Juste paru pour la saison des amours, cet atlas vient renouveler l’approche des questions spatiales liées à la sexualité après un premier opus signé par Judith McKay en 2000. Ce volume est ici l’œuvre de Nadine Cattan (CNRS – Géographie Cités) et de Stéphane Leroy (Université Paris-Est Créteil) qui énoncent dès l’introduction le caractère particulier du sujet : toujours très tabou de par l’approche presque exclusivement médicale que l’on a pu en avoir jusqu’il y a peu mais surtout de par sa représentation dominée par un discours patriarcal hétérocentré.
Quelques dominantes
Ce qui ressort de manière générale tient finalement à quelques points clés. Sur le genre et le droit : les femmes sont les plus grandes victimes des abus et des violences, les lois, imparfaites et floues, les protégeant mal. Sur les spatialités à grande échelle : la bipolarisation de la planète apparaît très marquée entre un Nord tolérant et un Sud répressif, les cartes souvent centrées sur l’Europe montrant même une très grande ouverture du côté d’une Scandinavie assez portée sur la chose. C’est en zoomant que les détails apparaissent…et ils sont ici nombreux.
Des variables fortes sur la démographie
Mariage et séparation, reproduction et contraception, impactent évidemment la démographie mondiale et ses variations régionales. C’est ce que montre, en substance, le premier chapitre sur les « sexualités autorisées » qui dessine les grandes tendances de fond. La santé, avec le grand fléau du sida, joue aussi un rôle majeur. On sera également bien surpris des chiffres de l’avortement qui, non seulement manifestent une radicalisation toujours plus marquée des sociétés entre pro et anti (« pro-choice » et « pro-life » aux États-Unis), mais aussi témoignent d’un poids de la tradition très fort en faveur des garçons (voir les cartes pages 20 et 21 qui montrent bien les déficits de filles dans des États asiatiques comme l’Inde et le Vietnam). Plus violente encore sans nul doute est la question des viols, masculins à 95% pour les agresseurs et féminins à 90 % pour les victimes, notamment en temps de guerre. Des chiffres astronomiques révèlent une augmentation de ces pratiques à partir des conflits post années 1980 (à titre d’exemple, presque 50 % des femmes de certains villages du Kosovo auraient été violées par des militaires serbes), pratiques amenant, outre la destruction individuelle des victimes, la ruine collective d’une société où les liens sociaux et familiaux se voient rompus du fait des grossesses.
Des mobilités et des migrations à différentes échelles
A échelle mondiale, on retiendra par exemple la cartographie des destinations phares des voyages de noces qui révèle que les destinations retenues, toujours plus lointaines, maintiennent le stéréotype du « sea, sex and sun » même si les grandes étendues sauvages d’Afrique et d’Amérique du Sud commencent à prendre la relève. Plus sombre est celle de la prostitution, notamment des enfants, qui sont nombreux à circuler en Asie du Sud Est et qui alimentent une demande européenne également nourrie par l’Afrique et l’Amérique. En guise de synthèse, une troisième lecture sur le tourisme sexuel permet de mettre des noms sur les lieux précis des destinations (Prague, Bali, Marrakech, Las Vegas…).
Au niveau urbain, le modèle centre-périphérie est questionné : étant chassée de la rue dont les élus cherchent à redorer l’image, la prostitution migre vers les zones commerciales où les femmes attendent le client en camionnette, ce qui présente l’avantage d’échapper plus aisément au fisc et à la police. La distribution du réseau de villes est aussi interrogée : la concentration des lieux gay dans les seules grandes métropoles oblige à des migrations pendulaires importantes lors des week-ends. L’espace urbain est finalement bien genré comme l’illustre la synthèse du chapitre sur les violences : si la fréquentation d’une ligne de métro standard est mixte en matinée, elle devient nettement plus masculine en soirée et si les femmes redoutent certains quartiers en raison de l’insécurité, certaines ont tenté de tenir bon face à cette forme « d’apartheid sexuel » en fondant des villages où les hommes doivent déserter à partir de 16 ans comme en témoigne l’expérience de Tumai au Kenya.
En zoomant encore davantage, on découvrira les micro parcours des dragues en tout genre : des plages du Cap d’Agde à celles de Maspalomas aux Canaries (dont les frontières entre parties familiales, nudistes et échangistes apparaissent bien floues) en passant par la modélisation des multiples déambulations des cavaleurs des jardins du Louvre, le tour d’horizon permet d’appréhender des spatialités de l’acte sexuel en lui-même.
A tout cela s’ajoute évidemment l’espace réticulaire des Meetic, Gleeden et autres Bearwww qui permet de multiplier à loisir les possibilités de rencontres en ligne.
Un aménagement précis des territoires
La question tourne ici autour d’une certaine survisibilité, voire d’une survisibilité certaine des lieux de la sexualité. Soulignant la difficulté à s’intégrer dans le reste de l’espace, cet affichage amène à l’édification de quartiers spécialisés comme en témoigne par exemple la carte des sex-shops parisiens (trois zones autour de Pigalle/Clichy, Gaîté et rue Saint-Denis). N’étant pas du goût de tout le monde, cette mise en lumière a poussé des associations catholiques à brandir l’interdiction de commerce « d’objets pornographiques » à moins de 200 mètres d’une école. Vu le maillage serré des écoles parisiennes, une telle loi appliquée verrait la disparition de ces lieux de ventes si bien que l’on a vu, pour contourner le problème, fleurir des « love shops », boutiques plus en phase avec la culture actuelle où le sextoy est devenu le symbole d’une femme considérée comme décomplexée et indépendante.
Moins le résultat d’une chasse aux enseignes spécialisées que celui d’une évolution technologique, la fermeture des salles de cinéma pornographique s’est, elle, traduite par une réelle disparition des étendards dans le paysage voire parfois par une reconversion des locaux pour proposer des salles grand public.
Élément fort également, celui de l’aménagement temporaire des espaces avec cet « envers du décor » lié aux compétitions sportives, notamment footballistiques, où l’on a vu de véritables « bordels géants » s’ériger à proximité des stades avec afflux massif de prostituées (40.000 supplémentaires ajoutées aux 100.000 habituellement recensées pour la coupe du monde de 2010 en Afrique du Sud).
D’autres sexualités
Résultant d’un choix de plan non anodin le plaçant en fin d’ouvrage mais chapeautant l’ensemble des thèmes, le dernier chapitre se consacre exclusivement aux sexualités « minoritaires » que l’un des deux auteurs, Stéphane Leroy, étudie en détail depuis maintenant 10 ans.
Si l’homosexualité est davantage visible, elle n’est pas forcément plus acceptée. Les récents débats de ce début 2013 ont bien montré que si les États accordant plus de droits aux homosexuels sont plus nombreux, l’augmentation de l’homophobie accompagne bien souvent ces avancées.
De nombreuses parenthèses sont présentes dans le reste de l’ouvrage mais ces dernières pages permettent de bien se rendre compte de cette recherche d’un entre-soi structurant l’espace autour de quartiers de sociabilité, commerciaux mais même au delà, résidentiels. De manière temporaire, les phénomènes de type « Gay Pride » présents exclusivement aux États-Unis, en Europe et dans le Sud Est du Brésil, permettent aux individus de sortir de l’ombre.
Avec une seule double page, le cas lesbien est évoqué comme une communauté sans territoire vivant tout de même autour de manifestations itinérantes peu perceptibles pour qui n’est pas du milieu.
Dans tous les cas, c’est bien la ville qui constitue le « refuge » de ces « autres » sexualités.
Conclusion
Une synthèse très complète sur le sujet appuyée par un solide traitement graphique et cartographique (mais pas de photos ! Contrairement à ici…). Le lecteur s’amusera, par endroits, à positionner son pays, sa région, sa ville, voire sa petite personne dans les différentes études consacrées au couple (fréquence des rapports, nombre de partenaires, lieux de l’acte…), études où l’on apprendra, au passage, un peu de vocabulaire anglosaxon (sex friends, fuck friends, no strings…) ou des néologismes comme par exemple le « trouple », mixage entre le « trio » et le « couple » ne constituant ni une forme de polygamie ou de polyamour mais plutôt une sorte d’heureux ménage à trois ouvrant la porte à d’autres formes de sexualité.
Mais comme bon nombre d’analyses, l’estimation de ce phénomène est difficile à évaluer (Durex a pourtant bien aidé lors d’une « Global Sex Survey » de 2005). C’est peut-être l’une des limites de l’opus qui est légitimement désamorcée en annexe par les auteurs. D’autres pistes auraient été possibles (seniors, transsexuels…) mais les données font là réellement défaut.
Reste à évoquer l’usage d’un tel atlas : limpide et bien exhaustif pour le curieux mais à prendre avec des pincettes pour l’enseignant qui devra choisir avec tact selon l’âge de ses élèves : pourquoi pas un peu d’éducation citoyenne ou un peu de développement durable avec cette étude de cas sur les vols et braconnages de cornes de rhinocéros…mais encore faudra-t-il expliquer pourquoi elles sont si convoitées…