Témoin et historien, Maurice Rajsfus

               Le nom de Maurice Rajsfus ne dira peut-être pas grand-chose aux jeunes historiens et c’est bien dommage. Les Éditions du détour ont eu la bonne idée de rééditer plusieurs ouvrages de cet auteur, décédé en juin 2020. De son vrai nom Maurice Plocki, il est né en 1928, à Aubervilliers, de parents juifs polonais. Enfant, il a survécu à la rafle du Vél’d’hiv et a été marqué par l’implication active de la police française dans celle-ci.

Comme l’écrit Jean-Paul Salles dans la biographie qu’il lui a consacré dans Le Maitron : Au « matin du 16 juillet 1942 – début de la rafle du Vel’d’Hiv -, sa famille était arrêtée à Vincennes, où elle résidait à l’époque, par des policiers français. Conduits dans un lieu de regroupement à Vincennes, 5, rue Louis Besquel, avec une centaine de personnes, ils attendaient le départ vers une destination inconnue. Vers 15 heures, un policier leur annonça que les enfants de nationalité française de 14 à 16 ans pouvaient sortir. Seuls les Plocki demandèrent à leurs enfants, Maurice et sa sœur Jenny (Eugénie), de partir, leur sauvant ainsi la vie. Les parents, transférés à Auschwitz le 27 juillet, y disparurent »[1].

Depuis lors, en parallèle à de multiples métiers, dont celui de journaliste, il a été une « inlassable vigie des violences policières » (Le Monde, 14 juin 2020). Témoin, militant à la gauche de la gauche, rigoureux et des plus sérieux, il a fait œuvre d’historien et publié de nombreux ouvrages sur les années sombres et Vichy.

Une réédition bienvenue

Les Éditions du détour réédite ici un livre, paru en 2002 dans la collection Que sais je ?, connue et souvent appréciée des historiens. Le lecteur retrouvera dans cet ouvrage l’intérêt de cette collection, la concision ainsi que les qualités de précision dont a fait preuve l’auteur. L’écriture claire et le plan bien organisé facilitent, par ailleurs, la lecture.

Dans « Les préludes de la grande rafle », l’auteur présente les mesures décidées en zone occupée ainsi que la mise en place de la politique antisémite de Vichy. Peut-être n’est-il pas inutile de rappeler par les temps qui courent qu’avant même la Rafle du Vél d’Hiv, des rafles avaient visé, à Paris, tant les Juifs étrangers que les Français. Le bouclier était fort troué dès le départ.

Deux parties montrent comment cette rafle a été minutieusement préparée par les Allemands mais aussi par la Préfecture de police de Paris et les autorités de Vichy, ce qu’attestent les nombreux documents cités. Est en particulier évoquée l’action de René Bousquet et de Pierre Laval. Une partie est centrée sur la rafle, elle-même. Combien de policiers y participèrent ? Quel fut leur comportement ? Quelle fut son efficacité ? Quelles furent les réactions de l’opinion publique ? Enfin, les rafles d’août 1942 ordonnées par les autorités de Vichy en zone non occupée sont présentées.

La partie « Au Vél d’Hiv » décrit les conditions de vie épouvantables dans le vélodrome en ces jours terribles. On pensera peut-être au film, La Rafle, sorti sur les écrans en 2010 qui, malgré quelques défauts, pourrait encore, nous semble-t-il, être utilisé en classe. Quelques évasions ont lieu dont celle de Lazare Pytkowicz qui, malgré son jeune âge, rejoignit après la Résistance. Le lecteur constatera, une fois de plus, que le patronyme ne fait pas le Français.

Dans la partie suivante, « Que pouvait-on lire dans la presse ? », M. Rajsfus étudie la presse française parue dans les semaines qui suivent la rafle du Vél’ d’hiv. Les journaux autorisés évoquent avec retard la rafle et la presse collaborationniste (Gringoire, Je suis partout, Au Pilori) se distingue par un haut degré d’abjections antisémites. Sous le titre de « Pitié pour les aryens ! », un journaliste de Je suis partout écrit, le 24 juillet : « Le gosse juif qui porte l’étoile, il n’a pas voulu la guerre mais c’est peut-être le Jean Zay […] de demain. Cette vieille juive à l’air inoffensif [sic] mais ses flancs ont peut-être porté un Nathan ou un Mandel ».

« Qui pouvait protester ? » se demande l’auteur dans une dernière partie qui étudie les réactions des Églises. La réaction est bien plus nette, souligne-t-il, côté protestant. La presse clandestine traite avec retard la rafle pour la condamner mais elle aborde avec gêne la participation active de policiers français à cette opération.

Un livre utile

C’est le livre d’un témoin, celui d’un d’historien. Un livre des plus utiles que l’écriture très factuelle rend accessible au plus grand nombre et c’est tant mieux.

Un des intérêts de cet ouvrage réside dans l’utilisation de nombreux textes, de sources diverses, y compris d’articles violemment antisémites parus dans des journaux collaborationnistes. Par ailleurs, les annexes sont constituées de documents, qu’il est possible d’exploiter sur le plan pédagogique : circulaires du directeur de la police municipale destinées à préparer cette opération, deux tracts traduits du yiddish, l’un datant d’avant la rafle et l’autre d’après et enfin pour le thème des mémoires, le discours de Jacques Chirac du 16 juillet 1995.

Un ouvrage qui peut être utilisé par les enseignants en classe et qui peut être recommandé aux élèves de lycée intéressés par la rafle du Vél’ d’hiv.

[1]https://maitron.fr/spip.php?, article205974, notice RAJSFUS Maurice [PLOCKI Maurice] par Jean-Paul Salles, version mise en ligne le 26 août 2018, dernière modification le 2 novembre 2020.