expédition à travers le « continent blanc », l’Antarctique.

Son objectif est de relier la côte de l’Antarctique au Pôle Sud, seul, sans voile de traction et sans ravitaillement. Depuis Punta Arenas en Argentine, direction la base d’Union Glacier. Le point de départ de son expédition est situé à une trentaine de minutes de vol de la base internationale : Hercules Inlet. Les 1130 kilomètres s’effectuent sur un terrain loin d’être plat. Les crevasses, le vent et la neige molle seront au rendez-vous.

Après voir effectué son expédition de novembre 2018 à janvier 2019, ce livre, publié chez Robert Laffont à la fin de l’année 2020, permet de vivre le périple de l’intérieur en un peu de plus de 200 pages. Pour se préparer physiquement et mentalement, Matthieu Tordeur s’est entrainé durant plusieurs mois dans le bois de Boulogne. Comment ? En tirant des pneus ! En effet, Matthieu Tordeur réalise son expédition à ski et en tirant une pulka, une sorte de traineau abritant l’ensemble de ses provisions.

Effectuer un tel périple nécessite d’ingurgiter le maximum de calories. En annexe, le lecteur trouve un tableau fort utile des repas nécessaires pour avoir la force de tirer un traineur pesant plus de 100 kilos au départ. Il lui est nécessaire d’atteindre les 6450 kilocalories par jour. Après un petit déjeuner léger (muesli, café), il est nécessaire de s’alimenter toutes les heures. On y apprendra que le salami danois, acheté en Argentine, est tellement gras qu’il ne gèle pas malgré des températures très basses. Gouda, nouilles instantanées, chips, viande séchée, chocolat, fruits secs et repas déshydratés seront également au menu de cette cinquantaine de jours d’expéditions.

L’Antarctique demeure une terre lointaine et inconnue pour la plupart des hommes. Elle recèle bien des mystères : aucun homme n’est jamais né ici, jusqu’à ce que l’Argentine, dans l’espoir d’asseoir sa souveraineté sur ce territoire, envoie une femme accoucher sur la base Esperanza en 1978. Mais ce continent, malgré quelques revendications territoriales, n’appartient à personne. Il est régit par le Traité sur l’Antarctique signé en 1959 par 12 pays, qui en fait une « terre de sciences et de paix » placée sous le signe du pacifisme. Toutes activités militaires, nucléaires et d’exploitation minière sont proscrites. Il est donc interdit d’exploiter les hydrocarbures et les minerais, tant en mer qu’à terre, dans l’ensemble de la zone d’application du traité. Cette interdiction a toujours été respectée depuis par ses signataires et aucun forage autre que scientifique n’a été observé.

Matthieu Tordeur, Le Continent Blanc, Robert Laffont, 2020, page 71

De nombreux passages de ce journal d’expédition sont mobilisables dans le cadre d’un cours de géographie. La première partie du périple de Matthieu Tordeur se réalise dans des conditions climatiques étonnantes. Il fait chaud et la neige fond, ce qui ralentit la progression. Avec l’allégement progressif de la pulka (la nourriture est consommée et le combustible est utilisé pour le réchaud), l’explorateur atteindra une moyenne de 25-30 kilomètres par jour en se rapprochant du Pôle Sud. Jugeant que ses réserves étaient insuffisantes, il se rationne dans la seconde partie de l’expédition afin de tenir un peu plus longtemps que les 50 jours prévus.

Chaque hiver, l’eau de mer commence à geler en surface à partir de -1,8°C, du fait de sa salinité, pour former une banquise qui ceinture tout le continent. En septembre, au maximum de son extension, elle peut atteindre 18-19 millions de km², ce qui double la superficie englacée de l’hémisphère Sud. La fonte des glaces est particulière en Antarctique : on observe une progression de la banquise de 1979 à 2014. Autrement dit, jusqu’en 2014, si chaque année la banquise fondait bien l’été et se reformait l’hiver, sa surface avait tendance à grandir aussi bien en été qu’en hiver. Mais le processus s’est inversé : en 2014, la banquise antarctique a atteint son minimum historique. L’Antarctique a perdu autant de banquise entre 2014 et 2017 que l’Arctique en quarante ans (1979-2018) sans que la communauté scientifique puisse expliquer un tel retournement.

Matthieu Tordeur, Le Continent Blanc, Robert Laffont, 2020, pages 43-44

 

Source : Extrait des pages 23-24 du livre intitulé « Le Continent blanc » publié chez Robert Laffont, Novembre 2020

S’appuyant régulièrement sur les travaux du spécialiste des pôles Mikaa Mered, ce témoignage particulièrement concret d’un jeune explorateur est une lecture plus que conseillée pour les collégiens et lycéens désirant en savoir plus sur les changements climatiques actuels. Les enseignants de Terminale spécialité pourront également utiliser certains extraits pour étudier une partie des thèmes sur la connaissance (collaboration dans les bases scientifiques, itinéraire des pilotes d’Ilyushin, contact journalier entre l’entreprise de logistique et les différents explorateurs) ou l’environnement (changement climatique, banquise, tourisme polaire).

« Le Continent blanc » est une donc véritable odyssée humaine, particulièrement inspirante sur un vaste continent recouvert de neige, de glace et parfois de whiteout.

Pour aller plus loin :

  • Présentation de l’éditeur -> Lien
  • Une interview de Matthieu Tordeur à propos de la sortie de son livre sur France 24 :

Antoine BARONNET @ Clionautes