Au moment où la France s’interroge et légifère sur le renseignement, cet atlas apporte des informations sur ce domaine où fantasmes et préjugés sont nombreux. La quatrième de couverture insiste pour préciser que, pour la première fois, « le renseignement est cartographié ».

En un peu moins de deux cents pages et cinq chapitres, l’auteur propose donc un tour d’horizon pour faire la part des choses sur ce domaine sensible. Le livre comprend de nombreux encarts, une bibliographie. Un des objectifs de l’ouvrage est de rendre visible et compréhensible ce qui normalement est caché et invisible. Chaque partie s’organise en plusieurs articles de quelques pages à chaque fois.

Cartographier le renseignement : méthodes et défis

Le thème est à la mode souligne Sébastien-Yves Laurent qui est professeur à Sciences Po et à l’IEP de Bordeaux. Il est également consultant et spécialiste des questions de sécurité. Il insiste sur le fait qu’il faut varier les échelles de temps et d’espace pour aborder un tel sujet. Il faut aussi réaffirmer que le renseignement est un instrument de l’Etat, mais ne doit pas en être sa fin.
Une des difficultés est que certains aspects du sujet sont difficilement cartographiables. Il ne faut donc pas attendre ici un appareil cartographique aussi fourni que dans les Atlas de chez Autrement par exemple. On pourra néanmoins déplorer que certaines représentations « graphiques » sont en réalité des chronologies déguisées.

Observer, influencer et agir

Ce premier article montre comment les espaces maritimes et aériens disposent d’un droit particulier entre le droit national et international. On poursuit par un article qui sent bon le roman d’espionnage lorsqu’il évoque les cellules Stay behind. Il s’agit de réseaux dormants en temps de paix, mais qui doivent pouvoir être activés très rapidement en cas de nécessité. On continue dans la guerre froide avec la liste et la cartographie des opérations secrètes menées par la CIA. En regard, l’auteur propose ensuite des informations sur l’action du KGB en Afrique et en Amérique latine. La France est aussi l’objet d’un article avec le cas de la Françafrique. Un dernier article de cette partie traite des assassinats des membres de « Septembre noir ».

Le renseignement face aux crises

Ce chapitre choisit d’évoquer huit exemples comme autant de cas d’école pour voir si le renseignement a, ou non, bien fonctionné dans les circonstances décrites. L’auteur choisit d’aborder donc des échecs et des réussites en ce domaine. Le premier cas envisagé est celui de Pearl Harbor. Les Etats Unis connaissaient les codes japonais et l’île d’Oahu avait fait l’objet de trois mises en alerte en 1940 et 1941. Pearl Harbor, c’est donc l’histoire d’audaces japonaises, conjuguées à de multiples erreurs de la part des Etats Unis. Sébastien-Yves Laurent évoque ensuite le débarquement de juin 44. Il souligne l’importance de l’intoxication réussie des nazis. En effet, à la veille de l’opération, les services de renseignement allemands estimaient à 79 le nombre de divisions sur le territoire britannique, soit 27 de plus que dans la réalité. Les articles suivants parlent de la guerre du Kippour, comme exemple de l’échec du renseignement et des politiques israéliens. Il s’agit de la quatrième alerte militaire d’ampleur depuis 1967 et la mobilisation générale contribue à rendre les Israéliens encore plus sceptiques sur la réalité de la menace. 1975 constitue la pire année pour les services de renseignements des Etats-Unis. Le livre propose aussi une analyse sur le 11 septembre. Il note des faiblesses à trois niveaux différents de la part des services de renseignement, de la NSA et du FBI.

Quand les Etats coopèrent

Ce chapitre se consacre aux actions de coopération car les Etats seuls ne peuvent pas tout. Les cas abordés sont variés car l’auteur commence par le pacte de Varsovie et évoque aussi l’Otan. On trouve ensuite un article sur l’opération Condor ou encore sur le coup d’état au Chili.
Plusieurs entrées sont consacrées à l’Europe avec des cas peu connus comme les clubs, mais aussi des plus attendus comme Interpol et Schengen. Sur ce dernier cas, il propose une analyse en trois moments successifs 1985, 1990 et 1995 qui établissent le principe d’une coopération frontalière et judiciaire renforcée.
Le chapitre se conclut sur des cas plus récents comme Echelon, cet accord américano-britannique existant depuis 1943 et resté très longtemps secret. Le chapitre parle enfin des vols secrets entre 2001 et 2006 organisés par la CIA.

La situation depuis les années 90 : entre libertés et sécurité

Deux chapitres sont consacrés à cette période. Depuis les années 90, se pose, entre autres, la délicate question de l’articulation entre la liberté des citoyens et l’action des services de renseignement. Une chronologie des lois sur les services de renseignement dans plusieurs pays européens permet de resituer le débat à une autre échelle. Il existe de grandes disparités dans les réformes entreprises comme en témoigne la chronologie de la page 160. Aux Etats-Unis, il y a plus de dix agences et plus de 100 000 individus concernés. Les révélations de Wikileaks en trois vagues successives de nombreux documents font s’interroger sur le rapport entre secret, défense et libertés. Le livre se conclut en envisageant la question du cyberespace en retraçant un historique des cyberattaques.

Le livre permet donc un tour d’horizon très varié et complet de la question du renseignement. En historicisant son propos, il permet une hauteur de vue intéressante. Les articles très synthétiques peuvent être utilisés ponctuellement au service de nos enseignements.

© Jean-Pierre Costille pour les Clionautes.