Un atlas sur un pays qui « tire sa singularité de sa pluralité »
Le livre est le fruit du travail d’Olivier Dabène, agrégé en sciences politiques, professeur des universités à Sciences Po Paris et président de l’OPALC, de Frédéric Louault, chercheur au Cévipol et coordinateur du Centre d’étude des Amériques, et d’Aurélie Boissière, cartographe. Il s’agit de la deuxième édition de cet atlas, sachant que la précédente datait de 2013. Il est structuré en cinq parties et comme souvent la conclusion du chapitre sur la double page amorce la partie suivante. On retrouve également comme dans les autres atlas de la collection des petites pastilles dans chaque double page. La très bonne idée c’est de proposer ici des extraits de chansons brésiliennes pour illustrer le propos. Mais cela va même plus loin car, en fin d’ouvrage, les auteurs les reprennent pour en faire une sorte de texte suivi car ces « perles du répertoire brésilien …éclairent l’histoire tout autant qu’elles invitent à la rêverie ».
La construction du Brésil
L’atlas retrace d’abord les différents cycles économiques que le pays a connus à chaque fois autour de matières premières, que ce soit le bois, le sucre ou les minerais. Il souligne les nombreuses révoltes qui ont émaillé l’histoire du Brésil et retrace aussi efficacement l’histoire politique du pays en précisant par exemple qu’au XIXème siècle, le Brésil était la seule monarchie constitutionnelle dans cette partie du monde. Les années Vargas ont amené de profonds changements dans le pays entre 1930 et 1964, oscillant entre modernité et paternalisme. Les auteurs abordent la question de l’identité avec un très utile tableau sur « la construction d’une identité culturelle entre 1915 et 1960 » qui envisage la musique, la littérature, les oeuvres historiques et les événements culturels. La question de l’aménagement est centrale dans le pays avec une urbanisation marquée par la nouvelle capitale, Brasilia, comme symbole. Il faut aussi relever le fait que Sao Paulo s’étend sur 100 kilomètres d’est en ouest.
Développement et environnement
Plusieurs défis se posent au Brésil : sortir de la dépendance énergétique, pérenniser la croissance économique et assurer un développement durable. Cependant, la réalité est que l’environnement reste, comme dans d’autres pays, une variable d’ajustement. Au niveau du commerce, les auteurs proposent une analyse très intéressante soulignant plusieurs points cruciaux. Ainsi, ils notent l’importance croissante de la Chine au détriment des Etats-Unis comme partenaire privilégié. Le Brésil se comporte comme une économie développée vis-à-vis de ses partenaires d’Amérique latine en exportant des produits industrialisés, mais en économie de pays en développement avec la Chine en lui vendant directement ses matières premières. Le Brésil demeure une grande puissance agricole et les auteurs soulignent que le soja a pris la place que le café occupait un siècle plus tôt. L’ouvrage fournit des données récentes et on apprendra peut-être que 90 % de la viande importée en Egypte vient du Brésil. Les incroyables richesses du pays n’empêchent pas le questionnement sur un modèle très « extractiviste ». L ‘aquifère Guarani réparti sur cinq pays représente uniquement au Brésil une surface d’un million de kilomètres carrés et représente deux siècles de consommation mondiale d’eau ! C’est un sacré paradoxe pour un pays où 45 % de la population n’a pas accès à l’eau potable. Les auteurs précisent aussi la situation de l’Amazonie qui résume à elle seule les contradictions du Brésil. La déforestation souvent pointée du doigt est bien une réalité mais il faut reconnaître qu’elle a tendance à régresser.
Les métissages
Le Brésil est le pays des syncrétismes culturels avec la samba, la capoeira ou le carnaval. Ainsi, ces trois aspects d’abord marginalisés et venant de milieux populaires, sont peu à peu intégrés jusqu’à devenir des symboles nationaux. Les auteurs font la part du stéréotype et de la réalité avec une double page sur la plage. L’article aborde successivement trois idées : l’invention de la plage, la plage, une illusion démocratique et l’économie de la plage. Il faut savoir qu’au début du XIXème siècle, les plages servaient de lieu de décharge et aujourd’hui elles ne sont en rien démocratiques car chaque secteur est typique de telle ou telle catégorie sociale. Les plages de Rio représentent aussi un poids économique lorsque l’on sait que c’est 2 millions de personnes qui peuvent s’y rendre sur un week-end. Notons aussi que le football est historiquement au Brésil une exception car il a d’abord conquis les élites avant de se démocratiser dans les années 30. Le métissage concerne également les religions : le Brésil est le plus grand pays catholique d’Amérique latine et est aussi une terre de pluralisme religieux. On assiste depuis quelques années à une confessionnalisation de la vie politique brésilienne et on découvre des parcours étonnants comme celui d’Edir Macedo, à la tête aujourd’hui de l’Eglise universelle du royaume de Dieu et de 1,9 million de fidèles tout en dirigeant une chaîne de télévision. Les médias justement sont aux mains de quelques familles et le Brésil est très engagé dans les technologies, étant actuellement le troisième pays au monde en terme d’inscrits sur Facebook avec 103 millions de personnes. Les télénovelas seraient finalement le seul loisir partagé par tous les Brésiliens, à tel point qu’un homme politique eut besoin de décaler son meeting qui tombait au même moment que la résolution de l’une d’elles.
Les défis de l’action publique
Les auteurs proposent une carte de l’IDH à trois dates, ce qui permet à la fois de visualiser les réels progrès du pays, mais aussi le fait que les inégalités et la pauvreté sont encore une réalité prégnante. La Bolsa familia, souvent évoquée comme exemple de la politique de Lula, a certes produit des résultats, mais on doit aussi considérer qu’elle a été vue par certains comme une manière de faire du clientélisme si l’on regarde le résultat du Parti des travailleurs aux différentes élections. Parmi les autres actions politiques, il faut noter que le Brésil s’est doté d’une loi de discrimination positive qui a fait couler beaucoup d’encre et qui a pris treize ans à aboutir ! A Rio, 22 % de la population vit dans une favela, soit 1,4 million de personnes. L’accès à la terre constituait aussi une autre facette importante du programme de Lula. Cet exemple montre bien encore les contradictions du Brésil puisque la très grande propriété est à la fois « le moteur de la croissance économique, la matrice des rapports sociaux inégaux et la base de l’autoritarisme politique ». Les terres avec plus de 2000 hectares, c’est 0,8 % du total, mais 42,5 % des terres cultivées. Le plan actuel régularise des occupations illégales plus qu’il ne redistribue réellement. Les auteurs envisagent ensuite la question de la corruption avec, là aussi, un bilan qui demande à être bien soupesé. Certes le pays est gangréné par l’actuel scandale Petrobras, mais c’est aussi dans ce pays que neuf ministres ont été démis de leurs mandats entre 2003 et 2010 et sept rien que sur l’année 2011, c’est-à-dire sous le premier mandat de Dilma Roussef ! Parmi les défis qui restent à gagner, il y a indéniablement celui de la violence puisque le taux d’homicides est le triple de celui de 1980 et le Brésil est un des deux pays les plus violents au monde.
La démocratie et le monde
Le Brésil ne s’est pas véritablement livré à un inventaire de son histoire et les années de dictature sont encore loin d’être soldées. A propos de la destitution de Dilma Roussef, les auteurs résument clairement la situation par une formule : « la procédure est légale mais brutale et abusive ». La double page sur « Le Brésil en Amérique latine » rappelle qu’hormis le Chili et l’Equateur, tous les pays d’Amérique du Sud sont frontaliers avec lui et pourtant, pendant longtemps, les liens ont été très faibles entre le Brésil et ses voisins. Le pays cherche en tout cas aujourd’hui à s’affirmer comme une puissance mondiale et on peut rappeler que depuis 2013 c’est un Brésilien qui est directeur général de l’OMC. L’ouvrage évoque également les grands événements sportifs qui ont fait rayonner le Brésil au moins au niveau médiatique car toutes ces infrastructures et dépenses ont finalement peu rejailli sur la population.
Cet atlas très clair se révèle très utile pour le programme de terminale en géographie. La conclusion des auteurs invite à ne pas brûler trop vite ce qu’on a précédemment adoré : « après l’émergence : le plongeon et le rebond ? » car la situation politique actuelle aussi désastreuse soit elle peut également être vue comme un « signe indéniable d’indépendance de la justice et de la vitalité démocratique ».
© Jean-Pierre Costille pour les Clionautes.