Érotisme et Église – Myriam Deniel-Ternant – Une histoire érotique de l’Église – Éditions Payot – Septembre 2021 – 21 €

Avec un titre, et même un sous-titre, « quand les hommes de Dieu avaient le diable au corps », qui évoque la grivoiserie et la paillardise présumée ou bien réelle des hommes d’église, Myriam Deniel sait incontestablement attirer l’attention du lecteur. Son précédent ouvrage, publié en 2017 aux éditions champ Vallon, Ecclésiastiques en débauche, 1700–1790, avait déjà retenu l’attention de la Cliothèque.
On aurait pu imaginer qu’un ouvrage pourtant sérieux, fortement documenté, commencerait par une introduction ou un avant-propos, une préface. Et bien non ! Avec une certaine malice l’auteure donne à la vingtaine de pages en ouverture de l’ouvrage le nom évocateur de « préliminaires ». Le clin d’œil est évident.

Avec cette « histoire érotique de l’église », l’auteure nous fait davantage rentrer dans la représentation que les femmes et les hommes de leur temps pouvaient avoir de ses ecclésiastiques qui donnaient un coup de canif à leurs vœux de célibat. Pourtant, depuis le concile de Trente, (1545–1563), la position de l’église catholique est très claire. Dans cette période qui marque le début de la contre-réforme, le célibat des prêtres est l’un des critères de différenciation d’avec les prélats des trois courants dominants du protestantisme, le luthéranisme, le calvinisme et l’anglicanisme.

Érotisme et Église – Entre licite et illicite

Le thème a irrigué toute l’histoire du christianisme, notamment pendant la période médiévale. Les prêtres débauchés, les moines paillards, sont des personnages récurrents que l’on retrouve dans les différentes sources. Les relations entre sexualité et cléricature, le service de Dieu, ont traversé l’histoire de l’église. Si dans le christianisme primitif, au moins jusqu’au quatrième siècle, la question du célibat ne se pose pas vraiment, l’apparition du monachisme, l’affirmation de la vierge Marie, favorise une certaine répression de la sexualité. Le nicolaïsme est considéré comme une déviation du christianisme. Il a été régulièrement combattu à toutes les époques. L’Apocalypse (II, 6 et 15) fait allusion à la « doctrine des nicolaïtes », qui sévissent à Éphèse et à Pergame et prônent des pratiques idolâtriques et le libertinage des mœurs. On ne sait rien de ce mouvement, dont le nom est peut-être symbolique (cf. Apoc., II, 14 et 20). Irénée et Clément d’Alexandrie citent sous ce nom une secte gnostique, inconnue par ailleurs, qu’ils rattachent sans aucune vraisemblance à Nicolas, « prosélyte d’Antioche », un des Sept choisis par les Apôtres pour les aider dans le service des pauvres (cf. Actes, VI, 5). Au Moyen Âge, on appela nicolaïtes les prêtres qui n’admettaient pas la loi du célibat. Encyclopedia Universalis

Fil d’Ariane de la vie ecclésiastique, la continence s’est peu à peu imposée lorsque, après le concile de 30, la formation au séminaire est devenue obligatoire. Cette question de la continence s’impose aussi bien aux hommes qu’aux femmes, au clergé régulier comme au clergé séculier.
La moralité charnelle du clergé, pour reprendre l’expression de l’auteure, a été mise en question à toutes les époques. Ressort comique que l’on retrouve notamment dans une chanson occitane, violemment anticléricale, le curé fornicateur qui profite de la faiblesse de ses paroissiennes, est un personnage récurrent. Myriam Daniel cite de Gombert et les deux clercs qui séduisent la femme et la fille de la maison.

Érotisme et Église à l’époque moderne

À l’époque moderne nous assistons à une reprise de ce thème, d’autant plus que l’historiographie présente l’émergence de la réforme protestante et la contre-réforme comme une réponse aux abus du clergé, que ces derniers relèvent de la moralité ou de la volonté d’enrichissement.
Il faut certainement relativiser la vision que l’on peut avoir de cette licence des membres du clergé, même s’il est incontestable que de nombreux clercs dans les paroisses vivaient maritalement. L’église s’est d’ailleurs préoccupée un temps du sort de ces bâtards d’ecclésiastiques en leur interdisant l’accès à la prêtrise. Il existe toutefois une exception notable puisque Érasme était lui-même fils de prêtre.

Le célibat des prêtres a également été toujours contesté. Une forme d’acceptation sociale a pu se développer, lorsque l’ecclésiastique en question vit paisiblement. Myriam Daniel évoque même le cas d’un prêtre défenestré du bordel où il a été surpris en flagrant délit. Le receveur du duc de Bourgogne prend sa défense en arguant que cet établissement ouvert à tous peut recevoir des hommes de toutes conditions. Il est vrai que cela peut relever du service public.
Il y a donc une différence de perception entre l’ecclésiastique qui vit maritalement, qui a contracté un mariage secret, et celui qui se vautre dans la crapulerie avec des filles publiques. Dans une certaine mesure la condition maritale de l’ecclésiastique favorise son intégration dans la communauté puisque l’on considère que la vie conjugale du prêtre joue un rôle protecteur à l’égard des femmes et des filles de la communauté.On retrouve même début du XVe siècle des arguments à caractère médical en faveur du mariage des prêtres, la sexualité devenant protectrice contre de multiples pathologies.

À cet égard il y a une continuité entre la fin du Moyen Âge et la période moderne avec de multiples publications en faveur du mariage des prêtres. Les ouvrages de politique de l’Abbé de Saint-Pierre, publiés entre 1735 et 1741 recommandent le mariage des prêtres en s’appuyant sur des arguments populationnistes.

Contre le célibat des prêtres

La période de la révolution française est également riche dans ce domaine puisque dans l’église du couvent des Cordeliers de Lyon, le 14 mars 1789, François Souchon, curé de Sainte-Foy l’Argentière monte en chaire pour dénoncer le célibat des prêtres. Le mariage vaut mieux qu’un célibat crapuleux.
À partir de cette introduction, l’auteur se livre à un examen particulièrement rigoureux des différentes pratiques érotiques, licencieuses, sexuelles,–rayer la mention inutile,– de nos ecclésiastiques.
Même s’il existe une porosité relative entre le clergé régulier, habituellement, mais pas toujours soumis à des règles conventuelles et à la clôture, il y a bien une spécificité de l’érotisme « entre les murs ».

Encore une fois, le mystère qui entoure la vie monastique, tant celle des hommes que les femmes, laisse la place à de multiples fantasmes. On trouve même dans l’ouvrage des images coquines qui montrent sans laisser de place à l’imagination ce qui peut se passer derrière les murs du couvent. La sexualité n’est d’ailleurs pas seulement hétérosexuelle, et peut même faciliter les choses en rendant impossible des conceptions encombrantes et visibles.

Cette débauche qui semble irriguer les couvents se retrouve aux confins de la sorcellerie avec l’évocation des possédées d’Aix-en-Provence, celle de Louviers, celle de Toulon, avec un non-lieu rendu le 10 octobre 1731 par le parlement d’Aix-en-Provence.
Les ressorts sont souvent les mêmes ; l’exorcisme peut servir de cache-sexe, c’est le cas de le dire, à différentes pratiques qui n’ont rien à voir avec les vertus monastiques. Les frasques du Père Girard dont il est question ont d’ailleurs alimenté de nombreuses chroniques, et quelques images qui sont également présentées dans l’ouvrage.

Érotisme et vie monastique

Ces religieux qui subissent la clôture font évidemment le mur et la présence de femmes est parfois attestée dans des monastères masculins.
Les moniales succombent également à l’appel de la chair comme cette jeune Eulalie qui s’évade du monastère pour retrouver son confesseur.
Le clergé séculier dispose de plus de facilité pour rentrer en contact avec celles et ceux dont on recherche le commerce. Les exemples sont également très nombreux, et la thématique que l’on retrouve dans les sources est souvent celle du Clerc qui séduit la femme d’un autre, parfois un jouvenceau. Si le prêtre concupiscent semble particulièrement actif, certaines femmes sont également en recherche de serviteurs de Dieu qu’elles détournent de leur vœu de célibat.

Si les ecclésiastiques qui succombent au péché de chair s’inscrivent dans une logique de séduction, et de véritables passions amoureuses se nouer, ils peuvent aussi assouvir leurs pulsions dans le cadre de relations tarifées. Ces bordels, appelés bordeaux également, ont pourtant été régulièrement prohibé. Dès le XIIIe siècle par le futur Saint-Louis, puis à l’occasion des États généraux de 1560. Ces établissements sont interdits et les prostituées bannies. Mais leur clandestinité reste dans le domaine du théorique.

Les sources montrent que le recours aux services de prostituées existe pour les ecclésiastiques, sans que l’on puisse savoir si le phénomène est véritablement massif. Il est souvent difficile de mesurer le véritable prix des prestations, mais celles-ci qui peuvent représenter l’équivalent d’un salaire journalier de 25 à 30 sous pour un maçon ou un charpentier. Sur le budget d’un ecclésiastique, curé ou  vicaire paroissial de 300 livres par an, et sur la base de 20 sols pour une livre, ce type de dépenses ne semble pas anodin. Ces pratiques transgressives sont également fréquentes en milieu rural, avec une forme de prostitution occasionnelle, souvent dictées par l’indigence des femmes.

Église et prostitution à Paris

Il est parfois difficile de différencier la relation régulière, quasiment maritale est une forme de prostitution puisque le prêtre accompagne ses sollicitations de dons en argent ou en nature. Nicole Suaire dans le Beauvaisi accepte de connaître charnellement le curé en échange de blé et d’argent, en prenant bien garde de laisser son mari hors de la tractation.
Au milieu du XVIIIe siècle à Paris, dans le contexte des tensions entre la royauté, le Parlement, le clergé et l’archevêché de Paris, une véritable chasse aux mauvais prêtres est engagée par les services de police. Entre 1750 et 1765, 970 procès-verbaux témoignent de cette chasse aux abbés parisiens.
Des inspecteurs sont même dédiés à cette mission et ils peuvent prendre des prêtres en filature lorsqu’ils se rendent dans certains types d’établissements. Mais l’appel de la chair et d’une telle intensité que certains se déguisent pour pouvoir assouvir leurs pulsions en toute impunité.
Tous les types de clercs semblent avoir le diable au corps. L’auteure cite, à partir des procès-verbaux de la période, 22 chanoines, sept jésuites, de religieux de l’ordre de Saint-Jean de Jérusalem, de Saint-Lazare, un chevalier de l’ordre de Malte, des franciscains, des dominicains, des Carmes, des Augustins, des Capucins et des Récollets. Paris semble d’ailleurs attirer des ecclésiastiques des espaces périphériques et certains viennent de fort loin, entre 200 et 400 kilomètres pour 22 % d’entre eux. On peut supposer que ce n’est pas seulement le dévergondage qui a pu justifier un tel voyage !

L’ouvrage s’attache spécifiquement aux relations librement consenties, en excluant, sans les dissimuler pour autant, les cas spécifiques de violence sexuelle. Ici aussi la frontière est parfois poreuse, une forme d’emprise, pour utiliser un terme plus contemporain, peut représenter une forme de violence. L’aspect économique peut également relever de la violence sociale.
Dans le contexte actuel avec la publication récente du rapport de la commission indépendante sur les abus sexuels dans l’église, cet ouvrage a le mérite d’apporter un regard historien. Il n’y a évidemment pas de comparaison avec des cas avérés d’agressions sexuelles sur des mineurs ou des personnes en situation de faiblesse. Toutefois on retrouve le même type de réflexion sur le caractère « anormal » du célibat ecclésiastique. Et certaines remarques, abordées au début de l’ouvrage, sur la condamnation de ce vœu de chasteté favorisant toutes les turpitudes, apparaissent d’une actualité brûlante.
Incontestablement cette recherche qui présente avec un regard « clinique » les différents types d’entorse au vœu de chasteté n’est pourtant pas dénué d’une certaine malice. La contradiction entre principes et réalité semble ici évidente et on pourra lire cet ouvrage en découvrant de véritables pépites iconographies licencieuses et quelques poêmes qui enrichiront le registre du tendre.