Journaliste belge, Daniel Dellisse offre une stimulante histoire d’un genre musical qui a marqué la seconde moitié du 20ème siècle, le Rock’n’roll. Né aux Etats-Unis, il s‘est répandu dans le monde, y compris dans ce qui était le bloc de l’Est à partir des années 1950.

Musique, économie, technique et société

               Un des intérêts de l’ouvrage est la volonté de l’auteur de lier l’histoire de la musique aux évolutions (et aux pesanteurs) de la société américaine, aux transformations économiques, aux changements techniques voire à des considérations plus politiques. Sans oublier cependant le rôle décisif joué par des passeurs, des précurseurs qui osèrent faire écouter des rythmes et des musiques joués par des Afro-américains à des jeunes de la classe moyenne ou des classes populaires blanches. Ce livre s’inscrit ainsi dans les pas de Robert Palmer pour le blues (Deep Blues, Du Delta du Mississippi à Chicago, des Etats-Unis au reste du monde : une histoire culturelle et musicale du blues) ou de Bodo Mrozek pour la pop musique (Quand la culture jeune dépasse les frontières). Tous deux recensés par La Cliothèque.

Ça balance et ça roule

Dans l’argot afro-américain, l’expression Rock’n’roll signifie à la fois danser et faire l’amour, « balancer et rouler ». Un animateur utilise cette expression, au début des années 1950, pour désigner son émission radiophonique destinée aux jeunes et, peu à peu, elle en vient à désigner la musique diffusée alors sur les ondes. Cette expression a aussi l’avantage d’être différente de celle de rythm’n blues, qui renvoie aux Afro-américains, en ces temps marqués par la ségrégation dans le Sud du pays et un racisme latent au Nord. D’où la résistance parfois dans le Sud envers les musiciens de rock.  Cette musique au rythme rapide qui se danse et s’adresse aux jeunes voit des groupes musicaux (ou des chanteurs) nombreux éclore : Ike Turner, Bill Haley and the Comets, Gene Vincent, Chuck Berry, Jerry Lee Lewis, Elvis PresleyL’auteur ne minore-t-il pas un peu l’influence et le rôle d’Elvis Presley dans cette histoire ?… Mais quasiment pas de chanteuses.

Des transformations techniques

La batterie est très souvent présente dans ces groupes mais ce qui change le son est le recours à la guitare électrique. D’abord creuse puis plate (sans caisse de résonance), celle-ci s’impose (avec les marques Fender ou Gibson) mais nécessite un amplificateur dont la puissance s’accroît peu à peu. En parallèle, le matériel d’enregistrement des studios se transforme à grands pas et permet d’effectuer des prises de son distinctes et ensuite synchronisées. Les années 1950 voient aussi le développement du transistor radio et de la télévision qui diffusent cette musique dans des émissions consacrées aux jeunes.

Les jeunes, de potentiels consommateurs

Évidemment, l’auteur évoque le développement d’une société de consommation. Le fait est bien connu. Les jeunes, plus nombreux du fait du Baby-boom, disposent aussi de moyens financiers plus importants que leurs parents au même âge. D’où l’essor de produits culturels à prix abordables pour eux qui leur sont destinés : le 45 tours, le concert, la place de cinéma… D’où aussi l’intérêt de marques de sucreries diverses ou de céréales pour les émissions qui leur sont destinées.

Des passeurs

Tout cela cependant n’aurait pas été possible sans le rôle de médiation qu’ont joué des passeurs (animateurs de radio, chanteurs, musiciens, organisateurs de spectacles… et jeunes auditeurs et auditrices). Ceux-ci ont accepté d’écouter une musique faite, au départ, par des Afro-américains, de la diffuser à la radio, d’en faire des disques destinés à un public blanc, de la jouer pour certains, voire de la pratiquer dans le même groupe musical que des Afro-américains… Et enfin pour le plus grand nombre de danser sur ces rythmes malgré les prévenances des parents. On retrouve d’ailleurs parmi les animateurs de radio certains de ceux qui ont contribué à faire connaître le blues.

Des événements Rock’n’roll

Rapidement cette musique connaît un succès significatif auprès d’une frange du public. Des événements sont organisés pour satisfaire ce public et pour en tirer des profits significatifs. Des films présentent des jeunes, souvent rebelles, qui aiment le Rock (L’équipée sauvage, avec Marlon Brando, 1953, Graine de violence, 1955, La Fureur de vivre, avec James Dean, 1955, Jailhouse rock, avec Elvis Presley, 1957) et bien plus tard sur un mode nostalgique American graffiti de George Lucas (1973). Des concerts se déroulent dans des salles dans lesquelles se retrouvent des Noirs et des Blancs ensemble mais où ils sont parfois séparés. Des tournées regroupant plusieurs groupes musicaux sont mises sur pied et attirent un public nombreux.

Une universalisation du Rock’nroll ?

Un des facteurs qui font l’importance du Rock’n’roll est sa diffusion à l’échelle planétaire. Cette musique séduit les jeunes dans l’Occident capitaliste mais aussi au-delà, y compris dans les pays du bloc de l’Est. Malgré pour beaucoup la barrière de la langue ou peut-être du fait que cette langue s’impose ppeu à peu comme la nouvelle langue internationale. Et l’auteur d’évoquer des clubs de fans en Europe ou au Japon ainsi que les résurgences de ces rythmes après ce qu’il considère être l’âge d’or du Rock’n’roll, soit les années 1950.

Un livre cllair fait par un journaliste et que devraient lire tous ceux qui s’intéressent aux liens entre musique et société. Deux regrets cependant. Nous aurions aimé que l’auteur poursuive son étude sur les liens entre Rock et musique pop des années 1960 aux années 1980 et nous espérons qu’un historien se penche bientôt sur cette révolution musicaleIl n’y a pas à notre connaissance d’ouvrage d’histoire sur le fil qui va du blues au rock puis à la musique pop des années 1960-1970..