Comment appréhender la question du Moyen-Orient, souvent présente dans l’actualité ? Sans doute en ayant des outils d’analyse et de compréhension qui dépassent la simple immédiateté. Pour cela, cet atlas des éditions Autrement s’impose comme un repère de grande qualité.

Il est l’oeuvre de Pierre Blanc, enseignant chercheur en géopolitique et rédacteur en chef de la revue « Confluences Méditerranée », et de Jean-Paul Chagnollaud, directeur de l’Institut de recherche et d’études Méditerranée/Moyen-Orient. Organisé en quatre parties, il propose aussi pour aller plus loin une bibliographie, ainsi que des repères, comme un tableau synthétique sur les Etats de la zone qui récapitule les principales informations avec notamment le PIB, le classement IDH ou encore le taux de chômage.

Héritiers et déshérités de l’histoire

Cette partie insiste d’abord sur le poids de la Première Guerre mondiale. Dans un premier temps, plusieurs doubles pages dressent le tableau historique et parlent de l’Empire ottoman à la veille du conflit. L’ouvrage revient ensuite sur la période 1915-1923, caractérisée par « génocides, épuration ethnique et échanges de populations ». Les auteurs soulignent l’interventionnisme des puissances européennes et les découpages en Etats. Cinq doubles pages explorent ensuite les destins très différents de pays comme l’Arabie, devenue Saoudite, l’Iran, l’Egypte, Israël, et n’oublie pas d’examiner ce que les auteurs appellent les nations « oubliées », à savoir Kurdes et Palestiniens.
Les auteurs donnent des jalons religieux en consacrant ensuite une entrée à la fitna et une à la place des chrétiens. A ce propos, ils s’interrogent sur le fait que, malgré une implantation ancienne, l’exode en train de se dérouler pour eux est peut-être définitif.

Dérives idéologiques et politiques

La région se caractérise par des systèmes rarement démocratiques et l’empreinte profonde d’idéologies comme le sionisme, le nationalisme et l’islamisme. Le sionisme est recontextualisé et Pierre Blanc et Jean-Paul Chagnollaud soulignent qu’il est passé « de l’émancipation à la domination ». Ils prolongent en qualifiant de radicalisation, terme souvent peu utilisé concernant le sionisme, la situation actuelle.
Pour le nationalisme arabe, relevons un document très intéressant pour aller au-delà de l’écume de l’actualité et résumer l’évolution du phénomène dans trois pays sur un siècle. Le nationalisme fut d’abord « sous tutelle », puis il fut « mobilisateur » avant de verser dans « l’autoritarisme ». Est ensuite développée une analyse très intéressante de l’islamisme politique, en montrant bien que, s’il s’est implanté durablement en Turquie, c’est en fait une exception. Une carte très éclairante souligne tout de même que le parti AKP est beaucoup plus implanté au coeur du pays que sur les littoraux.

Entre abondance et rareté

Dans cette troisième partie, Pierre Blanc et Jean-Paul Chagnollaud dressent un panorama des différentes ressources de la région. Sur les hydrocarbures, le tour d’horizon évoque l’importance de l’Arabie saoudite, le cas du Qatar et les potentiels que représentent aujourd’hui l’Iran et l’Irak. La question du transport se pose aussi fatalement et une double page se concentre sur ces « verrous stratégiques » que sont les canaux et détroits. D’autres ressources sont passées en revue comme l’eau, les espaces agricoles. Il ne faut pas non plus oublier les aspects symboliques avec par exemple un focus sur Jérusalem, ville trois fois sainte.

Les figures de la guerre

Les auteurs envisagent dans cette dernière partie la pluralité du terme de guerre. Elle commence évidemment par les conflits israélo-arabes et on note aussi une double page sur la question palestinienne. On est passé ensuite de conflits interétatiques à des conflits asymétriques. La zone du Moyen-Orient est au coeur des relations internationales avec l’omniprésence des Etats-Unis, le retour de la Russie et l’impuissance de l’ONU. Les rapports de force évoluent et l’ouvrage se conclut par une approche sur la Syrie. On retrouvera là une carte parue précédemment dans le Monde et qui envisage la situation du point de vue russe, américain et turc. Les auteurs parlent de Daech et choisissent de terminer par les risques de disparition du patrimoine.

Il faut citer en longueur les conclusions de Pierre Blanc et Jean-Paul Chagnollaud car elles vont parfois à l’encontre d’idées reçues sur cette zone. Pour eux, « les événements en cours depuis le début des années 2010 au Moyen-Orient ne sont pas une crise de plus, mais certainement un basculement historique, une forme de rupture avec le passé. » Le Moyen-Orient issu des lendemains de la Première Guerre mondiale a montré ses limites pour trois raisons : les « puissances dominantes …avec l’appui de certaines classes dirigeantes ont créé des Etats sans nation, laissé des nations sans Etats et instrumentalisé les appartenances communautaires plutôt que de construire les bases d’une citoyenneté. ». Ils développent ensuite les enjeux militaires, avec le poids de Daech, politique et diplomatique, et insistent sur l’ardente obligation de penser aux jours d’après.

Cet ouvrage très clair servira grandement au professeur comme en témoignent quelques propositions dans Clio-Lycée.

© Jean-Pierre Costille pour les Clionautes.