Ouvrage de Yoshide Soeya paru en 2005 ayant fait grand bruit dans son pays, diplomatie japonaise : la voie étroite défend l’idée que le comportement diplomatique japonais depuis la guerre est celui d’une puissance moyenne. La version actuellement traduite en français date de 2017 est issue du travail complémentaire apporté par l’auteur à sa thèse, la réactualisant. Cette période, qui correspond au mandat du premier ministre Abe, est marquée par la distorsion entre les discours de leader et les contraintes de la constitution et de son article neuf.

La renaissance du Japon après la guerre

La ligne de Yoshida, bâti sur l’alliance de l’article neuf et du traité de sécurité nippon américain, a été fortement mis en discussion par le pacifisme et le nationalisme au Japon. Cruelle situation pour un pays à la diplomatie de puissance moyenne (entendez par là qui renonce à l’unilatéralisme) mais qui est perçu comme recherchant ou ayant les ambitions d’une diplomatie de grande puissance.

Yoshida est le fruit d’une distorsion liée à l’évolution géopolitique : l’article neuf est issu de la constitution de 1946 (promulguée et mise en application en 1947), donc d’avant la guerre froide. Le traité de sécurité date quant à lui de 1952 et correspond au conflit des blocs. D’où la scission entre la politique et la société japonaise. L’acceptation de l’article neuf vient de la volonté des élites japonaises de maintenir « l’unité du corps de la nation », c’est-à-dire la forme impériale de gouvernement. Pour maintenir l’empereur, le nouvel ordre passe par la démocratisation et la démilitarisation. D’où l’article neuf.

Celui-ci est issu des principes édictés par MacArthur et oblige Japon, dans sa rédaction initiale, à renoncer à toute forme de violence, même en cas de légitime défense. Yoshida défonçait approches (dans le souhait d’apparaître comme diplomate afin d’adoucir l’occupation américaine) est amendé afin d’offrir une marge de manœuvre pour le maintien de forces de légitime défense. Yoshida était tactique dans son choix. Celui-ci affirmait que, tôt ou tard, le pays retrouverait une armée. Mais le contexte, la récente histoire et les craintes des alliés le pouce à suivre fidèlement les demandes des forces d’occupation. Yoshida espère ainsi récupérer rapidement l’indépendance.

La politique japonaise évolue profondément avec l’entrée en guerre froide au cours de l’année 1947. Les États-Unis d’Amérique entendaient au départ réorganiser l’Asie autour de la Chine intégrée au camp des vainqueurs et devant servir de base stabilisatrice dans la région. La guerre civile et la victoire du parti communiste chinois change les plans. Les diplomates américains tablent alors sur une évolution « à la yougoslave » mais les déconvenues amènent ceci à faire du Japon la forteresse asiatique de leur présence dans la région. Ce revirement diplomatique est à la source des tensions politiques au sein de la société japonaise et la montée des mouvements pacifistes autour de la défense de la constitution et les discours antiaméricains.

Yoshide Soyea nous rappelle le contexte dans lequel le traité de sécurité nippon américain de 1952 a été signé : la guerre de Corée. Cette guerre marque le début de la guerre froide en Asie. Elle contraint les États-Unis d’Amérique à revenir sur leur abandon de Taïwan (pour ménager Pékin dans la perspective d’une évolution interne proche de celle de la Yougoslavie), à mettre fin au projet en Chine et à s’impliquer sur la péninsule coréenne. En ratifiant le traité en 1951 Yoshida intégre le Japon au camp occidental et inscrit la renaissance du pays dans le libéralisme démocratique. Il s’agit à la fois de permettre au pays de renaître tout en ne s’inscrivant pas totalement dans la ligne de Washington, sans pour autant mener des politiques totalement libres. On peut parler de diplomatie de puissance moyenne.

Les conflits de la période de haute croissance

À la suite des élections de 1954 Yoshida perd le pouvoir au profit d’Hatoyama du parti démocrate. Les résultats politique poussèrent à la recomposition des forces et amènent à la fusion des partis démocrate et libérale afin de donner naissance au PLD. Cette recomposition pose la question de la réforme constitutionnelle, devant la poussée neutraliste et antiaméricaine, renforcée par l’affaire du Daigo Fukuryu Maru en mars 1954 (un navire de pêche fut frappé par les retombées de l’essai atomique de la bombe H dans l’atoll des bikinis). Néanmoins le vote des lois sur les forces d’autodéfense, reconnues constitutionnelles car dédiées à la seule légitime défense, arrime le Japon dans le camp occidental.

Très rapidement des voix s’élevèrent pour la révision du traité de 1952, afin d’assumer l’indépendance du Japon, que la cela soit à droite comme à gauche qui politique. Le projet de réforme du traité de sécurité fut finalement porté par le premier ministre Kishi. Le contexte de la guerre froide (armistice des guerres en Asie et lancement du satellite Spoutnik) associé à la montée du neutralisme dans la population nipponne poussèrent les États-Unis d’Amérique à être à l’initiative. À l’issue des discussions le traité mis fin aux articles inégaux de 1952 et restaure l’égalité des deux pays. Ils renforcent en revanche la relation du Japon avec les États-Unis d’Amérique et marquele ralliement définitif des nationalistes à la vision de Yoshida.

Ne parvenant pas à résoudre la distorsion intrinsèque de la doctrine Yoshida, les premiers ministres successifs, notamment Ikeda, œuvrèrent au développement d’une diplomatie horizontale visant la multiplication des partenariats avec les pays membres du monde libre. Le Japon adhéra l’OCDE en 1964 et le plans de doublement des revenus nippons au cours de la décennie 1960 est un succès. Si les États-Unis d’Amérique allaient accepter dans les années 50 la révision du traité par crainte du neutralisme, la résurgence d’un « Japon grande puissance » durant la décennie 1960 ravive les craintes des élites aux États-Unis. Ceci vient de la contradiction des dirigeants conservateurs Japonais eux-mêmes, renouvelant la doctrine Yoshida, qui est un renoncement à la diplomatie des grandes puissances, tout en développant des discours et une conscience de grande puissance.

Cette contradiction finit par se confirmer lors de la visite du premier ministre Sato en 1965 où celui-ci exprima le souhait de réviser la constitution pour se diriger vers une diplomatie autonome du Japon. Les négociations menèrent les États-Unis d’Amérique à renforcer la participation du Japon aux opérations de paix de l’ONU et à rétrocéder d’Okinawa, permettant à Sato d’assumer une victoire diplomatique tout en préservant le partenariat militaire : les déclarations sur le rejet du nucléaire formulées en 1967 ne s’appliquaient pas au territoire d’Okinawa.

Bien que lourdement critiqué à son époque, la vision de Yoshida fut poursuivie par ses successeurs car elle offrait les moyens au pays de se rebâtir et développer sa propre politique dans le contexte international postes 1945. La vision de Yoshida de vin dans les années 1980 doctrine dans son influence perdurait.

La réconciliation sino-américaine et la diplomatie japonaise

Avec l’arrivée au pouvoir de Nixon, la diplomatie des États-Unis d’Amérique évolue sensiblement notamment vis-à-vis de la Chine. Devant les tensions entre la Chine et l’URSS à partir de 1969, les États-Unis d’Amérique veulent se poser en arbitre de ce jeu de grandes puissances. C’est le « choc Nixon » : visite à Pékin, accord SALT, abandon progressif du Sud-Vietnam. Les relations diplomatiques se recentrent sur une lecture digne des grandes puissances en Asie.

Le Japon en est, de fait, exclu (Henry Kissinger n’aura de cesse d’exprimer son mépris pour les diplomates japonais). La Chine accueillait cette approche favorablement, acceptant le renforcement militaire potentiel du Japon, en raison de son développement économique, sans crainte du fait du traité de sécurité avec Washington. Et le pacifisme du Japon faisait le reste.

Avec le « choc Nixon » vint la « doctrine Nixon » : le pays assure le parapluie nucléaire de ses alliés mais la défense est avant tout de leur premier ressort. Les pays concernés ne se sentaient pas forcément prêts, comme la Corée du Sud. La diplomatie du rapprochement avec Pékin fut alors perçue comme un danger pour le chef sud-coréen Park. Ainsi Nixon annonça le retrait à terme de 20 des 62 000 hommes sur la péninsule coréenne. Le régime pris un tournant autoritaire en 1972 tout en entamant rapprochement avec le Japon, qui devint partenaire dans la région.

C’est au cours de cette période que Nakasone, alors directeur de l’agence d’autodéfense, développa son projet d’une défense plus autonome et proposa de revenir, pensait ont alors, sur la ligne china. Malgré ses efforts et ses critiques légitimes selon Yoshida, sur le décalage entre le contexte géopolitique et la ligne promue par Yoshida, le projet de révision de la politique de défense n’adevint pas : le Japon, avec la doctrine Nixon, entama rapprochement et normalisation de ses relations avec la Chine. Cela fut fait rapidement après l’arrivée du premier ministre Tanaka en 1972. La négociation du traité de paix fut plus longue et il fut ratifié en 1978. Le principal point d’achoppement fut la clause anti-hégémonie que voulait ajouter la Chine au traité et qui était dirigée contre l’URSS. Le Japon ne voulait pas entrer dans ce jeu et, de fait, poursuivait la ligne Yoshida.

De la détente à la nouvelle guerre froide

Bien au contraire le Japon imagina au cours de la décennie une nouvelle approche diplomatique portée par le premier ministre Fukuda : développer les relations avec tous les partenaires et voisins de la région via l’ASEAN et rappeler le renoncement à la force et la diplomatie de grande puissance. La doctrine Fukuda entérine encore plus la diplomatie de puissance moyenne du Japon. Elle fut cependant un échec en raison du retour de la conflictualité en Asie avec la faim de la détente. Ceci se fit aux frais de la normalisation des relations sino-américaines et le début de l’administration Carter, bien plus prompte à l’opposition forte avec l’URSS. C’est la période de l’invasion du Cambodge ou encore de l’Afghanistan.

Parallèlement à la doctrine Fukuda, la réflexion militaire et défensive du Japon fut revue. Au milieu de la décennie fut ainsi publié le rapport nommé « grandes lignes de programmation de la défense » définissant les objectifs des forces autonomes comme devant être en capacité de résister « dans le pire des cas, à une tentative d’invasion limitée et de faible ampleur. ». La règle des 1 % du PIB fut également fixée. Le Japon entama aussi une relecture du rôle tenu par le traité de sécurité avec Washington qui demeure toujours centrale.

La ligne ouverte fut poursuivie au cours de la décennie 80 d’abord par le premier ministre Ohira, qui affirma la rapprochement du Japon au camp occidental au moment de la fin de la détente, tout en privilégiant la recherche de la coopération et du multilatéralisme. Ces efforts se déployèrent notamment vers l’Australie, ce qui donnera naissance à la fin de la décennie à l’APEC et au PECC. Parvenu au pouvoir en 1982, Nakosone continua la politique de coopération avec les voisins, notamment avec la Corée du Sud et la Chine et ce malgré la montée des contentieux historiques dans les relations. Le tout en renforçant le partenariat militaire avec Washington si central pour le pays

La diplomatie japonaise après la guerre froide

Avec la fin de la guerre froide une nouvelle ère des relations entre grands puissances de la région (Chine États-Unis) s’ouvre. Le retrait des forces américaines aux Philippines en 1991 dans le point de départ des ambitions à long terme de la Chine dans la zone : contester l’ordre des États-Unis d’Amérique qui ne lui convient pas.

Dans cette perspective le Japon a cherché à déployer une diplomatie de puissance moyenne en l’adaptant et en la faisant évoluer. Notamment en intervenant dans des opérations de paix sous l’égide de l’ONU pour la première fois cours de la décennie. Ces opérations se déployèrent au Cambodge en 1992 puis au Mozambique au Rwanda ou encore sur le plateau du Golan. Nette évolution ainsi marquée de la diplomatie japonaise avec, pour la première fois de son histoire après 1945, une projection de forces à l’extérieur sur des missions de soutien et de maintien de la paix.

Parallèlement la relation aux États-Unis d’Amérique évolua sur la même décennie. La nécessité de réaffirmer le partenariat au moment de la crise nord-coréenne sur le nucléaire en 1994 et la crise Taïwan lors de l’élection du président en 1996 est une grande étape. Le renforcement du partenariat fut accepté par la population. Ceci montre l’attachement profond porté à la doctrine Yoshida au sein de la population.

Au début du XXIe siècle la diplomatie nipponne évolua à la lumière de la montée de la Nippon Kaigi et de l’arrivée au pouvoir d’un de ses représentants en la personne de Shinzo Abe. Celui-ci fait la place belle à une remise en cause du régime d’après-guerre et fait écho aux tensions naissantes avec la Chine au cours de la décennie 1990. Ceci donnera naissance à une « diplomatie des valeurs ». Néanmoins Soyea note l’incapacité d’Abe, au-delà des représentations et des discours faisant référence à l’ère Meiji, de sortir du cadre d’après-guerre si décrié. La réforme constitutionnelle voulue ne semble pas devenir. Cela illustre pour l’auteur la distorsion ancienne et renouvelée, sous Abe, de la diplomatie japonaise.