Resté inachevé en 2002 à la mort de Jean-Marie Ruffieux, cet album considéré comme le 37e volume des voyages d’Alix, le personnage créé par Jacques Martin en 1956, a finalement vu le jour en septembre 2013.

Cet album relève davantage du livre d’histoire que de la bande dessinée même si l’on retrouve la patte de Jacques Martin un des plus illustres représentants de l’école belge de bandes dessinées la présentation de l’album associe avec bonheur un texte particulièrement dense du point de vue scientifique, rédigé par Anne Deckers des dessins de Jean-Marie Ruffieux et une mise en couleurs de Jean Torton.

L’album permet de faire un voyage dans le temps du sixième millénaire jusqu’au septième siècle de notre ère, lorsque la Mésopotamie est conquise par les Arabes. L’ouvrage est centré sur Babylone, mais il permet de retracer l’histoire d’une civilisation que les allégements successifs des programmes d’histoire ont fait disparaître de la connaissance de base. Il aura fallu l’intervention américaine en Irak entre 2002 et 2003 et le pillages du musée de Bagdad pour que l’on prenne la mesure de l’importance de cette civilisation dans notre histoire.

La Mésopotamie est bien la mère de nos civilisations, là où s’organisent les premières cités – états la mise en place des grandes infrastructures notamment hydrauliques qui ont permis de rendre le croissant effectivement fertile, ce qui n’était pas au départ. C’est là également que l’on invente l’écriture aux environs de 3200 av. J.-C. comme support de la comptabilité indispensable dans un pays aussi commercial. Un historique des fouilles en Mésopotamie est également proposé au lecteur, celles-ci ayant commencé à partir de 1808. Mais ce sont surtout les Français à partir de 1842 avec le consul de France qui ont commencé à mettre à jour un certain nombre de vestiges et notamment la ville de Ninive. L’Europe s’est littéralement enflammée pour l’art mésopotamien, avant que l’Égypte et l’égyptologie ne prennent le dessus.

Une histoire complexe

Cette histoire de la Mésopotamie que l’on a pu présenter par ailleurs sur la Cliothèque est extrêmement riche. Bien des questions concernant les populations et les royaumes qui se sont constitués restent encore en suspens, et notamment la part des populations de souche sémitique en confrontation avec les indo-européens. Au début du deuxième millénaire avant J.-C. des sémites occidentaux, les Amorrites éparpillent l’empire fondé par Sargon, vers 2335 av. J.-C., l’empire d’akkadé. Entre 1792 et 1750 av. J.-C. Hammourabi reconquiert réunifie toute la Mésopotamie avec une centralisation de l’administration à Babylone. Encore une fois cet empire centralisé et bureaucratique ne survit pas à son fondateur et la Mésopotamie est à nouveau divisée en plusieurs territoires du XVIe au XIIe siècle avant J.-C.

Il faut attendre le début du Ier millénaire qui coïncide avec le début de l’âge du fer en Mésopotamie pour voir la formation d’un immense empire neo-assyrien qui s’étend à nouveau de la Méditerranée au golfe persique. Cet empire néo-assyrien dispose d’une force militaire exceptionnelle, avec des rois qui sont des chefs de guerre et ils finissent par s’emparer de Babylone en 728 av. J.-C.

L’empire néo-babylonien se constitue au moment de la chute de l’empire assyrien face aux Mèdes, en 627 av. J.-C. avec le chaldéen Nabupolassar. C’est son fils, Nabuchodonosor qui poursuit cette politique expansionniste entre 605 et 582 avant J.-C, au détriment de l’Égypte et au passage en soumettant les hébreux et en leur imposant l’exil vers Babylone.

Une civilisation socle

Au-delà de cette histoire, l’ouvrage permet véritablement de découvrir les grands points de la civilisation mésopotamienne et l’auteur a su présenter aussi bien les questions architecturales en les reliant à la civilisation, comme la ziggourat ou les jardins suspendus, mais en s’attachant également à ce que l’on pourra qualifier de détails mais qui sont extrêmement importants, comme les sceaux-cylindres. Ces signatures qui été imprimés en relief sur les plaquettes d’argile fraîche permettaient l’authentification d’une pièce administrative ou comptable.

Le personnage d’Alix accompagnée de son fidèle Énak parcourt donc la cité de Babylone et sur une double page ont franchi avec l’armée de Nabuchodonosor la porte triomphale tandis qu’au loin se profile la silhouette de la ziggourat monument servant à l’intermédiation entre les hommes et les dieux. Les différents palais royaux et les temples jouent également le rôle de structures administratives, et dans une certaine mesure de réserves et de greniers. Au-delà de Babylone l’auteur s’intéresse également à Assur, une des capitales de l’empire assyrien qui jouait le rôle de carrefour commercial stratégique entre l’Anatolie et la Babylonie.

En matière religieuse la cosmogonie mésopotamienne qui compte à l’origine plus d’un millier de divinités semble s’être largement simplifiée par la fusion des religions sumériennes et akkadiennes. Sans entrer dans le détail de la présentation de cette hiérarchie assez complexe qui prend très largement en compte les questions liées à l’eau, à la terre, à la fertilisation, on notera que les autres Panthéons de l’Antiquité, aussi bien égyptien que grec semble avoir été largement inspiré par la cosmogonie mésopotamienne. L’ouvrage se termine par une présentation des costumes et des objets qui permettra assurément aux lecteurs qui emporteraient cet ouvrage et qui visiteraient le département des antiquités mésopotamiennes du musée du Louvre de se retrouver en terrain de connaissance.

À l’évidence, on ne peut qu’être séduit par cette réalisation qui permet, par la bande dessinée de deux maîtres du genre, de rentrer au cœur de la civilisation mésopotamienne qui est, je le répète, la mère de nos civilisations. Bien des mythes bibliques qui nous sont familiers, à commencer par le déluge, trouvent leurs racines dans cette civilisation qui n’est pas, à notre sens, suffisamment évoquée dans nos différents cursus de formation. L’Assyriologie n’est pas à notre sens suffisamment vulgarisée, et les chercheurs restent trop souvent cantonnés dans leurs bibliothèque ou sur les chantiers de fouilles, même si beaucoup sont inaccessibles aujourd’hui pour des raisons évidentes, pour que cette civilisation particulièrement riche soit suffisamment connue par le public.

Cela nous amène à saluer le choix qui a été fait dernièrement, et qui a été largement présenté par la Cliothèque, de proposer une histoire de la Mésopotamie à un large public par le choix d’une édition de poche,

http://clio-cr.clionautes.org/histoire-de-la-mesopotamie.html#.UnT8fhDZ0yM

ainsi que de reprendre une partie des mythes de cette civilisation dans un ouvrage à notre sens remarquable, sexe et amour de Sumer à Babylone.

http://clio-cr.clionautes.org/sexe-et-amour-de-sumer-a-babylone.html#.UnT9ZBDZ0yM
Mais il y a encore de très nombreux thèmes à découvrir et à présenter aux lecteurs à partir des cultures mésopotamiennes.

Bruno Modica