Les Migrants et nous est une réédition d’un ouvrage déjà publié par les éditions du CNRS en 2016. Il s’appuie sur deux conférences, « La cause des migrants existe-t-elle ? » présentée à l’Université populaire d’Arcueil, le 1er février 2016, et « Nova cosmopolis. As fronteiras como objetos de conflito no mundo contemporâneo », discutée à la 39e rencontre annuelle de l’Association Brésilienne des Sciences sociales, le 27 octobre 2015 à Caxambu. L’ouvrage vient accompagner l’élaboration et le démarrage du projet de recherches « Babels, la ville comme frontière. Ce que les villes font aux migrants, ce que les migrants font à la ville », soutenu par l’EHESS et sélectionné par l’ANR en 2016-2019[1].

Michel Agier, anthropologue des frontières et/ou de l’hospitalité, revient dans son introduction, sur le temps écoulé entre la première et la seconde édition de cet ouvrage. La première était marquée par la « crise de l’accueil » de 2015 et l’édification, en Europe, de murs et de barbelés et la mise en avant de la peur comme « fondement de la gouvernance ». La seconde vient après la guerre lancée, le 24 février 2022, par la Russie contre son voisin, l’Ukraine, elle-même à la frontière de l’Europe. Les exilés ukrainiens arrivent alors cinq fois plus nombreux que le million de Syriens de 2015 : les Européens découvrent qu’il est possible d’accueillir cinq millions d’exilés sans que cela crée de chaos dans la vie des résidents. Un décret européen de 2001, qui n’avait jamais servi, est ressorti des tiroirs pour permettre d’attribuer aux Ukrainiens un droit de séjour pouvant aller jusqu’à trois ans sans passer par la procédure de demande d’asile. Cette protection leur donne en outre le droit de travailler sans attendre, de scolariser leurs enfants, d’avoir droit au CMU…

L’ouvrage re-questionne la relation qui s’établit entre ceux qui arrivent et ceux qui sont déjà-là. M. Agier identifie trois raisons principales qui sont mobilisées pour prendre position en faveur des migrants : la souffrance, la ressemblance et la différence. La première cause est une cause humanitaire et s’appuie sur la compassion qui suppose que l’autre sur lequel on s’attriste soit souffrant, diminué. La deuxième est une cause identitaire et qui se base sur le partage d’une même identité migrantes : « Je suis moi-même fille/fils de migrant, de réfugié… ». Enfin, la troisième est une cause qu’Agier qualifie d’exotique. Elle s’appuie sur l’altérité comme étant « bonne à penser ». Les migrants sont à défendre car ils sont tout ce que nous ne sommes pas.

Dans son travail, M. Agier avance également la théorie d’une « nouvelle Cosmopolis » se rapprochant des théories du village global et d’un monde sans frontière. M. Agier propose une autre lecture du mythe de Babel en considérant que la construction cosmopolite représente la « nécessité et l’effort de s’entendre dans un environnement qui change sans arrêt ». C’est à une autre conception du cosmopolitisme qu’il renvoie à celle de l’expérience vécue par celles et ceux qui « éprouvent la concrétude du monde, sa rugosité, qui font l’expérience d’un passage des frontières qui peut s’étendre dans le temps et dans l’espace ».

[1] cf. Le carnet de recherches en ligne sur Hypothèeses.