Les bandits, les pirates et les hors-la-loi tiennent souvent la place de héros dans la littérature française et anglaise depuis l’époque moderne, certains apparaissent même comme dans bandits romantiques. Pourtant, plus d’un, à l’instar de Cartouche, ont été des personnages réels qui ont défrayé les chroniques judiciaires de leur temps. L’ouvrage Bandits, pirates et hors-la-loi au temps des Lumières, paru aux Éditons Classiques Garnier en 2021 sous la plume de Lise Andries permet justement de suivre le cheminement du bandit de l’époque moderne, des archives aux fictions.
L. Andries est directrice de recherche au CNRS. Ses recherches portent essentiellement sur la littérature à grande diffusion en France au XVIIe et XVIIIe siècles. Ses travaux l’ont amené à étudier plus en détails les ouvrages de la Bibliothèque bleue. Il s’agit d’une littérature dite « populaire » apparue au XVIIe siècle, composée de petits ouvrages à la couverture bleue dont la facture était souvent de mauvaise qualité, mais qui avaient l’avantage d’être peu coûteux. Ces histoires qui ont voyagé par colporteurs ont contribué à façonner les mentalités populaires, notamment celles du bandit, du pirate et du hors-la-loi.
L’ouvrage de L. Adries se veut être le prolongement d’un travail collectif effectué sous le titre Cartouche, Mandrin et aux brigands du XVIIIe siècle qui faisait la part belle à l’itinéraire individuel de certains brigands. Le présent travail se focalise davantage sur la place des brigands dans les archives, les œuvres littéraires et les textes juridiques. Il est centré sur les XVIIe et XVIIIe siècles car c’est à cette époque que la police judiciaire est réorganisée.
C’est également au cours de cette période que se développe une littérature criminelle variée. L’autrice privilégie toutefois l’espace français sans s’interdire de regarder ce qui se passe en Angleterre (notamment dans les troisième et quatrième chapitres). L’ouvrage est organisé en trois parties de quatre chapitres chacune, et aborde successivement la représentation des marges criminelles, les liens entre les brigands et la littérature, et les trajectoires du bandit c’est-à-dire des premiers forfaits au face-à-face avec la justice.
Des brigands, des bandits, des pirates mais peu de femmes
Le terme de brigands, comme l’explique l’autrice, doit être pris au sens large. Le petit délinquant est autant qualifié de brigand que le criminel des grands chemins. L. Andries fait toutefois la distinction entre les brigands des mers et de terre tout en insistant sur leurs points communs. Elle dresse ainsi le portrait archétype des brigands. Qu’ils soient bandits ou pirates, ce sont généralement des hommes « dans la force de l’âge, énergiques et violents ». Beaucoup d’entre eux meurent jeunes dans des combats ou condamnés à mort par les tribunaux. Les brigands sont également caractérisés par des espaces dans lesquels ils trouvent refuge (grottes, souterrains, criques, îles désertes, etc.). Certains lieux évoquent également les crimes, tels que les coupe-gorge, les rues « assassines », les impasses. D’autres aussi sont fantasmés comme les égouts, les carrières ou encore les catacombes.
Comme le souligne L. Andries, les archives mentionnent régulièrement l’organisation des brigands en bande. Les bandes sont souvent très hiérarchisées et « témoignent de complicités solides », même si le nombre d’individus qui les composent est bien inférieur à ce que laissent penser les magistrats. Ces bandes, souvent composées d’anciens soldats, sont organisées d’une manière militaire avec un chef et ses lieutenants. Toutefois, la littérature ne met sur le devant de la scène que les chefs comme Cartouche ou Mandrin. C’est le constat de l’autrice au sein des biographies de la Bibliothèque bleue. Ainsi elle se demande pourquoi certains brigands sont passés à la postérité et d’autre non alors même qu’ils sont bien présents dans les archives judiciaires.
Parmi les brigands, il arrive de croiser quelques femmes. Toutefois, ces femmes brigands sont bien loin de correspondre à la définition que Furetière donne du bandit : « voleur de grand chemin à main armée ». Ces femmes sont surtout présentes car elles sont épouses ou concubines de brigands. Elles tiennent malgré tout un rôle spécifique dans ce monde, elles sont « anquilleuses », « escroques » ou « recelleuses ». L’autrice insiste cependant sur le fait que « la misère est (…) la principale cause des conduites criminelles », particulièrement chez les femmes. Plusieurs itinéraires de femmes dont les histoires ont été retrouvées dans les archives sont exposés par l’autrice, c’est le cas de Suzanne-Antoinette Dion dite « la frisée ». Une constante se dégage : d’une manière générale, sauf dans les cas d’infanticide, la violence féminine est peu présente des sources judiciaires. Cette présence réduite des femmes s’explique en partie par le rôle secondaire qu’elle jouent dans les bandes de brigands.
Du brigand au héros de littérature
C’est sous l’influence des romans picaresques espagnols que la littérature criminelle française et anglaise fait son apparition. L’ensemble de la production de ce genre littéraire fait cependant une nette distinction entre le simple voleur et l’individu qui est prêt à tuer pour réaliser son forfait. Malgré leur côté inquiétant, ces romans sont avant écrits pour divertir le lecteur qui peut en faire l’acquisition par les colporteurs. Au sein de ces histoires, on y trouve les mêmes codes, les mêmes hiérarchies entre les brigands, et une langue commune mais qui reste celle des bas-fonds, l’argot.
À partir des années 1650, des ouvrages commencent à s’inspirer de la littérature judiciaire. Cette littérature est principalement formée de « feuilles volantes criminelles », de mémoires judiciaires, d’arrêts du Parlement ou encore de biographies de brigands. Certains de ces feuillets, principalement les feuilles volantes criminelles, étaient vendues le jour des exécutions pour des sommes dérisoires. La population venue assister au « spectacle » de la mise à mort était très avide de cette production. Cette littérature a largement inspiré les romans français du XVIIIe siècle, en particulier Les Illustres françaises de Robert Challe où il est question de vengeance amoureuse, de duels et de sortilèges, ou encore Les Mémoires et aventures d’un homme de qualité de l’Abbé Prévost, relatant la thématique de la vengeance criminelle.
La littérature ose franchir la frontière qui transforme le brigand ou le pirate en héros romanesques du XVIIIe siècle. Les brigands et les pirates des romans quittent les lieux sordides de la cour des miracles Tout un folklore encore bien présent aujourd’hui accompagne ces personnages tels le drapeau noir, la tête de mort, le trésor enterré dans le sable pour le pirate. Les histoires de pirates présentent « des stéréotypes narratifs et thématiques qui leurs sont propre ». La violence fait partie intégrante du monde de la piraterie. Les pirates que l’on rencontre sont souvent de jeunes hommes. Ils sont présentés comme courageux et dotés d’une grande force physique, malgré les blessures apparentes. Toutefois, la bibliothèque bleue ne compte qu’une seule biographie de ce type, la vie de Jean Bart, ce qui laisse penser que la figure du pirate fait moins rêver les lecteurs français que leurs voisins d’outre-Manche.
Au final, Bandits, pirates et hors-la-loi au temps des Lumières est un ouvrage très enrichissant, qui mêle le bandit et le héros, le réel et la fiction, la misère et le romanesque. Le travail de Lise Andries permet de mieux appréhender la manière dont s’opère la transformation du brigand appartenant à une bande, au sein des bas-fonds ou de la cour des miracles, en un héros de littérature qui véhicule des valeurs de courage, d’aventure, de loyauté. Le petit peuple français se délecte de ce genre de littérature et peut se procurer les brochures, les ouvrages pour quelques sous. L’autrice nous permet ainsi de réaliser une promenade littéraire sans l’obligation de la réaliser de façon linéaire. Quelques répétitions apparaissent dans l’ouvrage, ce qui peut alourdir la lecture, mais aussi apporter du confort pour le lecteur venant seulement puiser quelques extraits.
Bonjour,
Lise Andries donne assez peu de précisions concernant Suzanne-Antoinette Dion. On sait seulement, à partir de l’ouvrage, qu’elle était marchande de poisson, une des professions associées à la violence et au monde de la criminalité, et qu’elle était l’une des femmes de la bande de Louis Raffiat.
Suzanne-Antoinette Dion était également connue sous le pseudonyme « la frisée », une preuve, selon l’autrice, qu’elle appartenait plus que d’autres femmes au monde de la criminalité, car les bandits usaient de fausses identités pour brouiller les pistes et ainsi échapper à la police. Elle fut l’une des 14 femmes arrêtées en février 1742 avec Louis Raffiat et 20 autres de ses compagnons de forfaiture. »La frisée » se distingue toutefois des autres femmes car, selon Lise Andries, les femmes coupables d’homicides sont rares, mais Suzanne-Antoinette Dion a « déclaré avoir pris part à un assassinat ». Elle fut condamnée à mort par pendaison. Cependant, Lise Andries ne précise pas la date de l’exécution sans mentionner si la source est muette à ce sujet.
Bien cordialement
Pierrick Banchereau
Bonjour,
Pouvez-vous me transmettre des information sur Suzanne-Antoinette Dion dite « la frisée », à savoir pour le moins la date de son décès.
Merci à vous.
Nort