Le récit se déroule au début des années 1970 dans la Chine communiste, quand le président Mao pensait qu’il était nécessaire, afin d’éviter l’embourgeoisement intellectuel, d’envoyer comme ouvrier agricole pendant deux ans, lycéens et universitaires apprendre par l’action la vie difficile des petits villages chinois. Le narrateur et son ami Luo sont donc exilés dans le Sichuan… où ils découvriront, heureusement, quelques trésors : une valise de de livres interdits (Balzac, Flaubert, Gogol, Melville, Romain Rolland !)… et la jolie petite tailleuse.

Si, comme moi, vous avez rêvé de faire lire à vos «terminales» le roman de Dai Sijie, sans toujours y arriver, vous serez certainement enchanté.e.s de pouvoir également leur proposer l’adaptation dessinée de Balzac et la petite tailleuse chinoise. Les lavis gris et les choix graphiques de Freddy Naldony Poustochkine rendent avec talent le caractère éprouvant, entre mines et rizières, de la vie menée par le narrateur et son ami Luo, dans «leur» village de montagne, la répétition des gestes, l’épuisement des corps, la violence de la période. Parallèlement au vent de liberté qui souffle dans sa construction narrative, le dessin qui s’affranchit des cases épouse parfaitement les envies un peu folles des personnages et l’énergie qui les habite.
De manière très personnelle cet album insiste d’ailleurs sur les mouvements de l’âme, les rêveries des personnages, leurs désirs, désespoirs, révoltes intérieures ; il est difficile de rester insensible à cette coloration onirique donnée au récit par Poustochkine.

On peut regretter en revanche que le regard nuancé porté par Dai Sijie (qui a été lui même envoyé en «rééducation» sur le monde paysan dans lequel sont exilés les jeunes ne se retrouve pas dans la bande dessinée. Le roman ne montrait pas une violence paysanne exercée à l’encontre de jeunes «intellectuels», mais avant tout la violence de conditions misérables partagées. Il évoquait aussi de manière plus subtile, moins grinçante que ne le fait Poustochkine, les liens étranges qui s’étaient créés entre les villageois et les deux adolescents grâce à leurs talents respectifs de musicien et de conteur, le respect ambigu pour leurs origines sociales (le fils de dentiste susceptible de soigner), l’apprentissage aux côtés de la petite tailleuse, les efforts pour instruire cette dernière et la sortir de sa condition misérable…

En dépit de ces réserves, tout CDI gagnerait à pouvoir proposer en lecture à nos lycéens cet album intéressant aussi bien pour son contenu que pour son graphisme.
—-
Gaëlle Ruffel, pour Les Clionautes