On aurait pu perdre à tout jamais les ouvrages écrits par Henriette de Marans, née en 1719 et morte en 1784. Longtemps oubliés d’abord au fond d’un château, puis microfilmés en 1955-1956, ils auraient pu alors rester au fond d’un dépôt d’archives. Mais le travail de Mathilde Chollet et Huguette Krief permet aujourd’hui de leur redonner vie.

Une analyse et une intégrale

Mathilde Chollet, docteur en histoire moderne, enseigne à l’Université de Limoges. Elle a précédemment publié « Etre et avoir. Une ambition de femme au siècle des Lumières ». Huguette Krief, maitre de conférences, a publié de nombreux travaux consacrés à la littérature des Lumières et de la Révolution. Le livre est composé de deux parties avec d’abord une étude et une mise en perspective d’Henriette de Marans, puis l’édition de ses oeuvres. Il comprend en outre un cahier couleurs de 32 pages qui permet, par exemple, d’avoir un exemple de ses cahiers ou encore de découvrir le paysage dans lequel elle vécut. Une bibliographie et un index complètent l’ouvrage.

Une trajectoire dans le siècle

Elles retracent d’abord l’histoire d’Henriette en la situant socialement et géographiquement. Henriette est l’ainée d’une famille de trois qui s’installe à Cormenon. Entre 12 et 16 ans, Henriette de Marans lit tout ce qu’elle peut et n’hésite pas à prendre la plume pour « imiter les modèles qu’elle admire ». Cette éducation doit aussi lui servir à s’insérer dans la société de l’époque. Henriette épouse Louis-Joseph de Vanssay, membre d’une autre famille versée dans l’écriture. Comme le disent les auteures, les ouvrages d’Henriette de Marans sont « originaux par leur contenu et leur forme » et « dévoilent le regard d’une femme sensible qui dresse un tableau très personnel, vivant et bigarré de la société d’un large Maine-Vendômois ».

Ecrire au XVIIIème siècle

On découvre une femme cultivée, qui fait peu de fautes d’orthographe et n’hésite pas à utiliser des figures de style. On est frappé par cette formule trouvée dans ses papiers : «  Je veux écrire ! ». Elle est donc un exemple aussi parmi d’autres de toute cette littérature du for intérieur. Les deux auteures reconstituent l’acte d’écrire de cette époque pour une femme de cette condition. Elles insistent sur le fait qu’il s’agit d’un travail souvent interrompu et elles en précisent aussi les aspects matériels. Elle confectionnait elle-même ses encres de couleurs. On découvre aussi qu’Henriette de Marans laissait des pages blanches pour y revenir peut-être plus tard. Disposer des trois oeuvres de l’auteure permet aussi de souligner son évolution. Ecrire c’est peut être aussi échapper à une forme d’ennui. Elle publie même un ouvrage «  Les pensées errantes ; avec quelques lettres d’un Indien ».

Les trois oeuvres de Mme de Marans

Les extraits proposés reprennent, comme le choix fait par les auteures, la graphie de Mme de Marans. Elles ont ajouté également un appareil de notes de bas de page. Dans les trois oeuvres présentées ici, Henriette de Marans livre à la fois ses pensées, réfléchit ou évoque des ouvrages qui l’ont interpellée. Le « Mémorial à mon usage personnel » est ainsi un rassemblement de notes de lectures, de recettes, chansons et confessions de sa part. On découvre aussi son inclinaison pour le savoir à travers, par exemple, des éléments de géométrie qui agrémentent son ouvrage. Grâce à ce travail d’édition, on perçoit mieux le quotidien de cette femme, sans doute mieux que par de simples extraits. C’est dans la longueur que s’appréhende et se comprend aussi ce type d’écriture. Chacun pourra trouver ce qui le touche dans ces confessions écrites il y a plus de deux-cent-cinquante ans : « Je crois que quand on aime la première fois, on est à plaindre, mais quand on s’y livre pour la seconde, on est fol ». « Pour sçavoir priser les choses ce qu’elles valent, il faut avoir éssuyé des revers ». A travers cet exemple on reconnait une variante de proverbe populaire à l’époque. Parmi les aspects plus quotidiens, on découvre les recettes et remèdes collectés par Henriette de Marans. Dans la première catégorie on retrouve la conception d’un sirop d’orgeat ou d’une brioche et dans la seconde on apprend comment guérir les panaris ou lutter contre la dysenterie.

Vers toujours plus d’intimité

« Réflexions journalières » est un ouvrage nettement plus intime. Il est difficile de rendre compte de toutes alors, quitte à être incomplet, en voici quelques extraits. «  En général on travaille plus pour briller que pour se rendre heureux ». «  Il faut banir le ceremonial de lamitié, mais il ne faut pas en exclure la politesse ; la plupart des liaisons finissent parce que la familiarité y introduit le dégout ». « Je ne suis point du tout exigeante, pour les gens dont je me soucie peu ». « Quand on sacrifie son bonheur à lopinion du public, on est assurement bien la dupe de sa raison ».
Les « Confidences générales et particulières » se présentent sous forme de chapitres. « Je n’aime rien plus que ma solitude, la connoissance du monde en détrompe, on le croit tout autre quil n’est, les humains ne gagnent gueres à estre approfondis, je laisse à part les exceptions, car il y en a beaucoup dans cette regle generale » ou encore « Ma delicatesse est une étrange chose ; on ny peut toucher, qu’on ne la blesse. »

Cet ouvrage permet donc de découvrir une femme à l’époque des Lumières. Il donne accès à ses oeuvres, souvent très personnelles, et d’autant plus émouvantes.

© Jean-Pierre Costille pour les Clionautes