Le Coran et le croissant, les tribulations d’un islamologue en France, Olivier Hanne Éditions Piranha
Dans le contexte actuel, même si la crise sanitaire les a un petit peu marginalisés, au profit des virologues, et autre infectiologues, nous sommes habitués, au détour des chaînes d’information en continu, à la présence des « experts », qui viennent à des titres divers, informer le bon peuple sur les particularités de l’islam. On notera d’ailleurs que l’on trouve associés dans cette catégorie, les spécialistes du terrorisme, diverses personnalités que l’on voit tourner en boucle sur différents plateaux, et un personnage plutôt atypique dans cette catégorie, puisqu’il assume parfaitement le titre qu’il se donne, celui d’islamologue.
Dans cet essai, Olivier Hanne raconte, sans vraiment pratiquer la langue de bois, les particularités de son activité, ainsi que son parcours personnel, qui mérite assurément le détour.
Olivier Hanne n’est pas musulman, il n’est pas issu d’une famille musulmane mais il maîtrise parfaitement la langue arabe qu’il a apprise à l’occasion d’une mission de coopération, – pour échapper au service militaire – dans un collège du Caire, et il a souhaité y apprendre la langue arabe. Par le biais de la langue arabe il a forcément découvert les textes, qu’il est aujourd’hui capable de traduire. Il s’est engagé dans cette spécialité qui lui permet d’avoir, et cela lui donne une certaine spécificité, un regard à la fois analytique, mais aussi intime avec cette religion, qui est aussi une culture, et qui conditionne en partie une façon d’être et un mode de vie.
Comprendre un univers mental
Tous ces aspects sont abordés successivement dans cet essai de 139 pages qui permet, sans aucun relativisme, ni complaisance d’ailleurs, de comprendre l’univers mental et culturel d’un certain nombre de nos compatriotes qui se reconnaissent dans cette religion et dans cette culture.
Le regard d’Olivier Hanne s’appuie sur un certain nombre de rencontres qu’il a pu faire, notamment en Égypte, ce qui l’a conduit à avoir une attitude que des lecteurs ou des auditeurs pétris de certitudes pourraient qualifier de complaisante à l’égard d’un certain nombre de pratiques, notamment celle qui a pu traverser la société française, le port du voile. Dans l’échange direct que j’ai pu avoir avec lui, nous avons pu parfaitement nous retrouver sur cette instrumentalisation du port du voile par des courants islamistes. Cela désigne une mouvance politique qui entend mettre l’islam, dans une certaine conception, au cœur de la vie sociale et des postures sociétales.
Dans le choix qui peut être fait de porter le voile ou non, Olivier Hanne considère que cela relève d’une prise de position intellectuelle plus que d’un acte public. Dans le contexte actuel, même s’il s’appuie sur des sondages, il me permettra sans doute de marquer mon désaccord. Il peut sembler évident que, toujours dans une situation particulière, les personnes interrogées ne vont pas répondre autrement que par l’affirmation d’un choix individuel, prioritairement à un choix politique, celui de rendre public une certaine conception de l’islam. Car, et surtout en s’appuyant sur les textes coraniques, notre collègue ne peut pas ignorer que la femme garde un statut inférieur. : « Les hommes autorité sur les femmes, du fait que Dieu a préféré cela à celle-ci ». Sourate 4,34)
Tout le problème aujourd’hui de la place de l’islam dans des sociétés sécularisées repose dans la vision littérale de certains textes que les imams entretiennent. On peut considérer que le concile Vatican 2, n’a pas encore eu lieu dans le monde arabe musulman.
La morale conjugale dans l’islam
De plus, et cela est rappelé dans le chapitre consacré au mariage, même si en islam « le mariage est la moitié de la religion » selon un Hadith, le monde musulman n’a jamais été uniforme. Les états modernes, lorsqu’ils se sont implantés, en Turquie comme en Irak, sans parler de la Tunisie de Habib Bourguiba, ont voulu réduire la dimension de la tradition dans le mariage pour se rapprocher d’un Code civil séculier. On comprend d’ailleurs pourquoi les fondamentalistes mettent l’accent, à la fois sur le voile et sur le mariage, pour faire passer leur message politique.
Le Coran, à tous les étages
Dans le chapitre « êtes-vous Charlie ? » Olivier Hanne revient sur ce sujet éminemment sensible. Il est vrai que la tendance aujourd’hui, favorisée par les réseaux sociaux qui servent d’inspiration aux chaînes d’information en continu, s’adaptent forcément très bien à une réponse sans nuances à cette question.
Généralement, dans certains milieux, à cette question « êtes-vous Charlie ? », On pourrait répondre : « oui, assorti de cette nuance « mais », suivie de « il ne faut pas représenter le prophète, il faut tenir compte des sensibilités, etc. »
Il est clair que si l’on s’appuie sur les références coraniques, on peut en effet expliquer pourquoi cette affaire des caricatures a pu prendre un tour passionnel. Mais pour autant, faut-il admettre dans un pays – pour des raisons liées à son histoire à partir de la révolution française,- qu’une religion refuse sa sécularisation ?
Certes, on pourrait donner le modèle anglo-saxon qui cherche à concilier la liberté d’expression et la liberté de conscience, en refusant d’insulter « la concorde entre communautés ».
Toutefois, il faut rendre justice à Olivier Hanne qui se garde bien d’émettre des jugements catégoriques et surtout de se poser en conseiller du prince. L’immense qualité de sa démarche consiste à donner les clés qui permettent de construire son opinion. Et soyons très clairs, indépendamment des différents points de vue de l’auteur de ces lignes, c’est surtout ce qui est intéressant dans cet essai particulièrement stimulant.
Dans ses tribulations, notre islamologue est également passé par la case prison, rien à voir avec le Monopoly, ni avec un quelconque délit, mais tout simplement comme aumônier catholique. Il ne sera pas question dans cette recension de déflorer cet épisode qui traduit les relations particulières d’un homme de foi, intervenant dans le milieu carcéral, avec des détenus également musulmans. Certains d’entre eux ressentaient une véritable fascination pour la foi chrétienne.
En quelques pages, organisées en plusieurs chapitres, l’ensemble des questions touchant à la place de l’islam dans la société française est ainsi abordé.
On trouvera les questions liées aux Burkini, celle du blasphème, la place de l’islam dans l’entreprise, et puis quelques remarques très offensives : « les djihadistes sont des abrutis ! ». Loin d’être une simple succession d’invectives, notre islamologue propose une analyse particulièrement éclairante de la structure des interventions, une khutba, du calife autoproclamé de Daesch. Cela permet de comprendre la structure de la rhétorique coranique, et notamment sa portée poétique qui va toucher particulièrement sa cible. Cela n’a certes pas protégé des forces spéciales américaines, qui ont mis fin à sa carrière, mais cela permettra assurément de comprendre les ressorts intellectuels de ses successeurs potentiels.
Dans de nombreux cas malheureusement, les lecteurs d’ouvrages de ce type viennent y chercher des réponses à des questions qu’ils ont déjà posées, et qui confirment leur point de vue, c’est-à-dire les réponses qu’ils ont pu apporter à leurs questions.
Dans ce cas, la lecture de cet ouvrage serait inutile, car il serait probablement l’objet, et Olivier Hanne en a déjà fait l’expérience, de critiques, voire d’anathèmes symétriques, entre ceux qui reprocheraient à notre islamologue une certaine complaisance à l’égard de l’islam, et les autres qui parleront d’islamophobie.
Pour ma part, si j’apprécie cet ouvrage, et si j’en recommande la lecture, c’est parce qu’il permet d’abord de s’appuyer sur des sources et des références incontestables. Y compris celles que l’on peut opposer, lorsque, enseignant, et que l’on en a le courage, à un élève qui viendrait reproduire le discours de l’iman autoproclamé local.
Il autorise aussi à penser, mais c’est un point de vue qui m’engage, que l’islam doit entreprendre cet effort de sécularisation, pour que ceux qui voudraient s’engager dans une démarche de conquête de l’espace public se retrouvent marginalisés, en attendant d’être réduits.