« Un pays très incorrect »
Après la parution en 2019 de la version en grand format, Fayard publie à nouveau un essai de Jean-Marie Bouissou à propos du Japon en version poche. Dans ce livre, l’auteur brosse un panorama général de la société et de l’histoire de l’archipel à travers l’observation de la vie quotidienne.
Normalien et ancien directeur de recherche à Sciences Po, Jean-Marie Bouissou enseigne également à l’université Waseda de Tokyo après un passage à l’université Keio. Cette expérience dans la prestigieuse université japonaise de la capitale lui a permis d’écrire cet ouvrage, que son éditeur reçut avec deux années de retard sur ce qui était convenu (anecdote issue des remerciements à la fin).
D’emblée, l’écriture est simple et le rythme rapide. L’auteur nous emmène sur le terrain pour mieux apprécier les réflexions générales. De l’observation à l’analyse, le lecteur parcourt l’archipel mais aussi la France dans une démarche de comparaison : le système scolaire, les trains, les supermarchés, l’alimentation, les élections, la police, les médias etc. Les chapitres divisés en sous-parties sont volontairement très courts.
Parmi les différents chapitres, notons la justesse de celui consacré aux rôles des yakuzas et des policiers locaux dans la société japonaise. Les liens entre les médias et les responsables politiques sont également expliqués à travers la place que chacun occupe : la presse et les tabloïds restent au sein d’un périmètre clairement défini, qu’aucun ne souhaiterait redessiner. Le chapitre consacré à la construction du récit national dans les programmes scolaires japonais est particulièrement riche.
« Dans ce qu’on enseigne encore d’histoire en France, les évènements symboliques et les dates s’effacent au profit du flux continu des évolutions profondes. Les personnages cèdent la place aux masses, et les nations aux populations. Les marqueurs qui parlent à l’imagination et auxquels le sentiment d’identité peut se raccrocher n’ont plus leur place. En outre, cette révolution pédagogique fait polémique, en sorte que le passé national, qui ici rassemble, est devenu chez nous prétexte à de nouvelles fractures.
Sans nier que le récit national soit manipulateur dans son principe même, on peut penser que ce n’est pas uniquement pour le pire. Celui dont on nourrit les jeunes Japonais fait une grande place au nationalisme et aux guerriers, et pourtant ils sont les moins disposés du monde à se battre pour leur pays ! La déconstruction des pseudo-grands hommes et des épisodes élevés au rang de mythes développe le sens critique indispensable aux jeunes esprits. Mais ceux-ci n’ont-ils pas aussi besoin d’admirer leur pays, et pourquoi pas de l’aimer ?
Source : Jean-Marie Bouissou, « Les leçons du Japon », Collection Pluriel, 2020, pages 156-157.
Désormais disponible à un prix modique, cet essai particulièrement vivant se révèle très riche en s’appuyant sur des cas concrets de la vie quotidienne dans l’archipel, témoignant de la grande expérience du terrain de l’auteur. Un livre de référence pour préparer la préparation de cours de lycée, notamment en classe de seconde sur la démographie. Certains passages, à l’instar des chapitres 14, 15 et 16 sur le rôle et le poids de la télévision pour forger l’idée d’une « nation japonaise », pourront également être une point de départ pour l’Enseignement Moral et Civique (EMC).
Enfin, notons que l’auteur publiera cet hiver un autre livre, « Décoder le Japon : en 350 photos » chez Philippe Picquier. Une sortie attendue !
Pour aller plus loin :
- Présentation de l’éditeur -> Lien
Antoine BARONNET @ Clionautes